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BD: qui est Xavier Dorison, le scénariste aux 3 millions d’albums vendus?

Le scénariste Xavier Dorison

Le scénariste Xavier Dorison - Joel Saget - AFP

Le scénariste, héritier de Jean Van Hamme (XIII, Largo Winch), revient avec plusieurs nouveautés, dont Le Château des animaux, passionnant récit animalier sur la désobéissance civile. L’occasion de revenir sur son parcours.

Le Troisième testament, Long John Silver, Undertaker... Depuis ses débuts, il y a une vingtaine d’années, le scénariste Xavier Dorison a vendu plus de trois millions d’albums (dans une vingtaine de langues). Cet héritier de Jean Van Hamme (XIII, Largo Winch, Thorgal) revient en octobre avec la suite d’Undertaker et d’Aristophania et une nouvelle série, Le Château des animaux. Qu’il s’attaque au western, au récit fantastique ou à la fable animalière, son ambition reste la même: "créer ou reprendre des mythologies purement françaises." 

Xavier Dorison s’y est appliqué dans Le Chant du Cygne, sur les mutineries de 17, Aristophania, sorte de Harry Potter en Provence, ou encore Comment faire fortune en juin 40, un Ocean’s Eleven durant la drôle de guerre. "La France a dans son histoire beaucoup de mythologies dans lesquelles on pourrait puiser - le Moyen-Âge, le récit de cape et d’épée, la révolution, 14-18… - et on ne le fait plus. On a laissé à nos amis anglo-saxons le monopole des mythologies", déplore le scénariste, qui cite notamment l’exemple des Misérables adaptés en comédie musicale à Broadway puis au cinéma. Il poursuit: 

"Je m’inscris dans une sorte de sursaut français pour dire que nous possédons aussi des mythologies qui peuvent parler au monde entier. En audiovisuel, on les a complètement abandonnés depuis longtemps. Il reste la bande dessinée pour défendre ces genres typiquement français. On a une approche spécifiquement française sur un certain nombre de sujets et il est temps de raconter nos histoires. Je pense que dans le siècle qui vient, avoir des mythologies aura une valeur et un impact énormes. Je n’ai pas envie de vivre uniquement dans un monde où on me raconte des histoires de super-héros qui gagnent parce qu’ils sont américains et ont des gros muscles"
Le Château des Animaux de Xavier Dorison et Félix Délep
Le Château des Animaux de Xavier Dorison et Félix Délep © Casterman 2019

Désobéissance civile

Une ambition qu’il applique dans Le Château des animaux, sa nouvelle série. Xavier Dorison y rend hommage à un des romans anglo-saxons les plus célèbres, La Ferme des animaux de George Orwell, pour évoquer à travers une basse-cour la désobéissance civile. Ses personnages - des chats, des poulets et des rats - s’allient pour faire tomber leur tyran, le taureau Silvio. Cette thématique universelle s’inscrit dans une tradition historique dont les origines remontent à la Bible. "Jésus y pratique une forme de désobéissance civile et de non-violence, reprise ensuite par Thoreau, Gandhi", souligne le scénariste. 

Des méthodes utilisées depuis en Afrique du sud, en Pologne, en Serbie, en Tunisie…"Ce qui est frappant, c’est que ça a marché. Simplement, il y a des fois où on a voulu le faire, comme en Syrie, et Bachar Al Assad s’est arrangé pour que ce mouvement ne tienne pas", explique-t-il, en précisant pourquoi il a choisi des animaux pour porter son propos: "Paradoxalement, plus on s’éloigne des humains dans la représentation, plus on arrive à quelque chose d’universel. On comprend bien que c’est une vérité intemporelle puisqu’elle n’est pas attachée à une réalité."

L’ambition de Xavier Dorison n’est pas simplement de dire que la désobéissance civile peut fonctionner, "mais de le prouver sur quatre tomes": "L’histoire a beau l’avoir prouvé un certain nombre de fois, quand vous parlez de désobéissance ou de non-violence, ça continue à susciter un certain nombre de ricanements." Et c’est aussi beaucoup plus complexe à réussir: "C’est beaucoup plus dur de résister à sa propre violence que d’aller l’exprimer."

Des BD écrites par Xavier Dorison
Des BD écrites par Xavier Dorison © Dargaud - Le Lombard

"J’ai appris en regardant les albums de Jean Van Hamme"

Cette dimension politique est présente dans les autres séries de Xavier Dorison. Il y a eu HSE, "sur notre rapport au capitalisme et plus précisément au consumérisme." Plus récemment, le western Undertaker, grand succès de librairie, est tout aussi politique, mais "de façon moins évidente". 

