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"Je savais que je n'allais pas me faire exploser": interrogé sur le 13-Novembre, Mohamed Abrini peine à convaincre

Croquis d'audience de Mohamed Abrini, debout, le 2 novembre 2021, au Palais de justice de Paris

Croquis d'audience de Mohamed Abrini, debout, le 2 novembre 2021, au Palais de justice de Paris - Benoit PEYRUCQ © 2019 AFP

Mohamed Abrini a admis qu'il était dans les projets initiaux des attentats du 13-Novembre. Assurant n'avoir jamais eu l'intention d'y participer, il en a profité pour dédouaner son ami Abdeslam.

Quand Mohamed Abrini parle de manière spontanée, il le fait d'un débit rapide. À la lumière de ses déclarations aux premières minutes de la 101e journée du procès des attentats du 13-Novembre, la salle d'audience a l'espoir que celui qui est considéré comme l'un des logisticiens des attaques précise ses déclarations de la semaine dernière. "Bas les masques, monsieur le président!", lance-t-il en préambule alors qu'il est invité par Jean-Louis Périès à retirer son masque chirurgical le temps de son audition.

Après deux heures d'interrogatoire, l'espoir s'est pourtant évanoui. "Vous avez parlé longuement mais pour en dire beaucoup moins que lors de la dernière audience", regrette l'avocat général. Oui, Mohamed Abrini était "prévu pour le 13-Novembre", confirme-t-il, comme il l'avait déjà dit lors de son dernier interrogatoire, mais uniquement dans les plans d'Abdelhamid Abaaoud. "Au fond de moi, je sais que je ne vais pas aller tuer des gens", martèle-t-il à plusieurs reprises, lui qui se dit incapable de "tuer des innocents".

"Il pensait que c'était acquis"

Mohamed Abrini a rencontré le coordinateur des attaques à plusieurs reprises. D'abord lors de son séjour en Syrie à Raqqa, puis au début du mois de septembre 2015, enfin le 12 novembre de la même année. Lors de ce deuxième rendez-vous, Abdelhamid Abaaoud "me dit que je vais faire partie d'un projet, je ne sais pas que c'est le Bataclan, que c'est la France". Pourtant l'accusé l'assure, à ce moment-là et jusqu'à la veille des attentats, "dans ma tête, je savais que j'allais pas me faire exploser, au fond de moi je sais que je vais pas aller tuer des gens".

"Quand il m'annonce ça, je ne dis pas oui, je ne dis pas non, je dis rien, je peux pas aller à l'affront avec Abaaoud", détaille Mohamed Abrini, expliquant avoir un "conflit de loyauté" envers son ami d'enfance, qui a combattu pendant des années avec son petit frère en Syrie.

"Il pensait que c'était acquis parce que j'étais allé en Syrie, se souvient-il. J'ai fait des choses pour lui, je suis allé en Angleterre en me disant 'ça il pense que ça va me convaincre.'" Si Mohamed Abrini ne prévient cet ami, dont il est sous l'influence, de son renoncement à passer à l'acte, il le dira à Brahim Abdeslam, le kamikaze du Comptoir Voltaire, le 8 novembre 2015. Pourtant, l'accusé continuera de participer aux préparatifs, comme la location des maisons où logent les terroristes avant de passer à l'acte, jusqu'à ce dernier voyage direction Paris le 12 novembre 2015.

"Dans ma tête c'était prévu, je venais avec eux, je passais les derniers instants avec eux, je disais au revoir à tout le monde."

Salah Abdeslam a pris "sa place"

Participer à quoi? Où? Quand? Mohamed Abrini le répète: "les rôles, le jour, les cibles, je les connais pas. Abaaoud était très minutieux sur ça, je suis sûr que certains dans les planques ne savaient pas" où ils passeraient à l'acte, à commencer par Salah Abdeslam qui a été, selon l'accusé, recruté pour le remplacer au dernier moment. Par déduction, le Belgo-marocain assure qu'il était prévu par Abdelhamid Abaaoud pour faire partie des commandos des terrasses avec le coordinateur, Chakib Akrouh et Brahim Abdeslam. "C'est sûr, il m'aurait gardé avec lui", dit-il de son ami d'enfance.

"Le dernier jour, quand je dis à Abaaoud 'non je ne le ferais pas', Brahim Abdeslam voyant qu'il y a un gilet en plus, il a sûrement dû parler avec Salah Abdeslam en lui disant 'tu fais partie du voyage' (...) Pour moi, Salah Abdeslam devrait même pas être dans le box. Je sais de source sûre que lui devait partir avec Dahmani (accusé également dans ce procès et actuellement détenu en Turquie, NDLR) en Syrie. (...) J'étais prévu pour le 13 et je dois dire la vérité, la vérité c'est que Salah Abdeslam, il s'est terré dans le silence, je dis que voilà, je le sais qu'il est pas capable de faire ça." Salah Abdeslam s'expliquera mercredi devant la cour d'assises.

Sa défection a d'ailleurs eu, selon lui, une autre conséquence. Il assure avoir découvert la veille à l'audience, dans le récit d'un enquêteur de la brigade criminelle, qu'il aurait dû y avoir quatre terroristes au Bataclan, au lieu des trois qui sont passés à l'acte, et que son départ le 12 au soir a entraîné une réorganisation des commandos. "Si ça a diminué une personne du Bataclan, ça a peut-être fait des morts en moins", avance Mohamed Abrini, lui qui estime que "le minimum que je peux faire, c'est apporter des réponses" aux victimes "qui n'ont rien demandé".

"Personne ne vous croit"

Là où la défense de Mohamed Abrini voit "un pas de géant" en direction de la vérité, les parties civiles dénoncent un "numéro d'équilibriste qui ne fonctionne pas". Questionné sur de nombreux points, pressé notamment par les représentants du ministère public, l'accusé ne convainc pas. L'accusation, elle, croit toujours à un désistement de dernière minute. "Moi, je vous dis, personne ne vous croit, en tout cas, moi je n'y crois pas. Ces gilets explosifs, ces kalachnikov, on les donne pas à n'importe qui!", lui lance l'avocat général.

Pourquoi participe-t-il aux préparatifs s'il ne fera pas partie des commandos? Pourquoi participe-t-il aux préparatifs sans prendre de précaution pour ne pas être identifié s'il savait qu'il n'allait pas mourir? Pourquoi ne prend-il pas les clés de son domicile s'il savait qu'il rentrerait le 12 novembre dans la nuit? "J'ai pas de réponses à ça", rétorque, las, Mohamed Abrini. Surtout, pourquoi ne pas avoir dénoncé les terroristes avant qu'ils passent à l'acte s'il ne cautionne pas le fait de tuer des innocents dans la rue?

"Vous pensez bien que c'est impossible, conclut-il. J'aurais aimé que le 13-Novembre n'ait jamais lieu, j'aurais aimé tant de choses, j'aurais aimé que le conflt en Syrie... Il faut prendre le mal à sa racine. Je ne pouvais pas, dans la religion il y a l'apostasie, on peut mettre une fatwa sur votre tête, on peut venir liquider votre famille. J'étais dans une situation très compliquée."

https://twitter.com/justinecj Justine Chevalier Journaliste police-justice BFMTV