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Politique

Algérie, Chili, Fillon... La contestation par les casseroles, une pratique qui ne date pas de 2023

Les déplacements de plusieurs membres du gouvernement sont accompagnés depuis plusieurs jours de manifestants faisant retentir des casseroles. Un mode de contestation politique dont on trouve des traces depuis le XIXe siècle en France.

Des "dispositifs sonores portatifs" sont utilisés depuis longtemps de manière politique. Depuis ce lundi, des casseroles - au sens propre - accompagnent Emmanuel Macron et ses ministres dans leurs déplacements. Leurs opposants martèlent l'ustensile en signe de contestation contre la réforme des retraites et la politique du gouvernement en général.

À l'appel notamment de l'association altermondialiste Attac, elles ont fait irruption dans le mouvement contestataire ce lundi à 20 heures, lors de l'allocution du chef de l'État. Cet ustensile de cuisine est encore plus devenu un symbole de contestation après l'arrêté pris mercredi par le préfet de l'Hérault interdisant les "dispositifs sonores portatifs" à certains endroits de Ganges, en prévision de la visite d'Emmanuel Macron dans cette ville le lendemain.

Si les casseroles ne sont pas spécifiquement mentionnées, à l'entrée du village, des gendarmes ont ouvert les sacs et les ont confisquées, selon un journaliste de LCI présent sur place. Ce vendredi, Gérald Darmanin a assuré sur Franceinfo que "les casseroles ne sont pas interdites" et qu'il s'agissait d'une "mauvaise interprétation" des gendarmes.

Des casseroles déjà politiques au XIXe siècle

L'utilisation politique de la casserole n'est pas nouvelle. En France, on en trouve des traces dès la monarchie de juillet, expliquait l'historien Emmanuel Fureix en 2017 sur France Culture. La méthode remonte aux charivaris qui "visaient depuis le Moyen Âge au village les mariages mal assortis, les veufs remariés avec des jeunes filles", développait-il.

Ils "étaient accueillis par un rituel d'humiliation, un concert tonitruant de casseroles notamment", ajoutait l'historien spécialiste du XIXe siècle.

Le choix de l'outil n'est pas anodin. "Symboliquement, la casserole renvoie aux besoins de la population, à ses préoccupations privées. Il y a une forme de transgression lorsque la sphère privée débarque dans l’espace public. C’est plus qu’une simple interpellation de l’État", soulignait Marcos Ancelovici, sociologue des mouvements sociaux, auprès du Temps en 2019.

"C’est la nature même du domestique qui résonne. Et puis, les casseroles font beaucoup de bruit", insistait-il.

Les "casseroles" de Fillon

Depuis le XIXe siècle, la casserole a été utilisée comme un outil contestataire dans plusieurs pays. Pendant la guerre d'Algérie (1954-1962), ce sont les partisans de l'Organisation armée secrète (OAS) qui font tinter leurs casseroles pour défendre l'Algérie française, comme le montre un article du Monde de 1961.

Autre exemple, cette fois en Amérique du Sud: en 1971, des Chiliens de la bourgeoisie s'emparent de leurs casseroles pour protester contre les pénuries de nourriture sous le régime socialiste de Salvador Allende, avant le coup d'Etat de 1973. Des Chiliens des classes populaires protestent ensuite contre la dictature d'Augusto Pinochet, en plein couvre-feu, en faisant résonner les casseroles depuis chez eux.

Plus récemment, en France, c'est en 2017 que des casseroles ont à nouveau signifié contestation politique. Des meetings et déplacements de François Fillon sont perturbés par des "casserolades" d'opposants, faisant écho aux "casseroles" du candidat à la présidentielle.

L'ancien Premier ministre fait alors face à une succession de révélations: emplois présumés fictifs de son épouse Penelope et de leurs enfants, prêt de 50.000 euros non déclaré d'un ami, costumes de luxe offerts par un autre ami. Le "Penelopegate" lui vaudra une condamnation à une peine de prison. Il s'est pourvu en Cassation.

De nouveaux concerts de casserole vendredi

Tous les politiques ne semblent pas goûter à cette méthode de protestation. Ce jeudi, lors de son déplacement dans l'Hérault, Emmanuel Macron a évoqué la possibilité d'aller à la rencontre des manifestants, "si les gens sont prêts à parler".

"Si c'est pour les œufs et les casseroles, [ça] c'est fait pour faire la cuisine", a-t-il plaisanté lors d'un échange avec le député LFI Sébastien Rome.

Ce vendredi encore, les casseroles ont retenti dans l'Indre, en Saône-et-Loire et en Seine-Saint-Denis à l'occasion de déplacements de la Première ministre, Élisabeth Borne, du ministre du Travail, Olivier Dussopt et du ministre de la Santé, François Braun.

Sophie Cazaux avec AFP