Le premier cycle, qui porte sur "la tension entre le moral et le légal", fait ainsi écho aux fameux 1% qui détiennent 99% des richesses de la planète. "Dans le deuxième cycle, on parle de l’utilitarisme et dans le nouveau, on s’intéresse aux personnes dont les valeurs ne s’adapte pas au monde dans lequel ils sont." En cela, Xavier Dorison est le digne successeur de Jean Van Hamme, capable comme lui au temps de XIII et Largo Winch de diluer dans des divertissements grand public des problématiques actuelles. 

"C’est quelqu’un qui par son travail et sa personnalité a énormément compté pour moi. J’ai commencé mon apprentissage de scénariste avec et en regardant Jean Van Hamme. Quand j’ai commencé à apprendre mon métier, une des méthodes que j’ai employées a été de prendre ses albums, un papier et un crayon et de regarder comment chaque page était construite, des dialogues à la mise en scène." 

Comme Van Hamme, la comédie pure n'est pas son fort. "J’ai besoin d’évasion, d’une forme de fougue romanesque." Comme Van Hamme, il écrit des scénarios très précis et a une appétence pour le dessin réaliste - "avec des nuances: certains sont plus dans la douceur, d’autres plus dans la force, certaines narrations sont très sur-découpées, d’autres plutôt classiques." Comme Van Hamme, il lui incombe cette " énorme responsabilité" de choisir le bon dessinateur pour la bonne histoire. "C’est très dur. J’ai mis plus d’un an à trouver Félix [Delep], avec qui j’ai fait Le Château des animaux. En ce moment, j’ai un scénario sous le coude depuis janvier et je n’ai toujours pas trouvé de dessinateur."

Thorgal par Xavier Dorison et Rosinski
Thorgal par Xavier Dorison et Rosinski © Le Lombard

"Montrer la violence n’est pas soutenir la violence"

L’élève s’est dissocié du maître sur un seul point: Dorison connaît, lui, toute son histoire lorsqu’il débute une série. Un point fort pour mener à bien un projet, sauf lorsqu’on doit l’abandonner à contre-cœur. Un des rêves de Xavier Dorison était de travailler sur Thorgal, un des personnages cultes de Jean Van Hamme. Le rêve est devenu réalité en 2016. Malgré un album très réussi, truffé de références au mythique cycle de Qâ, il a rapidement quitté l’aventure, faute de pouvoir s’entendre avec le dessinateur de la série, Rosinski:

"Je suis un peu triste de ne pas avoir pu mener jusqu’au bout la vision que j’avais de l’évolution de ce personnage », déplore-t-il. " J’avais écrit la suite du Feu écarlate, qui chez moi s’appelait Les Naufragés du ciel. J’avais même écrit le synopsis du tome suivant. La vision que j’en avais allait être de plus en plus adulte, de plus en plus réaliste et ce n’était pas le désir de Rosinski [le dessinateur de Thorgal, NDLR]. J’étais là pour servir Rosinski. Ce que je lui proposais ne pouvait plus le servir comme il l’entendait et j’ai préféré partir. Yann est beaucoup plus dans l’esprit de ce que voulait Rosinski."

Dorison, au contraire, veut se diriger vers des récits de plus en plus violents - et malgré son plaidoyer pour la désobéissance civique. "Montrer la violence n’est pas soutenir la violence, c’est reconnaître le monde tel qu’il est", précise-t-il. Il partage cette vision avec Fabien Nury, lui aussi scénariste à succès de polars brutaux et de fresques politiques sur les événements polémiques de notre histoire, comme l’Occupation et la colonisation.

"La question à se poser est dans quelle mesure la violence est-elle la solution des problèmes", poursuit Xavier Dorison. "On peut croire que dans certaines histoires de guerre la violence est une solution. Ce que j’essaie de montrer en général, c’est que ce qui fait la victoire, c’est que le personnage a remporté une victoire non sur les autres mais sur lui-même. J’essaie de plus en plus - selon les genres - de ne pas confondre la violence et l’action. La violence, c’est court et horrible. Si on veut vraiment en parler, il faut en montrer les conséquences. L’action, c’est long et c’est presque un spectacle et c’est assez jubilatoire. Plus les années vont passer, plus je vais faire de récits violents et moins d’action."

pour aller plus loin

Le Château des animaux, Tome 1, Miss Bengalore, Félix Delep (dessin) et Xavier Dorison (scénariste), Casterman, 72 pages, 15,95 euros.

Undertaker, Tome 5, L'Indien blanc, Ralph Meyer (dessin), Xavier Dorison (scénario) et Caroline Delabie (couleur), Dargaud, 64 pages, 14,99 euros.

Aristophania, Tome 2, Progredientes, Joël Parnotte (dessin) et Xavier Dorison (scénario), Dargaud, 64 pages, 14,99 euros.

Jérôme Lachasse