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Y a-t-il encore d'autres affaires Nordahl Lelandais?

Nordahl Lelandais.

Nordahl Lelandais. - BFMTV

Pendant deux ans, le parcours de vie de Nordahl Lelandais a été épluché pour tenter de trouver un lien avec d'autres affaires non élucidées. Si l'ombre du tueur en série s'éloigne, certaines familles croient toujours en cette piste.

Le 14 février 2018, les gendarmes découvrent le corps de Maëlys de Araujo, une fillette de 8 ans, sur les indications de Nordahl Lelandais. L'ancien militaire, alors âgé de 34 ans, reconnaît avoir tué l'enfant de manière accidentelle - il a été condamné ce vendredi à la réclusion criminelle à perpétuité dans cette affaire. Un mois et demi plus tard, l'homme avoue le meurtre d'Arthur Noyer, un jeune caporal de 23 ans, dont des ossements avaient été découverts six mois plus tôt par un randonneur dans la région de Chambéry.

Deux victimes au profil totalement différent, des mobiles incertains... Les enquêteurs tiennent-ils un tueur en série en la personne de Nordahl Lelandais? C'est la question qui s'est posée avec la création par la gendarmerie début 2018 de la cellule Ariane pour retracer le parcours de vie de l'ancien militaire réformé pour infirmité. Pendant deux ans, les enquêteurs ont épluché 900 affaires d'homicides suspects ou de disparitions en Savoie, dans l'Isère, la Marne, l'Hérault ou le Gard afin de faire des recoupements avec le parcours de Nordahl Lelandais depuis le début des années 2000.

De ce travail minutieux d'enquête sont ressortis 40 dossiers, dont 14 affaires classées prioritaires, sans que l'on sache lesquelles. Les dossiers ont toutefois été retournés dans leur juridiction pour que des vérifications soient effectuées, la cellule n'ayant pas vocation à enquêter.

Une piste abandonnée dans certains dossiers

La piste Lelandais a été rapidement abandonnée dans la disparition de Lucas Tronche, un adolescent de 16 ans dont le corps a fini par être découvert en juin 2021. Mais aussi dans le dossier de la tuerie de Chevaline ou celui concernant la disparition d'Estelle Mouzin, avant que Michel Fourniret ne soit officiellement impliqué dans l'enlèvement et le meurtre de la fillette en janvier 2009.

Dans d'autres affaires moins médiatiques, l'hypothèse semble là aussi avoir été évacuée, même si des doutes demeurent, portés le plus souvent par les familles.

"Toutes les hypothèses restent ouvertes", estime Me Corinne Hermann, l'avocate des familles de Jean-Christophe Morin et Ahmed Hamadou, disparus lors d'un festival de musique au fort de Tamié, en Savoie, à un an d'intervalle. "Ça peut être lui, mais ça peut être quelqu'un d'autre. Ça peut aussi être deux personnes différentes comme ça peut être la même personne avec un complice."

Jean-Christophe Morin a disparu le 10 septembre 2011 lors du festival "Elements 2". Ce soir-là, le jeune homme de 22 ans se trouve en compagnie d'un de ses meilleurs amis. Puis ils se perdent de vue au cours de la soirée. Jean-Christophe est vu par un témoin quitter l'enceinte du festival, l'air hagard, dans un état de grande nervosité. "Quelqu'un me veut du mal" dit-il à ce témoin qui cherche à lui parler.

Le fort de Tamié, près d'Albertville, où ont disparu Jean-Christophe Morin et Ahmed Hamadou, en 2011 et 2012.
Le fort de Tamié, près d'Albertville, où ont disparu Jean-Christophe Morin et Ahmed Hamadou, en 2011 et 2012. © JEAN-PIERRE CLATOT / AFP

Son ami vient toquer, deux jours plus tard, à la porte de la camionnette dans laquelle il vit depuis qu'il a quitté Paris pour venir en Savoie, où réside sa sœur. Le véhicule est vide. La famille de Jean-Christophe Morin est avertie, une plainte est déposée, des recherches sont organisées. Hormis la découverte d'un sac à dos près d'un conteneur à verre, aucune trace du jeune homme n'est retrouvée.

Un an plus tard, l'histoire se répète. Ahmed Hamadou disparaît lui aussi mystérieusement alors qu'il participe, lui aussi, au festival de musique électro sur les hauteurs du fort de Tamié. En octobre 2020, un promeneur découvre un crâne dans une forêt voisine. Les premières expertises menées par les gendarmes établissent qu'il s'agit bien de l'homme de 45 ans disparu 7 ans plus tôt. De nouvelles analyses doivent toutefois encore être menées pour le confirmer. Mais la réponse se fait attendre.

"C'est une première réponse pour la famille, souffle Me Hermann, mais il faut encore chercher, on n'a pas assez cherché." "Les familles ont des interrogations sur Nordahl Lelandais, elles ont besoin de réponses", poursuit l'avocate spécialisée dans ces affaires non élucidées.

Pour ces proches, trop d'éléments sont relevés pour que la piste Lelandais soit abandonnée. Il y a d'abord la proximité géographique à la fois entre le lieu du festival, le domicile de Nordahl Lelandais mais aussi le massif des Bauges où le crâne d'Arthur Noyer a été retrouvé. Ahmed Hamadou était par ailleurs de Pont-de-Beauvoisin, là où a disparu Maëlys le 27 août 2017, à quelques kilomètres à peine de Domessin où réside les parents du meurtrier. "Ils se connaissaient forcément", plaide l'avocate.

