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"La Patrie des Frères Werner", la BD qui explique pourquoi l’Europe est divisée

Détail de la couverture de "La Patrie des Frères Werner"

Détail de la couverture de "La Patrie des Frères Werner" - Futuropolis

Cette BD écrite par Philippe Collin permet de comprendre pourquoi les inégalités ne cessent de se creuser entre l’Europe de l’Ouest et de l’Est depuis la réunification allemande il y a trente ans.

Il y a un peu plus de trente ans, le 3 octobre 1990, était actée la réunification entre l'Allemagne de l’Ouest et l’Allemagne de l’Est. Date purement administrative, elle a été préférée au 17 juin, date d’une insurrection ratée en RDA en 1953, et au 9 novembre, jour de la chute du mur de Berlin en 1989, mais aussi de la tentative de putsch d’Hitler en 1923 et de la Nuit de cristal en 1938.

Vue de France, cette histoire peut sembler lointaine. Elle ne l’est pas. L’histoire de l’Allemagne est aussi celle de la France, et la réunification n’est pas qu’un sujet allemand: "Ce qui est terrible, c’est qu’on a essayé de parler de cette date dans les médias français, pour dire que ce n’est pas qu’un événement allemand mais aussi européen, mais en France tout le monde s’en fout."

Ainsi parle le journaliste et scénariste Philippe Collin, qui publie avec la complicité du dessinateur Sébastien Goethals La Patrie des Frères Werner (Futuropolis). Deux ans après le succès du Voyage de Marcel Grob (120.000 exemplaires vendus), poignant récit sur les Malgré-Nous, ces jeunes Alsaciens intégrés de force à la Waffen-SS pendant la Seconde Guerre mondiale, le duo signe un autre album sur une adolescence brisée par l’Histoire.

La couverture de la BD "La Patrie des Frères Werner"
La couverture de la BD "La Patrie des Frères Werner" © Futuropolis

"Le mur est tombé, mais pas dans les mentalités"

Déjà disponible, leur nouvel album retrace le destin de deux frères, l'un travaillant pour l’Est, l’autre pour l’Ouest. En toile de fond, se déroule un match de foot historique entre la RFA et la RDA lors de la Coupe du monde 1974, organisée par l’Allemagne de l’Ouest. Cette histoire est la métaphore des divisions qui enveniment l’Union Européenne et l’Europe depuis la fin des années 1940.

Le message des auteurs est clair: il ne faut jamais oublier le passé, qui ne cesse de revenir hanter le débat contemporain. Le meilleur exemple reste le Mur de Berlin. Détruit depuis trente et un ans, il n’a jamais été aussi présent, et ce malgré la réunification: "Il est tombé, mais pas forcément dans les mentalités.", précise Philippe Collin. "C’est pour cette raison qu'on le montre à peine dans l’album: il a une présence fantomatique." Ce spectre permet de comprendre à quel point la réunification allemande a été violente pour la RDA, souligne encore le scénariste:

"On a cru que notre modèle, celui du monde dit libre, était le bon et qu’on avait triomphé - sans jamais prendre conscience des souffrances des pays de l’Est, de quarante ans d’occupation soviétique et sans jamais considérer qu’il y avait des choses à récupérer de leur modèle. Comme on avait gagné, les pays de l’Est devaient se taire et embrasser ce que nous étions. C’est une double humiliation de ne pas considérer leurs souffrances et de ne pas essayer de comprendre s’il y avait chez eux des choses opérationnelles ou non, qu’on aurait pu absorber si on vivait dans un monde commun, lié et fraternel."
Une planche de la BD "La Patrie des Frères Werner"
Une planche de la BD "La Patrie des Frères Werner" © Futuropolis

"La fiction n’a plus d’imaginaire européen"

La réunification allemande n’a fait que renforcer les inégalités entre RDA et RFA. Les élites de l’Ouest se sont installées à l’Est. Un phénomène baptisé la "kohlonisation", en référence au chancelier Helmut Kohl, à la tête de l'Allemagne unifiée. Trente ans après, le fossé continue de se creuser.

"On voit bien que cette double humiliation a porté ses fruits amers en Europe de l’Est", commente Philippe Collin. "L’extrême droite est partout en tête. Parfois, elle est au pouvoir, avec un discours anti-européen très rodé. Nous, les prétendus vainqueurs, n’avons pas de contre-récits à proposer. On est démuni. On est perdu. Et eux prospèrent."

La Patrie des frères Werner propose un contre-récit face à la montée des extrêmes, pour retrouver un sens commun face aux fractures qui ne cessent de diviser l’Europe. Depuis la chute du Mur, le monde n'est plus binaire. "La chute du Mur a inclus un repli culturel national", déplore Philippe Collin. Il n’y a plus d’Ouest ou d’Est, mais des Français ou des Italiens, des Roumains ou des Bulgares: "Aujourd’hui, la fiction n’a plus d’imaginaire européen. La littérature, le théâtre, le cinéma sont orientés vers le national."

Le sport, réceptacle des tensions en Allemagne

La Patrie des frères Weber vient combler ce manque. Le maintien de l’Union Européenne passe avant tout par une meilleure compréhension de son histoire et de celle des anciens pays de l’Est. La BD s’empare des divisions allemandes pour rappeler que celles-ci existent sous une forme similaire dans chacun des pays de l’UE. Elle souligne aussi que la construction européenne ne fut pas aisée, mais que l’Europe doit rester liée: "Si le lien est défait, il n’y a plus rien qui marche."

"Réceptacle des tensions de la guerre froide", le sport permet selon Philippe Collin de comprendre ces disparités entre Est et Ouest, mais aussi le mal causé par la réunification. La disparition progressive des clubs de RDA de la Champion’s League et de la Bundesliga, la ligue 1, en est un symbole fort, qui prolonge l’humiliation ressentie par l’ancienne Allemagne de l’Est.

La BD, à travers La Patrie des frères Werner, permet de réfléchir au passé, mais aussi d'appréhender le futur. "Avec Sébastien, on a essayé de mettre en place un horizon. La fin du livre, c’est peut-être les Werner qui nous montrent la voie." Un précieux conseil à l’ère du Covid, où les relations sont plus distendues que jamais.

La Patrie des frères Werner, Philippe Collin (scénario) et Sébastien Goethals (dessin), Futuropolis, 152 pages, 23 euros.

https://twitter.com/J_Lachasse Jérôme Lachasse Journaliste BFMTV