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Rihanna, adulée malgré sept ans d’absence: comment la chanteuse a construit sa légende

Rihanna en 2005, 2011, 2012 et 2022

Rihanna en 2005, 2011, 2012 et 2022 - Brad Barket - Christopher Polk - Mike Coppola - Rich Fury / Getty Images North America / Getty Images via AFP

L'artiste de 34 ans, qui a déserté le milieu musical en 2016, fait un retour en fanfare ce soir avec le prestigieux concert de mi-temps du Super Bowl. Pour le plus grand plaisir de fans qui n'ont jamais cessé de l'attendre.

Le monde de la pop retient son souffle. Après sept ans d'une inactivité musicale quasi-totale, Rihanna s'apprête enfin à renouer avec la scène. La chanteuse de 34 ans assurera ce dimanche soir le concert de mi-temps du Super Bowl, rencontre sportive annuelle la plus suivie des États-Unis. Un honneur réservé à la crème de la musique pop nord-américaine, dont la barbadienne fait toujours partie malgré sa désertion des studios.

Sur Spotify, Rihanna est la quatrième artiste féminine la plus écoutée au monde, loin devant Ariana Grande, Billie Eilish ou même Beyoncé. Ses fans lui réclament constamment un nouvel album sur les réseaux sociaux, entre amusement et lassitude face à cette longue attente. L'annonce de son concert lors du match de football de ce dimanche, en septembre dernier, a fait l'effet d'une bombe auprès du public et des médias. Un succès inaltérable qui ferait presque oublier que son dernier album date de 2016 et qu'elle n'a quasiment rien produit depuis, préférant se consacrer à ses marques de maquillage et de prêt-à-porter.

À une époque où les artistes sont plus nombreux, et leur rythme de production plus frénétique que jamais, le temps semble ne pas avoir de prise sur l'empreinte laissée par Rihanna. Le résultat d'une décennie d'omniprésence sous les projecteurs marquée par un flair sans pareil, un sans-faute musical, quelques drames et une spontanéité qu'elle n'a jamais sacrifiée sur l'autel du succès.

Celle qu'on n'avait pas vue venir

Lorsqu'elle débarque sur la scène pop à seulement 17 ans avec son premier single, Pon de Replay, rien ne permet de prédire une longue carrière à Rihanna. Rythme dansant un brin agressif, jean taille-basse, nombril apparent et regards aguicheurs, la jeune fille repérée par Jay-Z ressemble à toutes les chanteuses qui se bousculent à l'époque sans réussir à s'imposer sur la durée, d'Amerie à Kat Deluna en passant par Cassie:

"Au début, c’était simplement une chanteuse de pop-R&B", se souvient pour BFMTV.com Khal Ali, observateur de l'actualité pop sur une chaîne YouTube éponyme suivie par 87.000 personnes. "C'était surtout Jay-Z qui essayait de créer une nouvelle Beyoncé."

La recette fonctionne pourtant: les premiers pas de Rihanna démontrent sa facilité à enchaîner les tubes (S.O.S., Unfaithful...). Mais c'est en 2007 que la jeune femme fait preuve, pour la première fois, d'une qualité indispensable à quiconque souhaite perdurer dans les charts: une capacité à constamment se réinventer.

Adaptabilité à toute épreuve

Nouveau look pour une nouvelle Riri: avec l'album Good Girl Gone Bad, porté par le tube mondial Umbrella, la chanteuse assume des tenues plus sophistiquées, une esthétique plus élaborée, et emmène le public vers sa nouvelle ère. Il ne s'agit que de la première de ses multiples transformations. Jeune fille sage, femme fatale, extravagante, ultra-sexuelle... les uns après les autres, Rihanna revêt tous les costumes sans jamais se tromper de taille.

Ses explorations sont aussi musicales: "C'est clairement une artiste versatile", analyse Khal Ali. "Son catalogue est hyper riche: R&B, pop, trap, hip-hop, rock, reggae, elle a touché à plein de choses."

"C'est pour ça qu'après sept ans d'absence, elle est attendue au tournant", poursuit-il. C'est sans doute, aussi, l'une des raisons pour lesquelles le monde ne s'est jamais lassé de réécouter ses morceaux.

