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Agriculteurs en colère: les bonnets jaunes de la Coordination rurale roulent-ils pour le RN?

Le syndicat agricole a joué la carte du bras de fer ces derniers jours, là où la FNSEA montre un visage plus conciliant. Plusieurs députés RN n'ont pas hésité à s'afficher avec la Coordination rurale qui demande la sortie de tous les accords de libre-échange. De quoi pousser certains à les accuser de proximité avec Marine Le Pen.

Un bonnet jaune poussin en guise de couvre-chef devenu un temps la hantise du gouvernement. Depuis le début du mouvement des agriculteurs - qui semble marquer le pas ce vendredi 2 février -, la FNSEA, largement majoritaire dans le secteur agricole, semble régulièrement dépassée par les actions de la Coordination rurale.

Le Rassemblement national, lui, apprécie s'afficher avec le mouvement, alimentant l'image d'une certaine proximité.

"Nous avons une communauté de visions sur beaucoup de choses, c'est sûr", avance le député Grégoire de Fournas, viticulteur de métier, tout en assurant "ne pas avoir de lien politique avec le syndicat" auprès de BFMTV.com.

C'est sur ses terres du Médoc que Jordan Bardella s'est rendu dans une exploitation au tout début de la grogne des agriculteurs. Plusieurs membres de la Coordination rurale étaient présents pour l'écouter.

Un syndicat qui "se méfie du pouvoir en place"

Deuxième syndicat agricole en France, le mouvement s'est lancé aux débuts des années 1990 avec des actions coup de poing. Bien avant la volonté de bloquer Rungis ou d'aller devant l'Assemblée nationale pour exprimer sa colère, la centrale avait bloqué les autoroutes autour de Paris.

"La Coordination rurale est née au moment où la FNSEA s'est pacifiée en avalisant les accords de libre-échange. Historiquement, ils se sont construits en réaction et se méfient du pouvoir en place", analyse l'historien spécialiste du monde agricole Édouard Lynch.

Le syndicat fonctionne sur "un discours très anti-État, très indépendant, avec l'idée que le paysan est le socle de notre civilisation", décrypte encore ce bon connaisseur de l'histoire rurale.

"On est apolitique"

La Coordination rurale, en lutte depuis ses débuts contre la politique agricole commune (PAC), juge depuis des années que l'Union européenne est responsable de la baisse des prix, jamais compensée par les subventions versées aux agriculteurs. Aujourd'hui, environ 20% des revenus des agriculteurs dépendent directement des fonds européens.

"Nous, on veut vivre des fruits de notre travail, des prix que versent les Français pour se nourrir, pas des primes", résume Maxime Colar, animateur régional de la Coordination rurale dans la Somme.

Un discours très proche de celui de Marine Le Pen qui expliquait pendant la campagne présidentielle vouloir "garantir des prix respectueux", essentiellement "basés sur leur travail", jugeant que les subventions européennes n'étaient pas un "modèle pérenne".

"On est apolitique. C'est une réalité mais tant mieux si certains reprennent nos propositions," juge encore Maxime Colard.

"Je partage 80% des idées du RN"

Si cette indépendance "vis-à-vis de tous les pouvoirs" est revendiquée et écrite noir sur blanc dans ses statuts, elle n'empêche pas les préférences.

L'un de ses cadres, Serge Bousquet-Cassagne, le président de la chambre d'agriculture du Lot-et-Garonne, fer de lance dans la contestation agricole partie notamment d'Agen, soutient largement Marine Le Pen. Son fils s'était d'ailleurs présenté lors de législatives partielles en 2013 sous l'étiquette du RN.

"Comme tous les Français, je partage 80 % des idées du RN. Et, bien entendu, je soutiens mon fils, car c’est mon fils. Mais je n’appartiens pas au RN", avait-il avancé à l'époque auprès de Libération.

Pour l'instant, les agriculteurs sont loin de voter massivement pour Marine Le Pen. Dans un sondage Ifop pour la FNSEA, les agriculteurs assuraient avoir l'intention à quelques semaines de la présidentielle de 2022 vouloir voter au premier tour pour Emmanuel Macron à 30% contre seulement 11% pour le RN.

Des députés RN massivement élus dans les territoires ruraux

Mais pour le sociologue Bertrand Hervieu, spécialiste du monde agricole, les agriculteurs dans leur vote "ressemblent de plus en plus au reste des Français".

"Il y a une spécificité des exploitants qui ont toujours voté plus à droite que le reste des Français. Mais eux aussi votent de plus en plus pour Marine Le Pen, comme l'ensemble de la société", analyse le spécialiste.

