BFMTV
Culture

De XIII au Prix Nobel de la Paix, le retour gagnant de Jean Van Hamme

Jean Van Hamme

Jean Van Hamme - Joel Saget / AFP

Le scénariste de XIII, Thorgal et Largo Winch sort Kivu, une BD qui dénonce "un régime de la terreur" dans l'est de la République démocratique du Congo. Une BD où apparaît le Prix Nobel de la Paix 2018 le docteur Denis Mukwege.

À 79 ans, le scénariste Jean Van Hamme, connu pour les séries XIII, Thorgal et Largo Winch, a publié l’album dont il est le plus fier de sa carrière: Kivu. Dessinée par Christophe Simon, cette BD sortie mi-septembre dénonce "un régime de la terreur" dans l'est de la République démocratique du Congo.

"Les rebelles, qui sont essentiellement des bandes armées de Hutus, sèment la terreur d’une manière ponctuelle, bien organisée, en détruisant la structure sociale de l’ethnie qui occupe le Kivu, c’est-à-dire les Bashi, en les chassant de leur village, qu’ils brûlent", explique Jean Van Hamme, avant d’ajouter: "Ils ont une technique de terreur par la mutilation."

Dans cette région, les bandes armées violent les femmes et réduisent à l’esclavage les hommes pour s’emparer du cobalt, du manganèse, du cuivre et surtout du coltan, précieux minerai dont ce pays regorge, indispensable pour la fabrication des portables et des tablettes. "A chaque fois qu’on allume le portable, une femme est mutilée", résume Jean Van Hamme.

L'auteur a découvert la situation grâce à Guy-Bernard Cadière, un chirurgien belge qui connaît bien cette région pour travailler régulièrement dans l’hôpital de Panzi, à Bukavu, dans le Sud-Kivu. C’est dans ce bâtiment ultra-sécurisé que le Prix Nobel de la Paix 2018 le docteur Denis Mukwege, celui que l’on surnomme "l’homme qui répare les femmes", sauve les femmes abusées sexuellement par les bandes armées. "Guy-Bernard Cadière vient aider le docteur Mukwege dans la mesure où il a une technique opératoire, que l’on appelle la laparoscopie, que très peu de chefs chirurgiens maîtrisent", précise Jean Van Hamme.

Kivu
Kivu © Le Lombard

42.000 femmes réparées

L’histoire suit le parcours d’un candide, un jeune ingénieur belge, qui, en même temps que le lecteur, découvre au fur à mesure du récit, et à travers sa rencontre avec Violette, une fillette, "la réalité assez abominable" de ce qui se passe au Kivu. "C’est un vieux principe narratif", précise le scénariste qui en emploie un autre pour clore son récit: un happy end, bien que le drame du Kivu soit loin d’être terminé.

"C’est un happy end en ce qui concerne le jeune homme et la gamine”, répond-il. "Il y a des happy ends dans ce qui se passe. La majorité des femmes guéries parviennent à s’en remettre, à retrouver leur dignité. En dix ans, Mukwege a réparé plus de 42.000 femmes." "C’est le rôle de Mukwege et de Guy-Bernard Cadière: il y a des gens qui s’en sortent, sinon leur rôle ne servirait à rien", complète le dessinateur Christophe Simon, qui s’est rendu sur place en est revenu très marqué.

Le happy end, selon Jean Van Hamme, "ne change pas la situation. C’est un moment d’espoir qui me paraît tout à fait justifié à ce moment-là. Et puis ma femme aime bien que je fasse des happy ends. Je ne l’ai pas toujours fait." Contrairement aux clichés, dont il raffole: "J’en ai balancé dans XIII et Thorgal. Je ne les dédaigne pas du tout, car ils permettent en bande dessinée de croquer rapidement le caractère des personnages secondaires."

