BFMTV
Rassemblement national

"Ils sont tous très sympas chez Le Pen": comment le RN a lissé son image à l'Assemblée

Un an jour pour jour après l'élection de dizaines de députés, le mouvement longtemps dirigé par Marine Le Pen se sert de l'hémicycle pour lisser son image. "On est des élus comme les autres et on montre qu'on est prêt pour l'Élysée", veut croire l'un d'entre eux.

Pour Patrick Vignal, "c'est presque des collègues comme les autres". "Ils vous sourient dans l'ascenseur, ils sont toujours à vous dire 'bonjour', 'au revoir'. Sur le fond, rien n'a changé mais ils se fondent très bien dans la vie politique." Un an après le second tour des législatives, le sentiment du député macroniste résume à lui seul la stratégie du Rassemblement national à l'Assemblée.

Depuis la surprise de leur arrivée en force dans l'hémicycle le 19 juin 2022, le groupe de 89 députés, désormais 88, s'appuie sur le Palais-Bourbon pour se notabiliser. Premier groupe d'opposition dans l'hémicycle, le mouvement de Marine Le Pen décroche dès son arrivée deux vice-présidences et un siège dans la très sensible délégation aux renseignements, au grand dam de la Nupes qui accuse alors la macronie de collusion avec le RN.

"C'est un respect institutionnel de ce qu'ils sont. Nous n'avons jamais été dans l'exclusion par principe et respectons simplement le règlement de l'Assemblée", assure Guillaume Karasbian, le président (Renaissance) de la commission des Affaires économiques, auprès de BFMTV.com.

"On fait de la politique, tout simplement"

Très vite, les députés RN trouvent leur martingale: voter certains des textes portés par d'autres formations, de ceux de la majorité présidentielle à ceux de La France insoumise en passant par les Républicains. Si la règle au sein des autres groupes a été un temps de ne pas cosigner d'amendements avec le RN ou de voter leurs propositions de loi, l'atmosphère a changé ces derniers temps.

"Certains ont toujours la volonté de jouer au castor et de faire de prétendus barrages républicains mais la réalité, c'est qu'on est des élus comme les autres", veut croire le député mariniste Thomas Ménagé.

"On teste des choses, on voit ce qui marche et ce qui ne marche pas. On fait de la politique tout simplement, on parle avec les autres, on voit où on a des points de passage", décrypte un proche de Marine Le Pen. "Je pense que certains ne s'y attendaient pas."

Un outil symbolise la stratégie du mouvement: avec sa niche parlementaire en janvier, le RN a mis sous pression tous les autres groupes. Cherchant à dépasser leurs fondamentaux, les députés déposent à l'occasion de ce dispositif qui lui permet d'avoir la main sur l'ordre du jour de l'Assemblée des textes très consensuels.

Placer ses adversaires face à un dilemme

Parmi ceux-ci, on trouve l'aide universelle d'urgence pour les victimes conjugales, adoptée à l'unanimité par les sénateurs, avec l'espoir de contraindre les députés de tous les bords à la voter.

"On est pile dans la stratégie qu'ils adoptent en utilisant le travail des autres pour se faire mousser", tance la députée macroniste Charlotte Parmentier-Lecocq.

In extremis, la conférence des présidents décide d'inscrire ce texte dans la niche des macronistes. "On n'avait que des mauvaises options: soit rejeter un texte sur les violences conjugales parce qu'il était RN, ce qui est inentendable sur ce thème, ou bien le voter et leur donner une victoire politique", décrypte un lieutenant de la macronie.

La France insoumise, elle, est piégée. Après l'échec des insoumis à l'automne 2022 de faire voter leur proposition de loi pour réintégrer les soignants non-vaccinés, le RN s'empare de ce texte pour l'inscrire dans sa propre niche.

Après une décision de la commission des Affaires sociales, la députée insoumise Caroline Fiat, rapporteuse du texte pour son propre camp, est censée le défendre dans l'hémicycle le jour de la niche RN. LFI choisit finalement de retirer son texte "usurpé par le RN", sous la pression de ses partenaires de la Nupes.

"Ça n'a pas dépassé le landerneau médiatique mais c'était très symbolique pour nous et ça nous a permis d'ouvrir les esprits, de montrer que le cordon sanitaire n'existe plus", détaille un conseiller de Marine Le Pen.

La preuve: la dernière motion de censure du groupe RN pour faire tomber Élisabeth Borne a été votée par plusieurs députés LR et même un élu socialiste. Un amendement lié aux Jeux olympiques, cosigné par le député Modem Philippe Latombe et son homologue RN Aurélien Lopez-Liguori, a été adopté dans l'hémicycle au printemps, jetant un froid au sein de la majorité présidentielle.

"Tout ça s'est dealé au sein du groupe d'études sur la souveraineté numérique", décrypte un collaborateur d'élu. "Ils sont assez peu suivis mais ça permet des échanges informels, souvent moins politiques qu'en commission. On peut y montrer qu'on est sérieux, qu'on travaille."

