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Présidentielle: pourquoi Macron dispute à Le Pen l'usage du mot "patriote"

Emmanuel Macron le 23 avril 2017 à Paris, au Parc des expositions de la porte de Versailles

Emmanuel Macron le 23 avril 2017 à Paris, au Parc des expositions de la porte de Versailles - Eric Feferberg-AFP

"Le président des patriotes", l'anaphore "être patriote": le terme, massivement employé par le Front national, est apparu à dessein dans les discours d'Emmanuel Macron. Analyse.

Il s'est présenté comme "le président des patriotes face aux nationalistes". Dimanche soir, après le premier tour de l'élection présidentielle qui a vu Emmanuel Macron et Marine Le Pen arriver en tête avec respectivement 23,87% et 21,43% des voix, le candidat d'En Marche! a de nouveau utilisé le terme "patriote" lors de son discours au Parc des expositions de la porte de Versailles, à Paris. Un choix qui n'est pas anodin.

"Être patriote, ce n'est pas le Front national"

"Emmanuel Macron a commencé à utiliser ce terme bien avant son discours dimanche, dans des proportions moins importantes que Marine Le Pen, mais de manière plus régulière que François Fillon ou Jean-Luc Mélenchon", remarque pour BFMTV.com Damon Mayaffre, chercheur au CNRS spécialisé dans l'analyse du discours politique à l'université Nice-Sophia-Antipolis. Au cours de sa campagne, l'ancien ministre de l'Économie avait revendiqué incarner le camp des "patriotes", comme lors d'un meeting à Marseille début avril. Il en avait même fait une anaphore:

"Être patriote, ce n'est pas la gauche qui s'est rétrécie sur ses utopies. Être patriote, ce n'est pas la droite qui se perd dans ses avanies et l'esprit de revanche. Être patriote, ce n'est pas le Front national, le repli et la haine qui conduira à la guerre civile. Être patriote, c'est vouloir une France forte, ouverte dans l'Europe et regardant le monde."

Patriotes contre nationalistes

Si l'on s'en tient au Larousse, un patriote est quelqu'un "qui aime ardemment sa patrie et le prouve par ses actes". Dans le discours politique pourtant, ce mot a traditionnellement été employé par l'extrême droite. Toujours dimanche soir, la candidate du Front national Marine Le Pen a lancé "un appel à tous les patriotes sincères" pour le second tour. Marion Maréchal-Le Pen, députée FN du Vaucluse, a quant à elle évoqué une "victoire historique des patriotes" pour saluer le score de sa tante. "Il y a une bagarre linguistique et sémantique autour de ce mot pour en imposer sa signification", analyse pour BFMTV.com Julien Longhi, professeur de linguistique à l'université de Cergy-Pontoise. 

Comme le précise Damon Mayaffre, également responsable scientifique du site Mesure du discours qui analyse statistiquement les propos des politiques, les significations qui lui sont données sont diverses depuis le 19e siècle et parfois contradictoires, le terme pouvant être revendiqué aussi bien par l'extrême droite que l'extrême gauche.

"Il y a les nationalistes qui défendent le territoire et ceux qui estiment que la nation est une construction politique. Historiquement, depuis 1792 et la bataille de Valmy, les patriotes sont ceux qui défendent la République contre la monarchie."

Un univers lexical différent

Le dictionnaire indique également qu'un patriote était, en 1789, un "partisan des idées nouvelles de la révolution, par opposition aux aristocrates". Si l'on s'en tient aux mots associés à "patriote", l'univers lexical n'est pas le même au FN ou du côté d'En Marche.

"Chez Marine Le Pen, le patriotisme s'oppose à la mondialisation: un patriote étant celui qui défend le territoire et ses frontières, remarque Damon Mayaffre qui a analysé les co-occurences du terme. La "fiérté" d'être "français" amène à la "confrontation" avec ceux qui essayent de les "déposséder" de leur territoire. Pour Emmanuel Macron, le patriotisme s'oppose au nationalisme avec une certaine idée d'universalisme et de République. "L'espoir" et "l'ambition" doit alors mener vers une vision "ouverte" du patriotisme français sur "l'Europe"."

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"Vous n'avez pas le monopole du patriotisme"

Le candidat d'En Marche! essaie ainsi de redonner un sens différent à ce mot qui a longtemps été le "fond de commerce lexical du FN", juge Damon Mayaffre. La stratégie d'Emmanuel Macron est donc double.

"Il affirme que le Front national n'a pas le monopole de la revendication d'un amour pour la France. Et assure qu'on peut aimer la patrie sans être du FN, considère Arnaud Mercier, professeur en communication politique à l'Université Paris 2 Assas joint par BFMTV.com. Et se positionne dans l'héritage de la gauche française", ajoute le spécialiste, également président de The Conversation, un site d'expertises universitaires.

C'est également le point de vue de Marie Treps, linguiste et sémiologue auteure de "Maudits mots: la fabrique des insultes racistes", jointe par BFMTV.com.

"Opposer le patriote au nationaliste comme l'a fait Emmanuel Macron, c'est rappeler au FN qu'il n'en est pas le propriétaire exclusif, comme s'il lui disait "vous n'avez pas le monopole du patriotisme". C'est le même procédé que le "vous n'avez pas le monopole du cœur" de Valéry Giscard d'Estaing face à François Mitterrand."

Parer aux attaques de Marine Le Pen

En faisant fleurir des "patriotes" dans ses discours, le candidat d'En Marche! a également anticipé le deuxième tour face à l'ex-présidente du parti d'extrême droite qui était annoncé dans les sondages ces derniers mois. L'objectif, en plus d'être symbolique, est de tordre le cou aux attaques de sa rivale qui dépeint Emmanuel Macron comme le candidat d'une mondialisation sauvage.

"Il contre les arguments du FN qui dessine un clivage France contre l'Europe dans un rapport binaire, pointe Julien Longhi. Et dénonce une conception figée de la patrie. Emmanuel Macron stigmatise ainsi ce qu'il considère comme une idée de la nation en vase clos, héritée et arrêtée dans le temps, repliée sur elle-même et tournée vers le passé. Une vision selon lui stigmatisante qui fait le tri entre ceux qui y appartiennent et ceux qui n'y appartiennent pas."

Mais comme le note le professeur de linguistique, le candidat d'En Marche! part de loin. "Les éléments de langage du FN sont rodés sur la question de la patrie comme une idéologisation et une réponse systématique à tous les problèmes." Sans doute aussi pour cela qu'il s'est emparé des autres symboles tricolores.

"C'est quasiment le seul candidat à distribuer des drapeaux français et européens lors de ses meetings, contrairement à Marine Le Pen qui a fait retirer le drapeau européen avant une interview télévisée, ajoute Arnaud Mercier. Il montre ainsi qu'il ne joue pas la France contre l'Europe mais avec elle."

Le dossier complet de BFMTV.com consacré à l'élection présidentielle

https://twitter.com/chussonnois Céline Hussonnois-Alaya Journaliste BFMTV