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Deux fraudes pour une campagne présidentielle: le procès Bygmalion s'ouvre ce jeudi

L'ancien président Nicolas Sarkozy arrive au tribunal de Paris, le 8 décembre 2020

L'ancien président Nicolas Sarkozy arrive au tribunal de Paris, le 8 décembre 2020 - Martin BUREAU © 2019 AFP

Nicolas Sarkozy et 13 autres prévenus sont jugés pour l'affaire Bygmalion, un dossier de fraude visant à dissimuler les dépenses de la campagne de 2012 qui ont largement dépassées les plafonds autorisés.

C'est une affaire de gros sous, une affaire à 20 millions d'euros. L'objectif n'avait rien à voir avec l'enrichissement personnel, mais bien avec l'élection d'un candidat. Nous sommes en 2012, et Nicolas Sarkozy, le président en place, se présente à sa réélection. Une candidature qui a été préparée bien en amont, alors même que le chef de l'Etat était loin de disposer d'une cote de popularité élevée. Pour tenter de combler son retard, le candidat va occuper le terrain, à coup de meetings, parfois novateurs, quitte à voir grand, très grand.

A partir de ce jeudi, et jusqu'au 22 juin, se joue l'affaire Bygmalion devant le tribunal correctionnel de Paris. Le procès, qui aurait dû commencer le 17 mars, avait dû être ajourné en raison de l'hospitalisation de l'avocat de Jérôme Lavrilleux, ex-directeur adjoint de la campagne de Nicolas Sarkozy, l'un des 14 prévenus.

Le tribunal va devoir juger une affaire de fraude pour masquer près de 20 millions de dépenses engagées lors de la campagne de 2012, qui ont fait que les plafonds autorisés étaient largement dépassés. Nicolas Sarkozy comparaît pour "financement illégal de campagne électorale", les treize autres prévenus pour "complicité", mais aussi "usage de faux" pour dix d'entre eux, "abus de confiance", "escroquerie" ou encore complicité dans ces infractions.

"Un engrenage irrésistible"

L'affaire Bygmalion se sont d'abord des révélations de presse en 2014, déclenchant l'ouverture d'une enquête préliminaire. Dans un article, Le Point dit avoir établi "d'étranges connexions" entre l'UMP et une société d'événementiel, Bygmalion, et sa filiale Event & Cie. "Où est passé l'argent de la campagne présidentielle?", s'interroge d'ailleurs l'hebdomadaire. Car beaucoup d'argent a été dépensé pour la campagne perdue du président sortant, mais peu de ces dépenses apparaissent sur les comptes de campagne.

A peine l'enquête déclenchée, les dirigeants de Bygmalion et de sa filiale, Guy Alves, Franck Attal et le comptable du groupe vont éclairer la justice. A la demande de l'UMP, disent-ils, ils avaient mis un système de fausses factures afin de déplacer les dépenses de campagne du candidat Sarkozy, plafonnées à un peu plus de 22 millions d'euros pour les candidats présents au second tour, vers les comptes du parti présidentiel. Quelques semaines plus tard, Jérôme Lavrilleux, directeur adjoint de la campagne de Nicolas Sarkozy, se livre aussi à des confidences.

"Il y a eu un engrenage irrésistible d'un train qui filait à grande vitesse, déclare-t-il en mai 2014, larmes aux yeux, sur le plateau de BFMTV. Les personnes qui auraient dû tirer sur le signal d'alarme ne le font pas." Jérôme Lavrilleux dédouane alors Nicolas Sarkozy et Jean-François Copé, son patron à l'UMP.
Jerome Lavrilleux, au tribunal correctionnel de Paris, le 17 mars 2021.
Jerome Lavrilleux, au tribunal correctionnel de Paris, le 17 mars 2021. © Thomas COEX / AFP

"Maquillage" des dépenses

Ce train qui filait à grande vitesse est en réalité la multiplication des dépenses, notamment celles liées aux meetings et réunions publiques. La première stratégie de mener une campagne comme celles des présidents sortants précédents, à savoir avec peu de grands rassemblements, a vite été écartée. A l'inverse, ces rendez-vous se multiplient avec pour point d'orgue celui de Villepinte en mars puis celui de la Concorde en avril 2012, pour lequel l'UMP a revendiqué la participation de 100.000 personnes. A chaque fois, la scénographie est archi travaillée avec pour cahier des charges "imposer le respect et la fierté pour le participant et montrer l'effet de foule".

