BFMTV
Politique

Le chef de l'Etat doit-il conserver le droit de grâce présidentielle?

La décision prise par François Hollande de gracier Jacqueline Sauvage, condamnée à 10 ans de réclusion pour avoir tué son mari violent, a remis en lumière ce pouvoir exceptionnel octroyé au président de la République. Le droit de grâce présidentielle est à remettre en cause selon plusieurs magistrats.

Les magistrats se sentent de nouveau désavoués par le président François Hollande. La grâce totale accordée ce mercredi 28 décembre à Jacqueline Sauvage est un geste "très hypocrite", selon l'Union syndicale des magistrats.

Celui-ci "piétine allègrement" sa promesse de respecter l'indépendance de la justice dans ce dossier, alors qu’il avait déjà accordé une grâce partielle le 31 janvier et "mis en avant le respect des décisions de justice et l'indépendance des magistrats", estime Céline Parisot, secrétaire générale de l'Union Syndicale des Magistrats (USM).

"Ce qu'il y avait comme message dans cette grâce partielle, c'était qu'il fallait libérer Mme Sauvage. Mais la justice est indépendante et elle ne l'a pas fait, alors le président la remet dehors. C'est très hypocrite", a-t-elle déploré.

Une remise en cause de la séparation des pouvoirs?

Une position que partage la twittos @jugedadouche, magistrate de l’ordre judiciaire remarquée pour sa suite de tweets à la suite de l’annonce de la grâce présidentielle de Jacqueline Sauvage ce mercredi.

Selon elle, il s’agit d’une remise en cause de la séparation des pouvoirs puisque "l’exécutif anéantit une décision judiciaire avec l’utilisation du droit de grâce".

"Nous n’aurions pas été contents s’il y avait eu une grâce totale et immédiate en janvier dernier, car il aurait s’agit d’une remise en cause immédiate des décisions issus de deux cour d’assises, mais si la décision avait été assumée depuis le début, pourquoi pas… Là, il y a une grosse manoeuvre en deux temps", se désole-t-elle au téléphone.

"Cela reste difficile à justifier dans une démocratie moderne"

"L’existence du droit de grâce pose problème en tant que tel, même s’il existe dans plusieurs démocraties. Cela permet de réguler quelques faits à la marge et peut amener des correctifs lorsque les circonstances autour des dossiers ont changé ou qu’un détenu est malade", convient @jugedadouche.

"Mais dans une démocratie moderne cela reste de plus en plus difficile de le justifier. Est-ce le fait du prince? Une juridiction parallèle? Tout le problème part aussi de l’usage qui en est fait", se questionne la magistrate.

Héritage de droit divin de l'Ancien Régime

Certes, au contraire de l’amnistie, la grâce ne fait pas disparaître la condamnation du casier judiciaire. Mais ce droit régalien qui autorise le président à gracier un condamné -qui existe aussi en Allemagne, en Espagne et aux Etats-Unis- est hérité de la monarchie. Cet héritage du droit divin de l'Ancien Régime est présent dans l’article 17 de la Constitution de la Vème République de 1958. Le pouvoir présidentiel d’offrir des grâces collectives sera supprimé avec la réforme de la Constitution en 2008 qui circonscrit alors l'exercice du droit de grâce "à titre individuel".

Au Parti socialiste, les critiques à l’égard de la grâce présidentielle sont minimes, mais tout de même existantes . Le directeur de campagne d’Arnaud Montebourg, François Kalfon, a salué ce jeudi sur RTL le fait que François Hollande "a longuement réfléchi en conscience", même s’il a reconnu que ce n’était "pas un acte anodin compte-tenu de la séparation des pouvoirs" et d'un "héritage monarchique".

La position de François Hollande a évolué

"L'institution judiciaire est dans son rôle" lorsqu’elle critique la grâce présidentielle, a aussi réagi Benoît Hamon. "Le président de la République est dans le sien" lorsqu’il utilise l'article 17 de la Constitution pour "une femme qui a effectivement tué pour se libérer et éviter de mourir elle-même", a ensuite déclaré celui qui s’était aussi mobilisé pour la libération de Jacqueline Sauvage. La position du président de la République a elle-même évolué ces dernières années puisqu’il y a 10 ans, François Hollande trouvait la grâce présidentielle choquante et voulait la supprimer, comme le révèle LCI.

Chez les magistrats, tous ne critiquent pas forcément la décision de François Hollande à l’image de Serge Portelli, membre du syndicat de la Magistrature. "Le jour ou la justice sera juste, je serai pour la suppression du droit de grâce", a déclaré le président de chambre à la Cour d’appel de Versailles sur BFMTV ce jeudi matin.

"C'est une question d'humanité", selon Serge Portelli

Il a rappelé que lorsqu’il a commencé à exercer en 1973, "la peine de mort existait". "J’aimerais que les magistrats se souviennent un peu de cela. Quand une personne échappait à cette peine horrible, atroce et scandaleuse qu’était la peine de mort, personne n’était contre. Lorsque le président graciait des centaines de personnes chaque année au mois de juillet, je ne voyais aucun magistrat pour se lever et s’indigner", a-t-il déclaré.

"Le fait que le président puisse l’exercer de temps en temps, rarement finalement, me paraît une bonne chose. C’est prévu par la Constitution, cela a été rééxaminé il y a huit ans, tout le monde était d’accord !".

"Ce n’est pas l’honneur des magistrats qui est en cause, c’est une question d’humanité", a-t-il ajouté.

Brice Laemle