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Émeutes: couper les allocations sociales des parents de mis en cause, une solution efficace?

Plusieurs lieutenants LR et RN proposent de suspendre les allocations familiales des parents dont un enfant a participé aux émeutes des derniers jours. Si la solution a déjà visé des familles pour l'absentéisme de leurs enfants, elle n'a été appliqué que par des mairies dans les cas de délinquance et posent des questions de légalité.

Une solution pour tenter de sanctionner les parents des émeutiers. De Jordan Bardella à Éric Zemmour, plusieurs figures de la droite et de l'extrême droite proposent de suspendre les allocations familiales aux familles de mineurs qui ont participé aux émeutes depuis la mort du jeune Nahel à Nanterre. La mesure est pourtant loin d'être évidente à mettre en place.

Une réforme dans le même esprit a déjà été bien votée en 2010 sous Nicolas Sarkozy. Dans le viseur: les familles dont les enfants sont déscolarisés. Portée à l'époque par Éric Ciotti, la mesure suspendait le paiement des allocations familiales versées par la CAF tant que l'enfant scolarisé n'avait pas repris le chemin de l'école pendant au moins un mois.

Le succès de la mesure contre l'absentéisme scolaire

Quelques mois après son adoption à l'Assemblée nationale, un premier bilan semble concluant. Quelque 7000 élèves en situation d'absentéisme chronique auraient repris le chemin des salles de cours en seulement quelques mois, d'après Le Parisien. Plus que la suspension en elle-même des allocations familiales qui n'a été effectué que dans 31 dossiers, c'est plutôt la menace qui apparaît comme efficace.

La mesure est finalement abrogée après l'élection de François Hollande. Saisi par une association de parents d'élèves qui juge que la mesure rompt le principe d'égalité entre les familles, la mesure a cependant été jugée conforme par le Conseil constitutionnel.

"Arriver à sanctionner financièrement et facilement les familles"

Au Sénat comme à l'Assemblée, les élus LR tentent régulièrement de remettre le sujet sur la table, sans y parvenir. Jean-Michel Blanquer, alors ministre de l'Éducation nationale, laisse la porte ouverte au retour de cette sanction mais le gouvernement dit rapidement non à cette hypothèse.

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La possibilité de suspendre les allocations familiales est finalement revenue du côté de l'exécutif, après les émeutes liées à la mort de Nahel par un tir de policier à Nanterre.

Si Emmanuel Macron a multiplié dans un premier temps les appels à "la responsabilité" des parents, le président est désormais aussi tenté de recourir au bâton. "Il faudrait qu'à la première infraction, on arrive à sanctionner financièrement et facilement les familles", a ainsi lancé le chef de l'État lors d'un visite auprès de policiers à Paris ce lundi soir, d'après des propos rapportés par Le Parisien.

Le président a cependant précisé vouloir agir "au cas par cas" et "pas forcément" en passant par des suspensions d'allocations familiales.

Des mairies qui privent les parents de prestations communales

Parmi les pistes possibles: celle de décisions portées par les maires. Ces dernières années, plusieurs édiles ont fait le choix de priver les familles dont les enfants ont commis de délits des prestations sociales. De la gratuité de la cantine à l'accès à l'épicerie solidaire en passant par une aide financière pour les factures d'électricité, la suspension peut toucher de nombreux pans de l'action sociale municipale qui aident des familles en grande difficulté financière.

Dernier exemple en date à Caudry dans le Nord. "Contre la délinquance, j'ai tout essayé", assure en avril 2021 Frédéric Bricout, le maire UDI de cette commune lorsqu'il décide de mettre en place ce système.

Deux mois après avoir fait voter une délibération municipale en ce sens, "les jeunes se sont fortement calmés et les perturbateurs sont rentrés dans le rang", affirme l'édile auprès de France info. "À mon avis, les parents leur ont demandé d'arrêter, pour ne pas perdre leurs aides."

Plusieurs municipalités ont mené ces dernières années des dispositifs similaires de Poissy à Valence en passant par Rillieux-la-Pape. Dans cette commune de la métropole de Lyon, la mairie reconnaît cependant qu'il n'y a pas d'effet magique.

"Des mesures souvent discriminatoires"

"Les violences urbaines prennent de l'ampleur", reconnaît Alexandre Vincendet (LR), l'édile de l'époque, désormais député, tout en expliquant qu'un "certain nombres de jeunes" convoquée avec leur famille "ne font plus parler d'eux".

"On est dans des mesures très souvents discriminatoires mais quand vous êtes dans le besoin, vous vous pourvoyez rarement devant la justice pour contester la décision d'une mairie", fait remarquer Louis Le Foyer de Costil, avocat en droit public auprès de BFMTV.com.

Parmi les motifs qui peuvent remettre en cause la décision d'un maire, on peut citer le principe d'individualisation des peines:

"Vous punissez un parent pour un fait qu'il n'a pas commis avec une sanction qui, par ailleurs, dépend d'un élu local qui n'est pas juge. C'est un peu étrange".

Autre élément qui peut interroger: la rupture d'égalité. "En général, on vous retire une prestation sociale parce que votre situation familiale change ou que vos revenus évoluent. Et puis pour d'autres personnes, c'est lié au comportements des enfants. Ça veut dire que les critères ne sont pas les mêmes pour tous et ça pose la question de l'égalité entre les prestataires", avance encore Louis Foyer de Costil.

"Pas de nature à stabiliser la situation financière" des familles

La mesure est d'ailleurs très loin de faire consensus sur les bancs de la majorité. Après le choix de la ville de Valence dirigée par un maire LR de supprimer les aides sociales aux familles de mineurs délinquants en avril 2020, Olivier Véran s'était dit "scandalisé". La Défenseure des droits avait également été saisie par la députée Renaissance Mireille Clapot.

"La privation d'un secours financier accordé à une famille en difficulté (....) n'est pas de nature à stabiliser la situation financière de cette famille', notamment si elle compte d'autres enfants "en rien concernés par les agissements du fautif ou de la fautive", souligne alors l'institution qui appelle la ville à annuler la mesure.

La mairie de Valence n'a cependant pas reculé et juge le bilan positif. Si "aucune" sanction n'a finalement été appliquée, "la menace a suffit" pour changer les choses, a affirmé Nicolas Darangon, le maire LR de Valence sur France bleu.

Éric Dupond-Moretti a indiqué ce mercredi après-midi devant les sénateurs ne pas envisager la modification des règles du versement des prestations sociales.

Marie-Pierre Bourgeois