Ahmed Hamadou, l'un des deux disparus du Fort de Tamié.
Ahmed Hamadou, l'un des deux disparus du Fort de Tamié. © BFMTV

Il y a aussi ce contexte festif dans lequel les disparitions de Jean-Christophe Morin et Ahmed Hamadou ont eu lieu. Deux hommes, sans moyen de locomotion, qui s'évanouissent dans la nature en pleine soirée. Autant d'éléments qui ne sont pas sans rappeler que Nordahl Lelandais a rencontré le jeune caporal de 23 ans, Arthur Noyer, alors que ce dernier faisait du stop pour quitter Chambéry où il venait de passer la soirée dans une discothèque.

"Il y a toujours des zones d'ombre"

Thomas Rauschkolb avait 18 ans quand il est mort. Son corps a été découvert sur les berges de la rivière du Sierroz, en bas d'un ravin de 15 mètres, à Grésy-sur-Aix, au nord d'Aix-les-Bains. Cette soirée de décembre 2015, il l'avait passée dans une discothèque, le Studio 54, un endroit que fréquentait également Nordahl Lelandais, comme le prouve une photo exhumée sur les réseaux sociaux. Ce soir-là, il fait -5°C. Pourtant le jeune homme sort de l'établissement sans son blouson.

"Il courait dans une direction", assure Me Bernard Boulloud, l'avocat de la famille Rauschkolb. La direction opposée à celle de son domicile. Sa ceinture a été retrouvée accrochée au premier des deux grillages qui séparent le chemin du ravin. Lorsque son corps est découvert, il lui manque une chaussure. Il n'y avait pas de trace de sang autour. "Un gendarme s'est posé la question de savoir s'il était tombé du haut du ravin", affirme Me Boulloud.

Thomas Rauschkolb est mort en décembre 2015.
Thomas Rauschkolb est mort en décembre 2015. © BFMTV

L'enquête a pourtant conduit rapidement à un accident. À la lecture de l'affaire Lelandais, la famille obtient que le corps de Thomas Rauschkolb soit exhumé pour qu'une autopsie soit réalisée, ce qui n'avait jamais été fait avant mars 2021.

Les premiers résultats sont revenus mais l'avocat a déposé une demande d'actes complémentaires. Dix sur douze ont d'ores et déjà été acceptés, le conseil a fait appel pour les deux rejetés par le juge d'instruction. "Si c'est accepté, c'est qu'il y a toujours des zones d'ombre", estime Me Boulloud.

Dans ce dossier aussi, les similitudes avec les affaires Maëlys et Arthur Noyer sont nombreuses. "On sait que Lelandais a fait quatre allers-retours entre Aiguebellette et Chambéry le soir de la mort de Thomas, son portable borne au nord de la ville (où se trouve la discothèque, NDLR)", rappelle l'avocat qui représentait la famille d'Arthur Noyer au procès de l'ancien militaire en juin dernier. "Une soirée, des allers-retours, un ravin..."

Pourtant, un officier de police judiciaire a indiqué que la piste Lelandais était "peu probable". "Peu probable, ça n'exclut pas", martèle Me Boulloud.

"On ne sait pas ce qui a été fait"

La cellule Ariane, composée de sept enquêteurs du pôle judiciaire de la gendarmerie nationale, a depuis laissé sa place à la division des affaires non élucidées, la division Diane. Lancée en 2020, cette division applique les méthodes de travail expérimentées pour le parcours de vie de Nordahl Lelandais mais de façon plus pérenne et sur d'autres dossiers.

Comme ses confrères Mes Hermann et Boulloud, Me Christian Saint-André déplore toutefois le manque d'informations transmis par les enquêteurs ou les juges concernant ces dossiers susceptibles d'avoir un lien avec Nordahl Lelandais. Son dossier, celui sur la disparition de Lucie Roux, a été classé sans suite le 30 avril 2021. "On ne sait pas ce qui a été fait", explique l'avocat.

Cette femme de 43 ans a disparu le 16 septembre 2012 alors qu'elle était hospitalisée à l'hôpital de Bassens, spécialisé dans les soins en santé mentale. Elle y vivait en colocation dans un appartenant attenant à la structure. Nordahl Lelandais a lui aussi séjourné dans cet établissement et a été vu en train de déjeuner avec la jeune femme, selon un témoin. La piste du suicide a toujours été privilégiée.

"Des témoins n'ont jamais été auditionnés par la justice dans cette affaire, à commencer par les colocataires de Lucie Roux, s'interroge Me Saint-André. Quand on se suicide, on retrouve toujours une trace, un corps... Lucie a fait une mauvaise rencontre, c'est une certitude."

Une plainte avec constitution de partie civile pour séquestration et enlèvement doit être déposée prochainement avec l'espoir que de nouvelles vérifications soient effectuées.

Une "prise de conscience" pour les enquêteurs

"S'il y a des affaires en lien avec Nordahl Lelandais, elles sont encore instruites", assure à BFMTV.com le lieutenant-colonel Brunel-Dupin, la cheffe de la division Diane. Sans préciser si la cellule Ariane, lancée au début de l'année 2018, a donné ou non des résultats sur certaines affaires.

Ce qui est certain, c'est que ce travail réalisé à partir du parcours de vie de Nordahl Lelandais a livré des enseignements. "La cellule Ariane a été une mission très compliquée qui a toutefois permis une prise de conscience", assure la gendarme. Cela nous a permis de réfléchir à comment on peut gérer mieux et plus vite."

Des réponses plus vite, c'est le seul souhait de toutes ces familles. "On a ouvert des portes, maintenant il faut les fermer", conclut Me Corinne Hermann.
https://twitter.com/justinecj Justine Chevalier Journaliste police-justice BFMTV