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Têtes couronnées

"La télé-réalité avant l'heure": pourquoi la famille royale britannique est-elle la plus scrutée du monde?

Le couronnement de Charles III met de nouveau en évidence la fascination que les Windsor exercent sur le monde, bien plus que n'importe quelle autre famille royale. D'où leur vient cette aura à laquelle aucune autre monarchie ne peut prétendre?

À chaque mariage, à chaque naissance et à chaque mort, ils occupent tous les écrans de la planète. Leurs vies ont inspiré un nombre incalculable de documentaires, de films et de séries qui bénéficient souvent d'un engouement mondial. La famille royale britannique trône en reine parmi toutes les monarchies du globe et s'apprête de nouveau à prouver cette supériorité médiatique ce week-end avec le couronnement du roi Charles, programmé ce samedi - un événement à suivre en direct sur BFMTV et BFMTV.com.

Rien qu'en Europe, on compte une dizaine de pays gouvernés par une famille royale. Mais jamais les démêlés fiscaux de l'ex-roi Juan Carlos d'Espagne n'ont eu l'écho international des accusations d'abus sexuel qui pèsent sur le prince Andrew. Les rivalités de Frederik et Joachim de Danemark n'éveillent pas la même fascination que celles qui opposent les princes William et Harry. Et quelle reine aurait pu voir son règne retracé par The Crown, une série qui passionne le public et la critique depuis bientôt six saisons, si ce n'est Elizabeth II?

Des monarchies "à court de personnalités charismatiques"

L'un des exemples les plus frappants de cette médiatisation déséquilibrée est sans doute celui de Märtha Louise de Norvège. En novembre 2022, la princesse nordique bouscule les conventions en quittant ses fonctions par amour pour son fiancé roturier, noir et chaman.

Le parallèle avec l'idylle du prince Harry et de Meghan Markle (saupoudré d'une dose d'ésotérisme) est saisissant. Pourtant, il n'a pas valu à la Scandinave de faire les gros titres de la presse mondiale, ni d'être contactée par Netflix pour une série documentaire - contrairement à son homologue britannique.

"Les autres familles régnantes européennes sont un peu à court de personnalités charismatiques", estime Philippe Chassaigne, historien spécialiste de la Grande-Bretagne, interrogé par BFMTV.com.

Il évoque, bien sûr, le pilier matriarcal et (finissait-on par le croire) immuable qu'était Elizabeth II, morte en septembre dernier à 96 ans. Mais aussi la figure affranchie et romanesque de sa jeune soeur Margaret, marquée à jamais par son amour interdit pour un officier divorcé, le franc-parler atypique - et parfois de mauvais goût - du prince Philip ou encore la révolte humaine qu'a incarnée Diana, "princesse des cœurs", au sein de ce clan guidé par le protocole.

"En Espagne, par exemple, une fois que l'on a fait le tour des frasques de Juan Carlos", l'historien ne voit pas grand chose de plus pour intéresser les foules.

"Le meilleur soap opera qu'on ait inventé"

Une tribu de fortes têtes, donc, qui coexiste au palais de Buckingham pour le meilleur et pour le pire. Car autant de personnalités affirmées sont vouées à s'entrechoquer sous la loupe des médias, qui les suivent de leurs représentations officielles à leurs querelles en coulisses:

"La couronne britannique, c’est le meilleur soap opera qu’on ait inventé, la télé-réalité avant l’heure", résume auprès de BFMTV.com Adélaïde de Clermont-Tonnerre, directrice de la rédaction du magazine Point de vue.

"Le scandale Andrew, le scandale Megxit, la mort du prince Philip, celle de la reine, l’autobiographie-choc de Harry... il se passe tout le temps quelque chose d'important", poursuit la spécialiste. "Depuis des décennies, on les regarde se déchirer, se rattraper, chuter en popularité, remonter la pente. Cela fait partie de la fascination mondiale pour les Windsor."

Des hauts et des bas durant lesquels le clan a pu bénéficier de l'aura extraordinaire d'Elizabeth II et de ses 70 ans passés sur le trône d'Angleterre: "Elle était devenue la grand-mère de l'Europe, elle était la femme la plus célèbre au monde. Elizabeth II était un point de repère, un fil rouge."

Le tout réhaussé du "sens du spectacle" dont fait preuve la monarchie britannique depuis le 2 juin 1953, date à laquelle Elizabeth II est devenue la première monarque dont le couronnement est retransmis en direct à la télévision. Le peuple est convié ce jour-là à une cérémonie grandiose au sein de la spectaculaire abbaye de Westminster, et devient le témoin d'une opulence monarchique jusqu'alors fantasmée.

Une modernité embrassée

70 ans plus tard, le rituel est ancré. Du mariage de Kate et William aux funérailles d'Elizabeth II, en passant par la traditionnelle présentation des nouveaux-nés devant la Lindo Wing de l'hôpital St-Mary, les médias sont conviés à chaque événement majeur de la famille Windsor. Et à chaque fois, ce sont des milliers de Britanniques réunis dans les rues de Londres, pour des images impressionnantes qui font le tour du monde.

