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Police-Justice

TikTok peut-il être condamné après le suicide d'une adolescente?

Les parents de Marie, adolescente qui s'est suicidée en 2021, pointent du doigt la plateforme chinoise pour l'absence de modération et le rôle de son algorithme, qui aurait enfermé leur fille dans son mal-être.

TikTok mis en cause. Les parents de Marie, 15 ans, portent plainte contre le réseau social après le suicide de leur fille en 2021 à Cassis (Bouches-du-Rhône). Ils l'accusent des chefs de "provocation au suicide", "non-assistance à personne en péril" et "propagande ou publicité des moyens de se donner la mort".

Ils pointent notamment l'algorithme proposant des vidéos aux utilisateurs, accusé d'avoir accentué le mal-être de l'adolescente - victime de harcèlement scolaire - et l'absence de censure des contenus évoquant le suicide ou l'automutilation. Mais la plateforme peut-elle vraiment être condamnée?

Absence de censure

Le Code pénal interdit la "propagande ou publicité des moyens de se donner la mort", "donc ça comprend les vidéos qui expliquent comment se suicider, comment se mutiler etc.", argumente l'avocate de la famille Me Laure Boutron-Marmion.

Selon elle, Marie diffusait des vidéos dans lesquelles elle évoquait "très clairement et explicitement" le suicide. "Ces vidéos-là, n'ayant pas été censurées par la plateforme, ont été diffusées à un public plus large et donc là, TikTok s'est rendu coupable de propager ces contenus", explique-t-elle.

Toutefois, selon des spécialistes, en France, les plateformes ont simplement le statut d'hébergeurs et ne sont donc pas responsables des propos qui y sont tenus. D'autant plus dans le cas de TikTok, dont le siège est situé en Irlande.

Les plateformes sont de simples hébergeurs

"Ils ont créé l'algorithme, ils ont tout à fait les moyens de le réguler ou de l'adapter au vu des drames qu'on vit aujourd'hui", soutient Laure Boutron-Marmion.

"C'est comme si on voulait tenir pour responsable La Poste d'un message de haine ou de menace qui serait envoyé par son biais", rétorque Cyril di Palma, délégué général de l'association Génération Numérique. "La Poste n'est pas responsable du pli que vous mettez dans l'enveloppe, les plateformes ne sont pas responsables des messages que vous postez grâce à leurs services".

"L'intermédiaire technique n'est pas responsable pénalement, y compris en tant que complice" abonde dans le même sens auprès de Tech&Co l'avocat spécialisé en droit du numérique Alexandre Archambault.

En matière de modération, les réseaux sociaux ont l'obligation de retirer les contenus "manifestement illicites" comme l'apologie des crimes contre l'humanité, l'incitation à la haine raciale, la pornographie enfantine ou encore l'incitation à la violence, la haine.

"Si des gens sont bannis de TikTok c'est qu'il y a des règles sur la plateforme", soutient ainsi sur France Info Stéphanie Mistre, la mère de Marie.

Les algorithmes mis en cause

La famille de Marie s'attaque également aux vidéos auxquelles l'adolescente a été confrontée lorsqu'elle utilisait TikTok. "Dans l'esprit d'une jeune, essorée par le harcèlement, si on revoit des vidéos toujours sur le même thème anxiogène, on ne voit plus d'autre moyen que le suicide", soutient Laure Boutron-Marmion.

Pour Alexandre Archambault, cette accusation sera difficile à démontrer même si, pour le moment, aucune décision de justice dans l'Union européenne n'est venue statuer sur ce sujet spécifique.

Comme pour toutes les plateformes, l'objectif de TikTok est de faire rester les utilisateurs le plus longtemps possible sur l'application. Ainsi, les réseaux sociaux tentent de proposer des contenus qui plaisent à chacun. C'est à ce moment-là que les algorithmes interviennent. Ils servent à cerner les préférences d'un utilisateur afin d'augmenter sa durée d'engagement.

Stéphanie Mistre se félicite toutefois de la mise en application depuis le mois dernier au niveau européen du Digital Service Act qui oblige les très grandes plateformes à proposer un système de recommandation de contenus non-fondé sur un algorithme de profilage. En somme, afficher les vidéos populaires, sans pousser celles basées sur les habitudes de l'internaute.

Une avancée positive mais qui, lorsque les plateformes s'y conforment, rend toutefois encore plus difficile une éventuelle condamnation dans des cas comme celui du suicide de Marie.

Des précédents contradictoires

Au micro de France Info, la mère de l'adolescente explique que le dépôt de cette plainte était compliqué car "il n'y a aucune loi et personne ne l'a déjà fait". Toutefois, elle dit s'être basée sur le cas de Molly Russel, collégienne de 14 ans qui s'est suicidée en 2017 au Royaume-Uni.

Les algorithmes d'Instagram et de Pinterest ont été reconnus en partie responsables, les enquêteurs estimant que "les effets négatifs des contenus en ligne" ont "contribué" à la mort de Molly.

Néanmoins, une décision contraire a été observée aux Etats-Unis, où la Cour suprême américaine, questionnée sur le rôle de l'algorithme de Twitter, a statué sur l'absence de responsabilité de la plateforme.

"Le fait que des mauvais acteurs profitent de ces plateformes ne suffit pas à assurer que les accusés ont consciemment apporté une aide substantielle" ont affirmé les juges américains.

"On est plus sur le harcèlement d'il y a 20 ans, on a des ados connectés et on leur laisse des interfaces avec des informations qu'ils ne devraient peut-être pas voir selon l'âge qu'ils ont", déplore Stéphanie Mistre.

Salomé Robles