BFMTV
Gouvernement

"Elle s'est brûlée les ailes": après Playboy et le fonds Marianne, Schiappa quitte le gouvernement

Marlène Schiappa devant la commission d'enquête sur le fonds Marianne au Sénat le 13 juin 2023

Marlène Schiappa devant la commission d'enquête sur le fonds Marianne au Sénat le 13 juin 2023 - Bertrand GUAY / AFP

Longtemps étoile montante de la macronie, la secrétaire d'État à l'Économie sociale et solidaire a été exfiltrée du gouvernement d'Élisabeth Borne. Figure médiatique, Marlène Schiappa paie les conséquences des récentes polémiques autour de son interview à Playboy et du fiasco du fonds Marianne.

L'épilogue d'une longue carrière ministérielle. Après plus de six années au sein du gouvernement, avec seulement quelques semaines de pause, Marlène Schiappa quitte l'exécutif, a appris BFMTV.

>> Remaniement: suivez l'annonce du nouveau gouvernement Borne dans notre direct

Longtemps vue comme un atout par Emmanuel Macron, la désormais ex-secrétaire d'État à la vie associative a suscité l'embarras de son propre camp ces dernières semaines, empêtrée dans la polémique sur le fonds Marianne contre le séparatisme. La commission d'enquête du Sénat a étrillé "sa désinvolture" dans la gestion du dispositif, lancé quand elle était encore ministre déléguée à la Citoyenneté.

"Elle a été utile à un moment parce qu'elle était l'une des rares à incarner quelque chose", expliquait un poids lourd de l'Assemblée avant même son départ. "Mais elle s'est brûlée les ailes. Elle n'a plus eu de limites d'une certaine façon."
Marlène Schiappa dans Playboy, coup de com' ou échec politique ?
Marlène Schiappa dans Playboy, coup de com' ou échec politique ?
16:52

Playboy, "un poisson d'avril en avance"

Après avoir été écartée des allées du pouvoir à la fin du précédent quinquennat, son retour dans la foulée de législatives ratées pour la majorité avait été pourtant défendue par Brigitte Macron en personne. Mais sa nomination puis son travail au secrétariat d'État à l'Économie sociale et solidaire se font dans la discrétion, jusqu'au mois d'avril, où elle pose pour le magazine érotique Playboy.

Sur la photo de une, Marlène Schiappa s'affiche en robe blanche longue drapée, devant un drapeau tricolore. Dans son interview, elle cite Pamela Anderson et son goût pour Difool, l'animateur de Skyrock, loin des enjeux du moment pour le gouvernement, en grande difficulté sur le dossier des retraites.

L'affaire fait sérieusement grincer des dents au sein de la majorité présidentielle, à peine quelques jours après avoir utilisé le 49.3 à l'Assemblée nationale pour faire adopter sans vote le recul de l'âge de départ à 64 ans. "Ce n'est pas approprié", lui signifie ainsi Élisabeth Borne.

"Je suis juste scié. On est quelques-uns à halluciner. On a cru que c'était un poisson d'avril en avance", confie alors un ministre à BFMTV.

"Elle s'est plantée en beauté"

Quant à Isabelle Rome, sa successeure au secrétariat d'État aux droits des femmes, elle sort la sulfateuse en comparant l'idée de "défendre les droits des femmes dans Playboy" à celle de "lutter contre l'antisémitisme en accordant un entretien à Rivarol", un hebdomadaire d'extrême droite.

Marlène Schiappa, elle, persiste et signe. "Défendre le droit des femmes à disposer de leurs corps, c’est partout et tout le temps. En France, les femmes sont libres", se défend-elle, attaquant "les rétrogrades et les hypocrites".

Moins d'une semaine plus tard, la membre du gouvernement se retrouve à nouveau dans l'œil du cyclone après des révélations de Mediapart sur l'usage du fonds Marianne.

Lancée en grande pompe en 2021 après l'assassinat de Samuel Paty, cette initiative, qui a pour objet de "financer des personnes et associations" "pour lutter contre les discours séparatistes", tourne au fiasco.

"Elle s'est quand même plantée en beauté sur un projet qui était son bébé", nous relate l'un de ses anciens conseillers ministériels.