Le prince William, Kate Middleton et le prince Louis devant la maternité, le 23 avril 2018
Le prince William, Kate Middleton et le prince Louis devant la maternité, le 23 avril 2018 © Ben Stansall - AFP

Cette intrusion d'une forme de modernité dans des traditions centenaires constitue une autre particularité de la Couronne britannique. Aussi inflexible qu'elle puisse être, la monarchie a su prendre plusieurs tournants pour s'inscrire dans les évolutions du monde et rester pertinente aux yeux du public, sous l'impulsion visionnaire d'Elizabeth II.

Après la retransmission de son couronnement, elle devient en 1957 la première monarque à réaliser un discours de Noël télévisé, devenu depuis un rendez-vous annuel cher aux Britanniques. En 1976, elle est l'une des premières chefs d'État à envoyer un e-mail. Première chaîne YouTube en 2007, premier tweet en 2014, arrivée sur Instagram en 2019... jusqu'aux dernières années de son règne: en juin 2020, alors que les réunions Zoom révolutionnent le quotidien des travailleurs après la première vague de Covid-19, c'est en visioconférence qu'elle s'entretient avec des soignants.

Un œil tourné vers l'avenir que son successeur compte bien garder ouvert. "Depuis la chute de Charles X en France en 1830, le souverain britannique est le seul souverain continental à être sacré le jour de son couronnement", note Philippe Chassaigne.

Cette dimension spirituelle, qui marque une autre singularité de la monarchie britannique et donne aux Windsor un caractère religieux, sera bien respectée samedi: Charles III et son épouse Camilla seront oints d'une huile bénie à Jérusalem. Mais le nouveau monarque compte la "moderniser":

"Il sera couronné selon le rite anglican mais la cérémonie sera inclusive: il a invité des représentants d'autres religions afin que tous les cultes présents sur le sol britannique y prennent part."

Une influence diplomatique inégalée

Le caractère people des Windsor, leur propension à partager une partie de leur quotidien et leur ouverture sur les nouveaux médias n'aurait sans doute pas trouvé un tel écho autour du globe s'ils n'étaient pas aussi - et peut-être surtout - la plus influente des familles royales, d'un point de vue à la fois géographique et historique. "Entre le XIXe et le XXe siècle l'empire colonial britannique a été le plus grand empire du monde. En 1914, il occupait un quart des terres émergées", rappelle Philippe Chassaigne.

Le Commonwealth, héritage de cet empire, regroupe aujourd'hui 56 États membres répartis sur cinq continents. Parmi eux, 14 reconnaissent le souverain britannique comme chef d'État, dont le Canada et l'Australie:

"On disait que c'était l'empire sur lequel le soleil ne se couchait jamais", ajoute Adélaïde de Clermont-Tonnerre. "Et aujourd'hui encore, les royaumes du Commonwealth offrent à la monarchie britannique une présence et une influence globales."

"L’Espagne s’en rapproche le plus, avec un ancien empire qui s'est étendu à l'Amérique du Sud", poursuit-elle. "Mais la monarchie espagnole n’a pas gardé les mêmes contacts avec ses anciennes colonies, il n'existe pas de Commonwealth espagnol qui ferait que Felipe serait encore roi d’Argentine ou du Venezuela."

Les États-Unis, première puissance ralliée à leur cause

La spécialiste ne minimise pas l'impact de la langue anglaise, "archi-dominante dans les échanges internationaux" et parlée par les États-Unis, la plus grande puissance mondiale: "Ils sont directement issus de cet héritage monarchique et, de fait, ils se passionnent pour cette matière." Ainsi, la chaîne CBS aurait déboursé une petite fortune, entre 7 et 9 millions de dollars, pour diffuser l'interview exclusive de Meghan et Harry à Oprah Winfrey en 2021.

Mais ce rayonnement historique est à double tranchant. Si Charles avait été désigné dès 2018 comme futur chef du Commonwealth quand viendrait la mort de sa mère, l'ombre du passé colonial plane sur la monarchie et, régulièrement, des États membres évoquent des vélléités d'émancipation.

Pas de quoi faire frémir les Windsor pour autant, selon Philippe Chassaigne: "Si le prochain souverain n'était pas le monarque britannique, il y aurait une élection de 56 candidats. On parle de la scène finale d’Hamlet! Que ce soit un choix de raison ou de cœur, les États savent que ce serait ouvrir la boîte de Pandore, et qu'un principe héréditaire est la moins mauvaise solution." De quoi prédire une longue vie au roi, à sa descendance et à leur force de frappe internationale pour encore des années.

https://twitter.com/b_pierret Benjamin Pierret Journaliste culture et people BFMTV