Sébastien Chenu, "le GO" du RN

Preuve de l'importance stratégique de ces organes: le RN a ferraillé pendant plusieurs semaines en octobre pour obtenir plusieurs présidences, avec un succès certain, le tout sous l'égide de Sébastien Chenu. Qualifié de "très bon vice-président" de l'Assemblée nationale par Yaël Braun-Pivet, c'est lui qui est au cœur de la stratégie du RN.

"Il connaît tout le monde à l'Assemblée, les députés bien sûr mais aussi les chauffeurs et les femmes de ménage. Il joue le rôle de GO en plus de très bien comprendre le fonctionnement du Parlement", sourit un député proche de Marine Le Pen.

Longtemps sur les bancs de l'UMP, l'ancêtre des LR, celui qui a rejoint le RN en 2014 peut se vanter d'un épais carnet d'adresses. En 2007, il est ainsi au premier rang sur la scène de la place de la Concorde pour fêter la victoire de Nicolas Sarkozy, après avoir travaillé au cabinet de Christine Lagarde, alors secrétaire d'État de Dominique de Villepin.

En avril dernier, pour fêter ses 50 ans, il brasse large et invite Stéphane Bern, un temps chargé d'une mission pour sauver le patrimoine à l'Élysée, l'ex-lofteur Steevy Boulay ou encore la secrétaire d'État à la jeunesse Sarah El Haïry - qui a décliné l'invitation.

"Pas d'ennemis", "seulement des adversaires"

L'idée est de permettre de mettre "de la pâte humaine" entre les élus RN et d'autres camps à l'Assemblée, dixit Caroline Parmentier.

"Moi, dans les toilettes, quand je croise Aurore Bergé ou Marie Lebec enceintes, je les salue et je leur demande comment elles vont", explique cette ancienne attachée de presse de Marine Le Pen, désormais députée.

"C'est bien normal, on n'est pas des gougnafiers", poursuit-elle. "Nous n'avons pas d'ennemis mais seulement des adversaires." Avant de tancer La France insoumise: "Nous, on salue tout le monde, on ne s'assoit pas par terre dans l'herbe à l'Assemblée nationale et on ne crie pas dans l'hémicycle."

"Les députés d'extrême droite sont moins vocaux (que ceux de LFI), rarement dans l'attaque frontale", remarque le député Renaissance Louis Margueritte. "C'est sûr que par contraste, ils donnent une image très policée."

"Ils sont tous très sympas chez Marine Le Pen", plussoie l'un de ses collègues Modem. "On n'a rien en commun avec eux mais par rapport aux insoumis qui ne nous saluent jamais et qui ne nous regardent même pas dans les yeux, c'est une autre ambiance."

Réponse des insoumis: "On assume d'être frontal et de dire qu'on est contre le système économique tel qu'il fonctionne, contre la Ve République et contre toute banalisation du RN qui est un parti extrêmement dangereux", rétorque le député LFI Hadrien Clouet. "Et nous, au moins, tout le monde a compris qu'on était contre la réforme des retraites."

Quelques "vilains petits canards"

Si Marine Le Pen n'a pas perdu de plumes dans la bataille autour du recul de l'âge de départ à 64 ans, la patronne du groupe a été pour le moins discrète pendant les débats. Le groupe n'a ainsi déposé que 200 amendements, soit 20 fois moins que la Nupes et 2 fois moins que Renaissance.

Les sorties de route ont également émaillé cette année, du "qu'il retourne en Afrique" de Grégoire de Fournas à la commission d'enquête ingérences étrangères qui conclut, selon la rapporteure Renaissance, que le RN est une "courroie de transmission" de la Russie en France.

Moins médiatisée, la vice-présidence de José Gonzales au groupe d'amitié France-Algérie se passe, elle aussi, mal. Cet ancien pied-noir, doyen de l'Assemblée, a rendu un hommage très appuyé à "ses amis mort" à Oran durant la guerre d'Algérie lors de la première séance.

"Je suis le vilain petit canard. On m'accuse de tous les maux. Une tribune a même demandé ma démission. Je suis pourtant légitime et moi, j'ai vécu là-bas", se défend cet élu RN des Bouches-du-Rhône.

"Il y a encore des sujets qui sont sensibles pour nous. L'Algérie en fait partie", regrette l'un de ses collègues. Les racines du mouvement cochent également les cases. Après les propos d'Élisabeth Borne qui a qualifié le mouvement "d'héritier de Pétain", Marine Le Pen a dénoncé des propos "infâmes et indignes".

Mais à l'heure du premier bilan, le RN est à la fête. "Je suis ultra-heureux de ce qu'on a fait", explique l'élu Thomas Ménagé qui veut désormais s'atteler à la spécialisation des députés de son camp sur des thématiques précises.

Avec probablement du temps devant eux. Les derniers sondages ont montré qu'en cas de législatives anticipées, le RN serait loin devant la majorité présidentielle, rendant très peu probable de nouvelles élections. "Leur meilleure assurance-vie, c'est notre impopularité", reconnaît même un macroniste.

Marie-Pierre Bourgeois