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"L'Âge d'or", saga médiévale aux accents très contemporains, sur la corruption du pouvoir

Détail de la couverture du deuxième tome de "L'Âge d'or"

Détail de la couverture du deuxième tome de "L'Âge d'or" - Dupuis

Sous ses allures de saga médiévale à la Disney, la BD L'Âge d'or fait écho à la défiance grandissante des Français envers la classe politique.

Les contes permettent souvent, mieux que n’importe quel autre type de récit, de comprendre le monde qui nous entoure. Fable politique sur les dérives du pouvoir, dont le deuxième tome sort ce vendredi 6 novembre, L'Âge d'or de Cyril Pedrosa et Roxanne Moreil apparaît au premier abord comme une simple saga médiévale au graphisme féérique, proche de celui de La Belle au bois dormant de Disney.

"Une stratégie de séduction" assumée par le duo, qui a voulu faire écho dans L'Âge d'or à la défiance grandissante des Français envers la classe politique et à la corruption qu’entraîne l’accès au pouvoir. Comme Dune de Frank Herbert, L'Âge d'or suit l’ascension d’une héroïne charismatique et valeureuse, Tilda, qui après avoir vu son pouvoir usurpé se lance dans sa reconquête. Une fois arrivée à ses fins, elle se laisse peu à peu ronger par le pouvoir et devient une despote.

Succomber à la corruption du pouvoir est "une situation propre à l’espèce humaine", estime Cyril Pedrosa, qui évite dans L'Âge d'or tout manichéisme: "Quiconque se retrouve dans cette situation-là est en danger. Je suis persuadé que les leaders charismatiques ne sont pas uniquement animés de passions tristes. Dès lors que les institutions ne permettent pas de nous protéger de la toute-puissance de quelqu’un, un leader charismatique, aussi brillant soit-il, peut devenir un monstre, enivré de sa propre puissance."

Couverture du deuxième tome de "L'Âge d'or"
Couverture du deuxième tome de "L'Âge d'or" © Dupuis

"La meurtrissure permet de voir le monde autrement"

Cette transformation était déjà annoncée dans le premier tome de L'Âge d'or, dans une scène onirique où Tilda découvrait dans une rivière son reflet maléfique. Dans le deuxième tome, Tilda voit apparaître sur son corps des taches couleur sang. Son père avait des taches similaires sur son lit de mort: "Ce sont les stigmates d’un pouvoir usurpé, illégitime qui les dévore et les détruit - en plus de détruire le monde autour d’eux", commente Cyril Pedrosa.

Il ne faut pas y voir une référence aux taches blanches apparues ces dernières années sur la barbe de l’ancien Premier ministre Edouard Philippe: "L’album a été écrit avant qu’il ne devienne une figure nationale. Les germes de ce qui se passe actuellement [remontent] à il y a six, sept ans, en plein hollandisme", précise Cyril Pedrosa, qui a essayé avec L'Âge d'or de mettre en images la tension qu’il ressentait à l’époque.

Dans L'Âge d'or, c’est un bossu simple d’esprit et un soldat devenu aveugle au combat qui perçoivent avec la plus grande clairvoyance ce mal qui ronge Tilda et la pousse dans une quête effrénée de pouvoir. Comme dans Adieu les cons, le dernier film d’Albert Dupontel, l’aveugle se révèle le plus lucide face au chaos. "Je ne sais pas si c’est le fait d’être aveugle, ou le fait d’être meurtri", analyse Cyril Pedrosa. "La meurtrissure peut amener à voir le monde autrement. Il ne lui reste plus qu’à dire ce qu’il pense vraiment..."

Une case de la BD "L'Âge d'or" de Cyril Pedrosa et Roxanne Moreil
Une case de la BD "L'Âge d'or" de Cyril Pedrosa et Roxanne Moreil © Dupuis

Un Disney révolutionnaire?

La grande question de L'Âge d'or est de savoir comment se libérer des maîtres et réinstaurer d’autres liens sociaux. "Malheureusement, le livre n’est pas en capacité d’y répondre", s’amuse Cyril Pedrosa. "Si j’avais la réponse, je ferais un bouquin tout de suite! C’est une question obsédante."

L'Âge d'or est-il un Disney communiste? "Disons plutôt un Disney révolutionnaire", modère Cyril Pedrosa. "Le livre n’aborde pas la question de l’après. Il n’a pas de dogme. Il dit juste qu’en l’absence de réponses, si l’instant est insupportable, il faut détruire l’instant. Ça, c’est révolutionnaire."