Le Rassemblement national qui a fait élire l'immense majorité de ses députés dans des territoires ruraux ne s'y est pas trompé. Plusieurs élus du groupe de Marine Le Pen ont ainsi fait visiter l'Assemblée nationale aux agriculteurs de la Coordination rurale venus à Paris pour mettre la pression sur le gouvernement ce jeudi.

"Le jeu des politiques de chercher à nous draguer"

Une trentaine d'entre eux ont ainsi pu arpenter les couloirs de l'Assemblée accompagnés de 7 députés RN.

"J'entends bien le discours qui monte mais on a été reçu par tous les groupes parlementaires à l'Assemblée ce jeudi à l'exception des écologistes. C'est le jeu des politiques de chercher à nous draguer", analyse l'un des cadres de la Coordination rurale Patrick Legras dans la Somme.

Même constat parmi ses collègues qui jugent le moment propice aux tentatives de séduction, à quelques mois des élections européennes et à moins d'un an des élections des chambres d'agriculture.

"Ce sont les politiques qui se raccrochent à nous et pas l'inverse", avance Édouard Legras, président de la Coordination rurale dans le Loir-et-Cher. "Si Sandrine Rousseau veut venir sur mon exploitation demain matin, elle vient demain matin", a encore assuré l'agriculteur.

"On déjeune pas tous les midis avec Macron"

À voir. Si des échanges ont bien eu lieu à Rungis entre la députée LFI Rachel Kéké, élue du territoire et Véronique Le Flo'ch, présidente de la Coordination rurale, l'accueil n'est pas toujours cordiale.

En juin dernier, la patronne des écologistes Marine Tondelier et Sandrine Rousseau s'étaient vues bloquées l'accès à une exploitation vinicole après des insultes, sous le regard des gendarmes.

"Moi, je ne sais pas pour quoi votent les gens de notre syndicat. Mais ce qui est sûr, c'est qu'on n'est pas copains avec les écologistes qui nous traitent d'empoisonneurs. Et on déjeune pas non plus tous les midis avec Macron", tance un élu de la Coordination rurale.

Des propositions de la Coordination rurale reprises par Attal

Sous le feu des critiques: Jérémy Décerle, un temps président des Jeunes agriculteurs, et désormais député européen pour Renaissance. L'ex député agriculteur et macroniste Jean-Baptiste Moreau est resté proche du président et n'a pas hésité à faire le lien entre la FNSEA et le gouvernement lors de la crise.

"C'est un syndicat qui accepte beaucoup de choses qui sont mauvaises pour les agriculteurs. Quand vous voyez ça et que vous avez envie que les choses s'améliorent en s'engageant, évidemment que vous allez voir ailleurs", observe le député RN Grégoire de Fournas.

Le syndicat majoritaire a par exemple avalisé un accord avec l'exécutif dès juillet sur la question de la hausse de la fiscalité sur le gazole non routier (GNR) utilisé pour faire rouler les tracteurs. C'est pourtant ce dispositif qui a mis le feu aux poudres mi-janvier.

"Le RN pas directement comptable"

Même topo sur la suppression des droits de succession. "C'est nous qui portons ce sujet depuis des mois, personne d'autre", assène ainsi Patrick Legras, agriculteur et membre de la Coordination rurale.

"D'une certaine façon, ce syndicat capitalise sur l'échec des gouvernements ces dernières décennies en matière d'agriculture. Le RN n'est pas comptable donc ça facilite les échanges", décrypte l'historien agricole Édouard Lynch.

Plusieurs élus RN sont d'ailleurs passés par le syndicat comme le député de l'Aude Christophe Barthès ou encore Philippe Loiseau, ex eurodéputé RN et membre de la Coordination rurale à ses débuts. Reconquête est, elle aussi, en embuscade.

Marion Maréchal s'est ainsi affichée tout sourire aux côtés de certains membres de la Coordination rurale à Bruxelles en début de semaine. Un ex de la Coordination rurale et désormais proche d'Éric Zemmour après avoir planché sur le volet agriculture de son programme présidentielle, a résumé en quelques mots le sentiment de ses camarades.

"Faut faire quelque chose de nouveau, monter à Paris, mettre les tracteurs sur les Champs-Élysées, il n'y a que ça. On est mort sinon", a lancé l'agriculteur Sébastien Béraud ce jeudi soir à Arnaud Rousseau, le patron de la FNSEA au micro de BFMTV.

"RN, Reconquête. C'est pas le sujet. On est courtisé de toute part mais ce qu'on veut, c'est des résultats, le reste ne nous intéresse pas", juge Patrick Legras de la Coordination rurale qui renvoie désormais "aux prochains jours" pour voir qui "tient ses promesses politiques".

Marie-Pierre Bourgeois