Lorsque cette machine à tubes se retire en 2016 pour se concentrer sur des business ultra-lucratifs - ses marques de vêtements et de cosmétiques ont fait d'elle une milliardaire, un statut qu'aucune de ses consœurs chanteuses n'a atteint - elle laisse derrière elle un vide abyssal.

L'hyperactive des studios d'enregistrement

D'autant qu'à l'époque de ses prouesses musicales, Rihanna n'a jamais laissé à son public le temps de se trouver une autre idole. Entre 2005 et 2012, la chanteuse a respecté le rythme effréné d'un album par an (exception faite de 2008), presque tous soutenus par une tournée mondiale. Chose rarissime dans le show-business, cette discographie-express ne laisse le souvenir d'aucun échec commercial. Chaque disque apporte son lot de tubes mémorables (Disturbia, Rude Boy, Only Girl, We Found Love, Diamonds...). Sans compter ses apparitions au cinéma dans Valérian ou Ocean's 8.

Cette succession de hits est également le témoin d'une capacité à bien s'entourer. Stargate, Timbaland, Calvin Harris... les producteurs en vogue se succèdent au fil des années. Mieux, elle a parfois une décennie d'avance. Dès 2016, elle chantait en duo avec SZA: alors une illustre inconnue, cette même SZA vient de démarrer l'année 2023 en tête du classement américain avec son deuxième album.

Flair, adaptabilité, capacité à bien s'entourer et à surprendre le public sans le dérouter... Et si, finalement, c'était elle, la véritable héritière de la reine de la pop? "Rihanna représente un non-conformisme qui rappelle celui de Madonna à son époque", estime ainsi Jennifer Padjemi dans son essai Féminismes & pop culture (Stock, 2021). "Libre de ses mouvements, libre de ses paroles (...) on ne peut la mettre dans aucune case."

La bonne copine du show-business

Dans le même temps, le personnage Rihanna se met en place et ne fait que s'affirmer au fil des ans. Malgré ses constantes réinventions, elle reste fidèle à ses racines caribéennes, peu représentées sur la scène musicale américaine. Les couleurs du drapeau rastafari peuplent ses clips, de Rude Boy à Work en passant par Man Down.

Rihanna a "fait rêver le monde entier avec sa quête d'excellence, sa créativité, sa discipline et par dessus tout son engagement extraordinaire envers sa terre d'origine", a d'ailleurs salué la Première ministre de la Barbade en lui décernant le titre d'héroïne nationale du pays en novembre 2021.

Un autre fil rouge ne sera jamais brisé, plus médiatique que musical: celui de la spontanéité. C'est d'ailleurs là que se situe l'un des principaux attraits de la chanteuse, selon la journaliste Sarah Dahan:

"Il y a un facteur humain très fort chez Rihanna", estime auprès de BFMTV.com l'autrice de 'Divas: les plus grandes icônes de la pop' (Huginn & Muninn, 2021).

"On ne peut pas s’empêcher de la comparer à Beyoncé qui est pourtant quelqu'un d'assez robotique et ne laisse pas transparaître ses émotions. Avec Rihanna, on peut s’identifier. C'est la meilleure amie, celle avec qui on se marre."

Plutôt qu'une jumelle de Beyoncé, Rihanna serait sa petite sœur rigolote et intenable. Au début des années 2010, quand les réseaux sociaux n'en sont qu'à leurs balbutiements, elle régale ses fans de tweets ubuesques, allant jusqu'à se disputer publiquement avec d'autres chanteuses. Quand Ciara, alors en pleine perte de vitesse professionnelle, la menace de s'en prendre à elle si elle la croise sur scène, Rihanna répond du tac-au-tac: "Bonne chance à toi pour réserver cette scène dont tu parles!".

Une spontanéité dont elle fait preuve aussi avec ses fans. Lorsqu'elle les rencontre en marge d'un concert, elle leur offre des photos mémorables, à la fois drôles et sexy, qui font immanquablement le tour du web.

Rihanna incarne la superstar qui ne se prend pas au sérieux, qui rit des autres et d'elle-même sur les canapés des talk-shows les plus en vue, qui se roule volontiers un joint quand les caméras - contrairement aux paparazzi - ne sont plus là, qui parle de sexe comme on parle de vêtements...