"La désinvolture" de Marlène Schiappa

En cause: la réalité du travail effectué par certaines associations lauréates. Un rapport au vitriol de l'inspection générale de l'administration (IGA) pointe ainsi "le traitement privilégié" accordé à l'une d'entre elles, tout comme "des défaillances".

Une enquête judiciaire est ouverte et le préfet en charge de la gestion du fonds Marianne démissionne. Auditionnée par les sénateurs lors d'une commission d'enquête parlementaire, Marlène Schiappa se veut droit dans ses bottes.

Tout en reconnaissant des "dysfonctionnements", elle nie toute implication directe, sans guère convaincre les sénateurs. À plusieurs reprises devant les parlementaires, la dirigeante contredit les propos de son ancien directeur de cabinet et ne parvient pas à répondre précisément aux questions.

Les conclusions des sénateurs sont sans appel: "à toutes les étapes de ce fonds, le manque de rigueur, l'opacité et la désinvolture ont mené à ce fiasco", résume le rapporteur Jean-François Husson (LR), scellant définitivement son sort. Et ce en dépit d'une longue interview dans Corse Matin où elle juge "sa probité intacte".

"Elle a du courage quand même"

Pendant longtemps, Marlène Schiappa a pourtant été considérée comme une chance par le président, entouré d'énarques, principalement des hommes, lors de la campagne présidentielle de 2017. Son profil d'élue locale et de blogueuse féministe, détonne et séduit Emmanuel Macron.

À son arrivée au gouvernement à l'Égalité femmes-hommes, elle s'empare rapidement de sujets qui lui permettent de s'imposer médiatiquement, des violences gynécologiques au harcèlement de rue en passant par le Grenelle contre les violences conjugales.

En pleine crise des Gilets jaunes et alors que la macronie semble tétanisée, la trentenaire se rend sur le plateau de Cyril Hanouna début 2019. Au menu: l'animation d'un grand débat en direct, avec l'ambition de débarrasser le chef de l'État de son image de "président des riches" qui lui colle à la peau.

"On n'aime ou pas son style mais elle ose des choses, elle y va. Elle a du courage quand même", souligne le député macroniste Patrick Vignal.

"Nommée pour pouvoir défendre Macron"

La stratégie se révèle payante: félicitée par le président de la République, Marlène Schiappa continue sa stratégie attrape-tout et se rend dans les mois qui suivent à la convention de Valeurs actuelles pour débattre avec Éric Zemmour puis aux universités d'été de La France insoumise.

La jeune femme gagne dans la foulée du galon et devient ministre déléguée à la Citoyenneté, aux côtés de Gérald Darmanin à Beauvau, avant de finalement quitter le gouvernement à la fin du premier quinquennat.

Sans aucun mandat, elle en profite pour faire la promotion de son nouveau livre C'est une bonne situation, ça, ministre?, avec notamment une tournée à New York pour "rencontrer des personnalités du monde féministe". Avant donc d'être rappelé finalement par le président pour devenir secrétaire d'État à l'Économie sociale et solidaire.

"Elle a été nommée là pour pouvoir défendre Macron quand il a vu que ça allait tanguer avec la majorité relative", analyse un sénateur de la majorité.

"Le fait qu'elle soit rattachée à Matignon et non à Bercy comme son poste le voudrait est quand même très symbolique", poursuit ce parlementaire.

Une nouvelle vie outre-Atlantique ?

Son arrivée se fait cependant sous de mauvais augures avec un rang protocolaire très bas et loin d'un poste de ministre. Marlène Schiappa doit rapidement renoncer à une partie de ses attributions en raison des fonctions de son nouveau compagnon.

"Je pense qu'elle a bien senti qu'elle était moins recherchée médiatiquement, que ses nouveaux sujets étaient moins porteurs. Playboy, c'est le coup qui se retourne contre elle", résume un député, peu fan d'elle.

L'ex-secrétaire d'État pourrait désormais s'envoler vers New York pour lancer son agence de communication. "C'est mon rêve", confiait-elle au magazine érotique en avril.

Marie-Pierre Bourgeois