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Lettre de Hollande à la justice : mélange des genres ?

François Hollande a-t-il violé la séparation des pouvoirs, comme l'accuse Me Pardo ?

François Hollande a-t-il violé la séparation des pouvoirs, comme l'accuse Me Pardo ? - -

Dans une lettre, le président soutient sa compagne, qui attaque les auteurs de "La Frondeuse" pour diffamation. Pour la défense de la partie adverse, "la séparation des pouvoirs a été violée". Vraiment ?

"Moi, président, je ferai fonctionner la justice de manière indépendante". Cette promesse date de mai dernier, lors du débat qui a opposé François Hollande à Nicolas Sarkozy. C'était aussi le 53e des 60 engagements du candidat socialiste.

Plus de six mois plus tard, François Hollande écrit une lettre au Tribunal de grande instance de Paris, pour soutenir sa compagne, qui attaque en diffamation les auteurs de La Frondeuse. Une lettre sans en-tête, où le président indique uniquement, en plus de sa signature, habiter le XVe arrondissement de Paris.

Dans le courrier en question, adressée au Tribunal de grande instance de Paris, François Hollande "(tient) à dénoncer comme pure affabulation les passages du livre La Frondeuse concernant une prétendue lettre jamais écrite et donc jamais parvenue à son prétendu destinataire. "L’intervention ne peut être un procédé dans un essai politique sauf à être présenté comme un roman", ajoute-t-il.

Une intervention à titre privé

La lettre du président à la justice est "un témoignage personnel", et "pas une pression", a précisé un proche d'Hollande lundi en fin de matinée. Mais la polémique est déjà lancée. "La séparation des pouvoirs a été violée. Le président de la République est garant de l'indépendance de la magistrature. C'est absolument incroyable ! On nage en plein délire", a commenté l'avocat des auteurs de La Frondeuse, Me Olivier Pardo.

Est-ce vraiment le cas ? D’un point de vue juridique, l’affaire n'est pas répréhensible : "Cette intervention relève uniquement de la sphère privée. Elle n’affecte en rien la fonction présidentielle", explique à BFMTV.com Pascal Jan, spécialiste en droit public.

"Lorsque François Hollande avait dit qu’il n’interviendrait pas dans des affaires de justice, on peut supposer qu'il pensait à des affaires publiques", argumente le juriste avant d'ajouter : "La séparation des pouvoirs n’empêche pas une intervention à titre privé dans une affaire de justice. S’il y a un impact à cette intervention, il est politique. Mais juridiquement, cela ne pose pas de problème. D'ailleurs, d'autres présidents l'ont déjà fait avant lui."

Sarkozy, l'affaire du SMS et Clearstream

Le spécialiste en matière de poursuites judiciaires était le Général de Gaulle : une dizaine de fois, ce dernier a attaqué des publications pour "offense au président" - un délit qui existe toujours, malgré la tentative de Jean-Luc Mélenchon de le supprimer.

Les présidents Pompidou, Giscard, Mitterrand et Chirac ont ensuite très peu fait usage du droit à poursuivre en justice. Pour les deux premiers, il s'agissait d'attaques pour droit à l'image. C'est Nicolas Sarkozy qui y a le plus recouru, notamment dans l'affaire du SMS ("Si tu reviens, j'annule tout") ou encore de l'affaire Clearstream. Il fut notamment le premier président de la Ve république à porter plainte pour "faux, usage de faux et recel".

"Ce n'est qu'une lettre"

Dans le cas Hollande, "il n'est même pas partie civile. Il ne s'agit que d'une lettre", rappelle Pascal Jan. Mais cela n'a pas empêché l'UMP de bondir. Plusieurs membres de l'opposition ont exprimé leur "stupéfaction" après l’intervention de François Hollande. "Intervention ahurissante et choquante du chef de l'Etat et du ministre de l'Intérieur auprès du TGI de Paris dans l'affaire Trierweiler", commente ainsi sur son compte Twitter Eric Ciotti, député R-UMP, soutien de François Fillon.

"Mélange de genres ? Confusion des pouvoirs ?", s'interroge Bruno Beschizza, secrétaire national de l'UMP. Le responsable relève que "Hollande avait promis d'interdire les interventions du gouvernement dans les dossiers individuels. Ce n'est finalement qu'un énième reniement de plus", conclut-il.