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Rassemblement national

"La France des oubliés, on la connaît": le RN en embuscade pour capitaliser sur la colère des agriculteurs

Jordan Bardella a multiplié les déplacements ces derniers jours, se mettant en scène au chevet du monde agricole. Si les agriculteurs ont jusqu'ici très peu voté pour le Rassemblement national, la méthode vise à attirer les voix de la ruralité, particulièrement sensibles à la détresse des agriculteurs.

"Il n'y a pas un seul de nos députés ou presque qui n'a pas été à la rencontre des agriculteurs en colère". C'est avec ses mots que l'un des cadres du mouvement résume l'atmosphère dans les rangs du Rassemblement national, bien décidé à capitaliser sur la colère du monde agricole pour marquer des points à 5 mois des élections européennes.

Il faut dire que le mouvement de Marine Le Pen a l'impression de jouer à domicile. Dès l'été dernier, ses députés demandaient au gouvernement de revenir sur la nouvelle taxation du gazole utilisé par les agriculteurs.

"Pas de retard à l'allumage"

Jusqu'ici très peu taxé, Bruno Le Maire a choisi de faire augmenter son coût via des taxes pour des raisons écologiques. La revendication est désormais de tous les blocages autoroutiers.

Même topo sur la question des normes. Lors du Salon de l'élevage à l'automne dernier qui réunit des milliers d'agriculteurs, Jordan Bardella avait été particulièrement bien accueilli, en appelant à "ne pas entraver les paysans avec des milliers de textes".

"On n'a pas de retard à l'allumage parce que la France des invisibles, des oubliés, qui a l'impression qu'elle n'intéresse jamais Macron, on la connaît", assène le député Philippe Ballard auprès de BFMTV.com.

Des rendez-vous "à la demande des syndicats agricoles"

De quoi permettre au patron du parti de multiplier les accueils chaleureux dans des territoires historiquement rétifs au Rassemblement national comme à Lorient ce mardi aux côtés des pêcheurs.

Même topo samedi dans la Gironde. Accompagné du député RN Grégoire de Fournois, viticulteur de profession, la tête de liste aux européennes jouait sur du velours en défendant "le patriotisme économique". Avec une paire de bottes pour multiplier les interviews les pieds dans la boue, très loin de Gabriel Attal qui a, lui, privilégié des échanges avec des habitants dans une mairie du Rhône.

"Nous venons à la demande des syndicats agricoles. Les agriculteurs sont de plus en plus d'accord avec nos idées et au moins, nous, on ne débat pas dans des salons", analyse Gilles Penelle, le directeur général du RN.

"On a enlevé des irritants"

Longtemps persona non grata au sein d'un monde agricole qui a très longtemps voté massivement à droite, la donne semble en train de changer pour le parti sur le terrain, sans se manifester dans les urnes.

Jusqu’où peut aller la colère des agriculteurs?
Jusqu’où peut aller la colère des agriculteurs?
17:45

Dans un sondage Ifop pour la FNSEA, les agriculteurs assuraient avoir l'intention à quelques semaines de la présidentielle de 2022 vouloir voter au premier tour pour Emmanuel Macron à 30% contre seulement 11% pour Marine Le Pen. Valérie Pécresse, alors la candidate de la droite, récoltait pas moins de 13%, soit près 3 fois son score au niveau national.

"On a enlevé des irritants qui peuvent faire basculer les choses. Nous ne voulons plus sortir de l'Union européenne. On veut mettre le paquet sur la souveraineté en sortant des accords de libre-échange et renforcer la PAC avec des aides nationales. Ça parle bien aux agriculteurs, tout ça", juge encore Gilles Penelle.

"Le symbole de toute cette France qui travaille dur"

Peut-être de quoi convaincre les agriculteurs de voter pour eux. Mais en réalité, moins que les voix agricoles, assez faibles en terme de population - moins de 2% des actifs - c'est bien la chasse aux votes ruraux et périurbains qui est ouverte.

"En France, il n'existe plus de circonscription où le poids des agriculteurs est suffisamment fort pour faire basculer le scrutin. Donc le but est de capitaliser sur leur ras-le-bol en l'étendant à d'autres problématiques", analyse le sociologue Bertrand Hervieu, spécialiste des questions agricoles.

Avec un certain succès aux législatives de juin 2022: l'immense majorité des circonscriptions détenues par le RN sont rurales.

"La colère du monde agricole parle dans toutes les campagnes, bien au-delà de ceux qui ont des exploitations. Ce ras-le-bol, c'est le symbole de cette France qui travaille dur, mais qui n'arrive pas à en vivre, comme ailleurs en Europe", assume d'ailleurs la députée Mathilde Paris.

"On marche sur la tête"

De quoi pousser les députés RN à adopter certains codes de la contestation paysanne. Pour tenter d'engranger des soutiens et dénoncer un monde qui "marche sur la tête", un slogan très entendu dans les blocages de ronds-points, une poignée de députés RN ont symboliquement retourné leur photo sur les réseaux sociaux.

Ils mettent ainsi leurs pas dans ceux du monde agricole qui ont retourné des dizaines de panneaux de noms de communes à l'entrée des villes.

"On marche aussi sur la tête quand l'inflation alimentaire empêche les gens de manger correctement, que chaque passage à la pompe coûte 50 euros et que votre facture d'électricité va encore augmenter", s'agace un cadre du RN.

La technique des panneaux retournés est directement inspirée des Pays-Bas où toute l'année 2022, des drapeaux néerlandais ont été inversés dans les champs.

Au Rassemblement national, on a d'ailleurs suivi de très près comment les eurosceptiques ont su capitaliser ces derniers mois sur le courroux des agriculteurs pour gagner les élections.

"Pas de raz-de-marée" RN

En mars dernier, le mouvement agriculteur-citoyen aux Pays-Bas, le BBB, a fait une entrée fracassante au Sénat. En moins de 4 ans, ce parti lancé à la faveur de manifestations agricoles a raflé près de 20% des sièges. Un exploit dans ce pays qui ne compte qu'à peine 1,5% d'agriculteurs dans sa population active.

Surtout, cette percée a permis à l'extrême droite de Geert Wilders de largement l'emporter aux législatives en fin d'année.

Autant dire que la colère du monde agricole a tout d'un oiseau de mauvais augure pour le gouvernement, déjà à la peine dans tous les sondages avant le scrutin européen, poussant Gabriel Attal à hausser le ton ce mardi devant l'Assemblée nationale. Le Premier ministre a ainsi accusé Jordan Bardella de "butiner de colère en colère".

"Je ne crois pas que le monde rural votera encore plus RN cette fois-ci. Ceux qui veulent le faire le font déjà et il n'y aura pas de raz-de-marée", tente de se rassurer un sénateur macroniste.

"Profil bas"

En attendant, Emmanuel Macron cherche désespérément une tête de liste aux européennes qui aurait valeur de symbole. Le nom de Julien Denormandie, ex-ministre de l'Agriculture, pourrait sortir du chapeau.

"Dans le genre techno qui a un bilan désastreux, on fait pas mieux et je vois pas bien comment ce pur produit de la technocratie va remettre du bon sens au niveau européen pour nos agricultures", tance un cadre du mouvement.

Réponse à Renaissance: "quand on voit ce qu'a fait le Brexit aux agriculteurs anglais qu'a soutenu corps et âme le RN, je ferai probable profil bas à leur place".

Marie-Pierre Bourgeois