"L’omerta généralisée"

À travers cet album, Van Hamme rend aussi hommage aux médecins de Panzi: "J’admire ces chirurgiens qui parviennent à faire abstraction du drame qui les entoure et se consacrent à leur mission. Quand on leur ramène une femme ou une fille de 3 ans, qui est complètement massacrée dans l’entrejambe, ils se concentrent sur l’opération. S’ils se laissaient émouvoir par la situation ambiante, ils n’y arriveraient pas." Jean Van Hamme dénonce "l’omerta généralisée" des multinationales:

"Ceux qui fabriquent des tablettes et des téléphones portables savent très bien ce qu’il se passe au Kivu, mais, comme le coltan circule par le Rwanda, puis par la Malaisie, les multinationales sont donc censées ignorer ce qui s’y passe. Le gouvernement de la RDC sait aussi très bien ce qu’il s’y passe et ça ne les intéresse pas d’intervenir, parce que ses rapports avec le Rwanda ne sont pas vraiment excellents. Et le Rwanda n’a pas envie que l’on rapatrie chez eux ses bandes armées. Il y a un immobilisme de la situation."

XIII Mystery
XIII Mystery © Dargaud

"Un bouquin politique"

Jusqu’à présent, Jean Van Hamme n’avait jamais parlé d’une manière aussi frontale, aussi brutale, d’un fait réel actuel. Même dans ses séries les plus contemporaines, XIII et Largo Winch, où il a pourtant évoqué avec acuité les bouleversements du XXe siècle.

"Dans XIII, ce sont les névroses américaines, qu’elles soient passées ou actuelles: le Vietnam, le Ku Ku Klan, la chasse aux sorcières de McCarthy, le racisme, mais c’est toujours en filigrane derrière. Dans Largo, ce sont des généralités qui pouvaient se passer il y a quarante ans comme maintenant. Kivu, c’est complètement différent. C’est une petite histoire fictive sur un fond d’un drame permanent. C’est carrément un bouquin politique."

Il ne délaisse pas pour autant la fiction pure. Il a sorti quelques semaines après Kivu le dernier tome de XIII Mystery, série dont il est le directeur de collection. Il y explore les vies de plusieurs personnages secondaires du thriller politique inspiré de Robert Ludlum. Cet album est consacré à Judith Warner, son personnage préféré: "C’était le personnage que je m’étais réservé", glisse le scénariste. "J’aime ces personnages de femmes qui décident de leur sort, qui assument leurs erreurs. Et pour une fois que Vance ne faisait pas une blonde scintillante, mais une brune de caractère! J’ai beaucoup surveillé la manière dont Olivier Grenson la dessinait." Le scénariste sort aussi fin novembre un deuxième tome de L’Enquête, qui apporte des éclaircissements sur la série.

Une manière de dire au revoir à la série qui l’a rendu célèbre. Il n’a d’ailleurs pas prévu d’écrire une suite: "Je n’ai pas besoin de m’interroger sur une suite puisque Yves Sente et Igor Jigounov la font." Alors qu’il prépare sa série Wayne Shelton, il confie n’avoir aucune nostalgie de XIII, Largo et Thorgal. "J’en suis content, mais rien dans le passé ne me manque. Mon présent est suffisamment rempli. Je me sens comblé. J’aimerais avoir trente ans de moins, mais ça c’est mes articulations qui me le disent, ce n’est pas moi."

Kivu, Christophe Simon (dessin) et Jean Van Hamme (scénario), Le Lombard, 72 pages, 14,99 euros.

Judith Warner, XIII Mystery, Olivier Grenson (dessin) et Jean Van Hamme (scénario), Dargaud, 56 pages, 12 euros.

pour prolonger la lecture de kivu

Urgence niveau 3 de Joshua Dysart, Jonathan Dumont, Alberto Ponticelli et Pat Masioni (Bliss Comics) est un recueil de trois histoires situées dans trois régions (Tchad, Soudan du Sud et Irak) où la crise humanitaire a atteint son niveau le plus grave.

De son côté, L’Envers des nuages de Rafael Ortiz et Frédéric Richaud (Glénat), sorti en juin dernier, décrit, à travers le parcours de Samy, 12 ans, la condition des enfants-soldats en Afrique centrale. Une BD publiée en partenariat avec le comité international de la Croix-Rouge.

Jérôme Lachasse