"Une femme puissante et humaine"

Le sexe, justement, fait partie intégrante de sa personnalité médiatique. Autant dans ses tubes ("viens par ici, rude boy, seras-tu assez gros?", chantait-elle dans l'un de ses titres les plus emblématiques) que dans ses tenues... ou l'absence de ces dernières; en 2014, le magazine français Lui la met en scène seins nus, sans doute du jamais-vu pour une popstar depuis Madonna.

"J'espère que les jeunes femmes qui l'écoutent le font attentivement, parce qu'elle leur parle d'une sexualité attirante, marrante, joueuse", décrypte Sarah Dahan. "Ce n’est jamais sale, vulgaire ou dégradant. Elle véhicule une image décomplexée et bienvenue d'une femme à la fois puissante et humaine."

Cette humanité a notamment été mise en exergue par un épisode dramatique qui l'a poursuivie pendant des années. Un soir de 2009, Rihanna est victime des coups de son compagnon de l'époque, le chanteur Chris Brown. Le visage tuméfié de la jeune femme de 20 ans s'étale rapidement en une de tous les journaux people et met au jour un cas tristement banal de violences conjugales. Le public, déjà conquis par sa musique, son humour et son franc-parler, est pris d'un sentiment moins naturellement entretenu envers les superstars: la compassion.

Un "phénomène d'identification"

Comme souvent dans ce genre d'affaires, la violence ne met pas fin à l'idylle: les amants se retrouvent et se perdent à nouveau dans un feuilleton qui passionne les tabloïds et inquiète les fans. Lorsque Drake s'insère dans ce qui devient alors un triangle amoureux, deux équipes de supporters se forment derrière les deux chanteurs rivaux, ce qui accroît encore la fascination du public pour la vie privée de Rihanna. Mais Chris Brown reste son fantôme et, en 2012, c'est une chanteuse en larmes qui évoque ses sentiments ambivalents pour l'artiste sur le canapé d'Oprah Winfrey. Et pose malgré elle des mots sur des affres vécues en silence par des millions de femmes.

"Elle est imparfaite, elle a des fêlures, elle a vécu", résume Sarah Dahan. "Il y a un phénomène d'identification autour de Rihanna. Quand elle a eu son premier enfant en mai dernier avec le rappeur A$AP Rocky, les fans étaient sincèrement heureux pour elle."

Cette grossesse a aussi été l'occasion de montrer l'influence intacte de la chanteuse. Au fil des mois, elle a affiché son ventre toujours plus rebondi sans rien renier de son goût pour les tenues sexy. Des choix vestimentaires tout sauf anodins, comme l'a souligné la presse spécialisée; de dos nus en brassières, Rihanna tordait le cou à l'idée selon laquelle une femme doit renoncer à sa féminité lorsqu'elle devient mère. "Rihanna est-elle en train de changer à jamais les looks de grossesse?", s'est ainsi demandé Vogue.

Loin des studios d'enregistrement, Rihanna a trouvé le moyen de cultiver son influence en s'inscrivant toujours dans l'air du temps. Lorsqu'elle lance sa ligne de maquillage en 2017, Fenty Beauty, c'est en proposant 40 nuances de fond de teint, pour toutes les peaux, des plus foncées aux plus claires. Pour porter les vêtements de sa marque, Savage x Fenty, elle fait appel à des mannequins de toutes les tailles: "Elle a commencé à parler d’inclusion avant même que ça se démocratise", souligne Sarah Dahan. "Là encore, elle a été visionnaire."

Sans oublier la fondation qu'elle a créée en 2012 pour œuvrer en faveur de l'éducation dans les pays en voie de développement, qui lui a valu d'être reçue à l'Elysée par Emmanuel Macron...

"Sous ses allures nonchalantes, elle sait exactement ce qu'elle veut et elle le fait", conclut la spécialiste. "Qu'il s'agisse de faire sept albums en sept ans, de prendre du temps pour se reposer ou de se concentrer sur ses marques. Là encore, on voit sa spontanéité: elle semble fonctionner plus à l'envie qu'à la planification."

Et sa nouvelle envie pourrait bien être la musique. Car Rihanna n'a jamais annoncé sa retraite musicale, et a même plusieurs fois agité la carotte d'un disque à venir, comme pour maintenir ses fans en haleine. Certaines rumeurs prédisent d'ailleurs l'annonce d'une tournée. Et qui dit tournée dit album...

https://twitter.com/b_pierret Benjamin Pierret Journaliste culture et people BFMTV