Ces lieux stratégiques, le recours à de nouvelles technologies comme l'organisation d'une retransmission dans sept villes différentes du meeting de Toulouse coûtent cher; trop cher. Dès le mois de mars 2012, les factures ne sont plus payées à Event. En cause, l'Association de financement des Amis de Nicolas Sarkozy, le micro-parti qui financera cette campagne, venant d'être créée, elle ne dispose pas de fonds propres. L'UMP demande alors aux fournisseurs de mettre les factures au nom du parti présidentiel. Un système certes légal qui, pour la justice, va "faciliter le maquillage" et "l'opacité" des comptes, car si les autres prestataires vont dans les semaines qui suivent pouvoir refacturer à l'association, Event continuera d'envoyer ses factures à l'UMP.

Fausses factures

Le 6 mars, puis le 7 mars, l'alerte vient des experts-comptables. Deux notes, deux "sévères mises en garde" sont adressées aux équipes de campagne et au candidat pour alerter sur "l'évolution du coût de la campagne". Loin de suivre les recommandations, le rythme de cette campagne présidentielle s'accélère sur décision du candidat. Cette fois-ci, pour couvrir ces dépenses, et que celles-ci n'entrent pas dans les comptes de campagne, il est demandé à Event de fournir des factures à l'UMP soit pour des événements fictifs, soit en surévaluant des prestations.

Un fichier excel regroupait les montants réels, ceux facturés à l'UMP et enfin ceux facturés pour la campagne. Les factures adressées par Event à l'association de financement de la campagne fondent au fil des semaines. Par exemple, alors que le véritable coût du meeting de Marseille, qui s'est tenu le 19 février 2012, a été fixé à un peu plus de 770.000 euros, la facture envoyée à l'équipe de campagne du candidat a été de 95.000 euros. Au total, la justice retient 15,4 millions d'euros de dépenses de campagne maquillées de la sorte et payées par l'UMP.

"Ces montants sont difficilement justifiables par le simple jeu d'une négociation", relève le juge d'instruction parisien Serge Tournaire dans son ordonnance de renvoi consultée par BFMTV.

"Omission" de factures

Le 26 avril 2012, au lendemain du 2nd tour, une nouvelle note des experts-comptables parvient à Nicolas Sarkozy. Mais là encore, la justice note que ces alertes n'ont pas été prises en compte par les équipes ou le candidat. Certes des meetings de grande ampleur sont remplacés par des rendez-vous moins coûteux, mais aucune réunion n'est déprogrammée. Neuf meetings sont d'ailleurs organisés jusqu'au second tour. Les renoncements sont d'ailleurs, comme le note le juge, moins le fruit de ces alertes que les avertissements de la banque au sujet de la situation financière de l'UMP qui se dégrade. L'établissement bancaire s'inquiète en effet des perspectives de défaite et donc d'une baisse des dotations publiques pour le parti, le mettant en garde quant à son découvert autorisé de dizaines de millions d'euros.

Le magistrat relève que cette situation est finalement le résultat d'une campagne mal préparée avec un budget se basant sur celui de 2007, sans s'assurer d'avoir une marge de sécurité. C'est d'ailleurs ce qui va précipiter les équipes à avoir recours à un deuxième système de fraude. Malgré la surfacturation et la ventilation de dépenses auprès de l'UMP, de nombreuses factures ont été "omises" ou "oubliées" dans la déclaration des comptes de campagne auprès de la commission nationale chargée de vérifier la régularité des dépenses des candidats d'une élection. Un système permettant de masquer un dépassement de 30% rien que pour les frais de meeting.

Entre les dépenses retranchées des comptes malgré qu'elles aient été directement liées à l'organisation de ces meetings ou celles qui "disparaissent", la justice soupçonne les prévenus d'avoir omis un montant de 3,5 millions d'euros dans le bilan déposé auprès de la commission nationale des comptes de campagne. "Il en résulte de fortes présomptions que les experts-comptables aient effectué un tri parmi les factures UMP, écartant celles dont l'absence était le moins susceptible d'attirer l'attention de l'organe de contrôle", écrit le juge. Un organe de contrôle qui avait finalement invalidé les comptes de campagne de Nicolas Sarkozy en raison d'un dépassement du plafond de... 300.000 euros.

https://twitter.com/justinecj Justine Chevalier Journaliste police-justice BFMTV