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Moi, ce que j'aime, c'est les monstres: ce qu’il faut savoir sur la BD événement de la rentrée

La dessinatrice Emil Ferris et la couverture de Moi, ce que j'aime, c'est les monstres

La dessinatrice Emil Ferris et la couverture de Moi, ce que j'aime, c'est les monstres - Joel Saget / AFP

Succès aux Etats-Unis et en France, la BD d'Emil Ferris séduit la presse et le public, et sera bientôt adaptée au cinéma.

L’histoire a tant été racontée qu’elle est presque devenue un mythe. Piquée par un moustique en 2002 le jour de ses 40 ans, la dessinatrice américaine Emil Ferris s’est retrouvée paralysée, atteinte du virus du Nil. Alors que ses médecins lui avaient dit qu’elle ne pourrait plus jamais marcher ou dessiner, cette native de Chicago est parvenue à sortir quinze ans plus tard Moi, ce que j'aime, c'est les monstres.

Ce roman graphique, dont les planches sont exposées jusqu’au 20 octobre à la Galerie Martel (Paris X), est déjà considérée par Art Spiegelman, l’auteur de Maus, comme un des plus ouvrages les plus importants de la BD américaine.

Une adaptation à Hollywood

Refusé par 48 éditeurs avant d’être publié aux Etats-Unis par l’indépendant Fantagraphics, le premier tome de Moi, ce que j'aime, c'est les monstres s’est écoulé à plus de 100.000 exemplaires dans le monde. Un chiffre exceptionnel pour un ouvrage sombre, exigeant et dense (plus de 500 pages).

Moi, ce que j'aime, c'est les monstres
Moi, ce que j'aime, c'est les monstres © Monsieur Toussaint Louverture

Depuis sa sortie, l’ouvrage séduit la presse généraliste comme spécialisée, collectionne les récompenses dans les festivals et a même tapé dans l’œil d’Hollywood. Sam Mendes, le réalisateur de Skyfall, a été intéressé un temps. Emil Ferris, qui suit le processus de loin, raconte que l’équipe de la série Handmaid’s Tales est désormais sur le coup. Le livre, particulièrement complexe, devrait donner du fil à retordre aux cinéastes.

L’intrigue suit à Chicago le parcours de Karen, une adolescente passionnée par le fantastique et qu’Emil Ferris choisit de représenter sous les traits d’un loup-garou. Lorsque sa voisine, Anka, une rescapée des camps de concentration, meurt dans d’étranges circonstances, la jeune Karen décide d’enquêter. A cette intrigue policière se mêlent des réflexions sur l’histoire de l’Art et les récits horrifiques, l’identité sexuelle et la place des survivants de la Shoah dans notre société.

Une dimension autobiographique

Emil Ferris ne cache pas la dimension autobiographique de la BD, elle qui rêvait enfant de devenir un loup-garou et vivait à Chicago dans un quartier où la violence et les abus sexuels étaient monnaie courante:

"J’ai affronté dans ma vie beaucoup de choses - mais je sais aussi que beaucoup d’autres gens les ont affrontées également. Ces souffrances les empêchent de faire ce qu’ils veulent accomplir. Cela me dérange vraiment que ce qui nous est fait dans notre enfance nous change d’une telle manière que nous ne pouvons pas nous accomplir complètement ni partager avec le monde nos talents respectifs. On n’en parle pas assez. L’histoire d’Anka était une manière d’évoquer ce sujet."
Moi, ce que j'aime, c'est les monstres
Moi, ce que j'aime, c'est les monstres © Monsieur Toussaint Louverture

Anka est d’ailleurs inspirée de plusieurs personnes qui ont vraiment existé.

"Quand j’étais enfant, il y avait cette galeriste - ma mère était peintre - qui s’appelait Sonya", se souvient Emil Ferris. "Elle était gentille, généreuse et très cultivée. Un jour, sa manche s’est soulevée et j’ai vu ce numéro sur son bras. Cela m’a interpellée et j’ai commencé à faire des recherches sur le sujet. Puis j’ai rencontré d’autres personnes qui étaient aussi des survivants. Ils étaient intéressés par le fait que je dessine et me racontaient leur histoire. C’est à partir de ce moment que j’ai pu emmagasiner ces histoires et construire le personnage d’Anka."

"Nous sommes tous des monstres"

Ses personnages, bien qu’ils ne soient pas des monstres, en ont l’apparence. Si Karen est un loup-garou, les hommes et les femmes qu’elle croise portent souvent des cicatrices au visage: "Nous sommes tous des monstres", répond Emil Ferris, dont le livre, dessiné avec des stylos à bille, met en images la douleur qui étreint l'individu lorsqu'il perd un être cher. Une planche, en particulier, représente le désespoir de Karen en mêlant en un même tourbillon les traits de son visage avec le texte.

"Il n’y avait pas d’autres manières pour représenter ce moment où Karen apprend que sa mère est malade. Quand quelque chose de tragique vous arrive, la chose la plus horrible est que tout continue comme avant. Quelque chose vous détruit et il n’y en a aucun signe dans le monde qui nous entoure pour indiquer le changement. J’aime beaucoup cette image, car elle représente ce moment où l’on comprend que notre vie est changée à jamais."
Moi, ce que j'aime, c'est les monstres
Moi, ce que j'aime, c'est les monstres © Monsieur Toussaint Louverture

Le dessin est aussi une manière de se libérer. Emil Ferris sculpte l’espace de la page pour y exposer ses névroses: "Chaque double page est un monde à part entière, une expérience", dit la dessinatrice, dont la BD a l’apparence d’un journal intime, dont elle a conservé les lignes.

Le deuxième tome en 2019

Pour Emil Ferris, dessiner sur ces lignes (ajoutées numériquement une fois la page achevée) est une manière de se rebeller et de symboliser l’anticonformisme de Karen. Et de rendre hommage à sa tante qui lui a fait découvrir enfant My Name is Lion, un livre où une adolescente navajo reçoit un cahier ligné, symbole de l’oppression des Blancs sur les Amérindiens.

Dans le deuxième tome de Moi, ce que j'aime, c'est les monstres, la rébellion se poursuit, mais le ton sera plus sombre. "C’est une histoire très difficile à raconter. Cela a été douloureux à réaliser", confie Emil Ferris, qui a découvert il y a six mois comment son histoire se terminait. "J’ai été un peu angoissée, car tout le monde aime le premier. Mais la fin pourrait changer. Je ressens tellement d’anxiété au moment où je rends le livre, parce que je dois lâcher prise."

Très attendue, la suite et fin de Moi, ce que j'aime, c'est les monstres devrait sortir en 2019.

Jérôme Lachasse