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Rosinski sort un nouveau Thorgal: "Mon éditeur avait peur que je crève avant la fin de l’album!"

Couverture du nouveau Thorgal

Couverture du nouveau Thorgal - Le Lombard 2018

Aniel, trente-sixième tome de la série culte, sort ce vendredi. Rosinski, son dessinateur historique, tire à l’occasion sa révérence. Rencontre.

"Si un Thorgal ressemble au tome précédent, c’est un échec pour moi." Ainsi parlait en juin 2017 le dessinateur Grzegorz Rosinski dans une interview accordée à BFMTV.com. Un an et demi plus tard, il revient, fidèle à sa promesse, avec Aniel, un nouvel album qui ne ressemble à aucun autre de la série vendue à plus de 11 millions d’exemplaires dans le monde. Et pour cause: il s’agit du dernier dessiné intégralement de sa main: "J’ai pris la décision en cours d’album", déclare l’ours polonais.

Couverture de Thorgal et Rosinski
Couverture de Thorgal et Rosinski © Le Lombard 2018

"J’ai commencé à paniquer un peu"

Ce trente-sixième tome devait être pour le dessinateur un retour aux premières aventures de Thorgal, autant dans l’esprit romanesque que dans le style. Sur les conseils de son fils Piotr, Rosinski a essayé de revenir à la tradition du crayonnage et de l’encrage. Le dessinateur, qui se consacre à la couleur directe depuis une quinzaine d’années, n’y est pas parvenu: "J’ai essayé. Je me suis rendu compte que ce n’était pas possible, que je suis devenu quelqu’un d’autre. J’ai mûri. J’ai eu d’autres expériences. Je suis toujours à la recherche de la nouveauté." Toute sa carrière, il a craint d’être emprisonné dans un style.

"Je ne pense jamais à ce que j’ai fait avant", commente le dessinateur. "Si j’y pense, c’est justement pour l’éviter. Je ne m’inspire jamais de ce que j’ai déjà fait. Pas parce que je l’ai fait mal. Même la réussite, je n’en profite pas. Je ne veux pas que ça ressemble à ce que j’ai fait avant. Le créateur, c’est celui qui invente et surtout qui ne se répète jamais. Il peut s’inspirer d’autres créateurs, mais il ne doit jamais se copier."

Des problèmes de santé ont également obligé le dessinateur à se poser quelques questions et à changer sa manière de travailler depuis plusieurs albums déjà. "J’ai commencé à paniquer un peu", avoue-t-il. Il a donc privilégié la couleur directe, une technique plus simple à maîtriser: "Je travaille et dès le début il y a déjà quelque chose d’un geste présentable." Il n’en pouvait plus, aussi, de devoir tenir depuis des années les rythmes d’un album tous les ans, puis tous les deux ans. Il a eu enfin peur de manquer de temps et de laisser derrière lui un album inachevé. "Mon éditeur avait peur que je crève avant la fin de l’album!", dit-il en plaisantant à moitié. Il ajoute: "C’est l’épée de Damoclès. C’est pour ça que j’ai décidé de ne plus commencer de longues histoires."

Thorgal
Thorgal © Le Lombard 2018

"Un héros est forcément naïf"

Si les albums de Thorgal sont terminés, Rosinski continuera les couvertures de la série et veut se consacrer à l’illustration. Un exercice qui lui laisse beaucoup de liberté, se réjouit-il: "La bande dessinée, c’est de l’esclavage et aussi un confort. On est obligé de toujours garder le même style. En illustration, chaque dessin a sa liberté. Quand je commence le dessin, je suis sûr qu’il sera fini." Il préfère à la narration, à l’obligation de suivre une histoire, l’ambiance. "Je ne veux pas écrire avec le dessin", dit Rosinski.

Il se méfie aussi de Mickey, de Tintin, de ces personnages qui changent peu physiquement: "Je ne sais pas comment le public peut s’identifier à des personnages non réalistes." On est loin de Thorgal, le premier héros de la BD franco-belge à être aussi père de famille, devant s’occuper de sa progéniture: "On a cherché des valeurs universelles pour que ça plaise à toute la famille", commente Rosinski. "Toujours mélancolique, Thorgal?", lui lance un personnage au début d’Aniel. "C’est un peu le propre d’un héros qui vit des aventures au loin et doit abandonner femme et enfants. Il pense forcément à eux... Les héros célibataires ne le sont pas, car ils ne laissent rien derrière et sont partout chez eux", raconte Yann, le nouveau scénariste de la série.

Rosinski reste un éternel insatisfait: "La seule chose qui me dérange ici avec Thorgal est sa stupidité." Son co-auteur tente de l’apaiser: "Un héros est forcément naïf." L’ours polonais a voulu faire avec Aniel une Odyssée, une grande histoire classique. Ce retour aux sources s’opère avec celui des créatures. Mille-pattes, plantes carnivores et oiseaux géants peuplent ainsi l’album: "J’avais envie d’utiliser le dinornis, un oiseau préhistorique géant de l’ère primaire. Je le trouvais intéressant: il est carnivore, dangereux", explique Yann. Amateur de monstres, Rosinski insiste pour qu’ils soient réalistes. Il a ainsi refusé une idée de son fils qui voulait des tortues volantes.

Thorgal
Thorgal © Le Lombard 2018

Un nouvel album en 2019

Si Le Feu écarlate, le précédent album, était dominé par la couleur rouge, Aniel se distingue par des ambiances vertes, bleues et jaunes éclatantes. "Mon but était de faire une histoire joyeuse. Les deux derniers albums étaient tristes, je trouve", répond Yann. La mort est toujours présente: "Il faut des morts pour que les vivants apparaissent encore plus vivants", souligne Rosinski, en faisant allusion à l’intrigue principale de son nouvel album, où Thorgal tente de sauver d’une mort certaine son fils Aniel.

Yann renchérit: "Pour sauver Aniel, il fallait tuer d’autres personnages. Sinon, on tombait dans 'Le Petit drakkar dans la prairie'." La mort d’Aniel a aussi été envisagée. "Je trouvais dommage d’avoir fait tous ces albums pour sauver Aniel et finir par le tuer", sourit Yann, qui a privilégié une fin positive, mais teintée de tristesse pour le lecteur de Thorgal. Il y trouvera en effet une case où Thorgal est dessiné pour la dernière fois par Rosinski.

Enfin rasé, le héros franco-belge apparaît avec un petit sourire et une mèche blanche. Rosinski concède qu’il a dû s’y prendre à plusieurs reprises. Sur les premiers dessins, Thorgal apparaissait "très triste". Cette case est aussi une manière de relancer la série vers une nouvelle direction. Le dessinateur Fred Vignaux, qui officiait sur les séries parallèles de Thorgal, a été adoubé par Rosinski. "Il est surprenant", loue Rosinski. Mais il ajoute en souriant: "Je suis un peu dur avec lui." Réponse en novembre 2019.

Jérôme Lachasse