Dans L'Âge d'or, le peuple perd confiance dans les leaders après une série de mauvaises décisions. Une situation qui fait écho à la France contemporaine, où des millions de citoyens se sentent abandonnés en pleine épidémie de Covid-19. Comme si L'Âge d'or était devenu une métaphore de cette année étrange. Le dessinateur en est conscient:

"Ce qui est absent du livre, ce sont les menaces extérieures", précise-t-il toutefois. "Le peuple est en réaction à un système qui ne lui convient plus, dans lequel il ne veut plus vivre - même s’il n’a pas de visibilité sur ce que pourrait être un autre monde, un autre accord social. Ils savent uniquement qu’ils n’en veulent plus et vont le détruire."
Une case de la BD "L'Âge d'or" de Cyril Pedrosa et Roxanne Moreil
Une case de la BD "L'Âge d'or" de Cyril Pedrosa et Roxanne Moreil © Dupuis

"Ne pas attendre que les leaders pensent à notre place"

Cyril Pedrosa et Roxanne Moreil ne sont pas les seuls à utiliser le conte pour promouvoir la désobéissance civique. Le Château des animaux de Xavier Dorison et Félix Delep, dont le deuxième tome vient de paraître aux éditions Casterman, aborde aussi ce sujet dans un récit anthropomorphe imaginé en écho à La Ferme des animaux de George Orwell. L'Âge d'or n’est pas pour autant un cri d’alerte pour inciter à cesser d’écouter nos leaders:

"Je pense que quiconque à la place d’Emmanuel Macron ne se comporterait pas forcément mieux. Ça n’empêche pas que je pense qu’il faut dire non à Emmanuel Macron. Non pas parce que c’est un mauvais [chef d’Etat], mais parce qu’il est tout-puissant et qu’il faut lutter contre ça. Ça ne veut pas dire que la parole [des leaders] est toujours vide - parfois elle est forte -, mais il ne faut pas attendre qu’ils pensent à notre place."

L'Âge d'or rappelle l'importance de ne jamais être "dupe de rien - y compris de soi-même" et qu’il est toujours préférable de partager le pouvoir, quel qu’il soit: "Il faut toujours pouvoir être contredit. Tout le temps. C’est indispensable. Sinon, c’est dangereux. Même les gens armés des meilleures intentions du monde, si personne ne peut les contredire, c’est dangereux. On le sait. L’histoire de l’humanité nous le raconte tout le temps. Un pouvoir qui instaure ses propres contre-pouvoirs, c’est laborieux, mais c’est la seule solution."

Une case de la BD "L'Âge d'or" de Cyril Pedrosa et Roxanne Moreil
Une case de la BD "L'Âge d'or" de Cyril Pedrosa et Roxanne Moreil © Dupuis

"L'ombre ne fait que passer"

L'Âge d'or partage avec une autre BD récente, La Patrie des frères Werner de Philippe Collin et Sébastien Goethals, l’ambition de rappeler l’importance de la réconciliation dans un monde toujours plus fracturé, qui en l’absence d’un contre-pouvoir puissant ne sait plus comment avancer ou prendre des décisions. "Aujourd’hui, il n’y a plus rien", juge Cyril Pedrosa, qui a tenté, avec L'Âge d'or, de trouver une solution à cette aporie politique.

"Quand on a imaginé L'Âge d'or, on était très content d’avoir réussi à rendre audible une parole politique difficile à faire entendre en ce moment - et dans un projet grand public, sans rien assener aux gens. Après, ils en font ce qu’ils voudront. Il y a en qui seront d’accord. D’autres ne le seront pas et ça va les énerver. Peut-être même que certains ne percevront pas ce message."

"Sous la courbe lente du soleil, l’ombre ne fait que passer", écrivent, optimistes, Cyril Pedrosa et Roxanne Moreil dans L'Âge d'or. Une phrase devenue un mantra pour le dessinateur: "Je prépare un nouveau livre qui sera plus dur que celui-ci, et je pense tout le temps à cette phrase", qui nous annonce malgré tout des jours meilleurs après cette période difficile.

L'Âge d'or, Cyril Pedrosa (dessin, scénario et couleur) et Roxanne Moreil (scénario), Dupuis, collection "Aire Libre", deux tomes, 232 pages, 32 euros.

https://twitter.com/J_Lachasse Jérôme Lachasse Journaliste BFMTV