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Bandes dessinées

Pourquoi les prix des mangas vont encore augmenter à partir du 1er janvier

Un stand de l'éditeur Delcourtlors du festival d'Angoulême en 2016

Un stand de l'éditeur Delcourtlors du festival d'Angoulême en 2016 - Georges Gobet

Ce dimanche 1er janvier, les éditeurs augmentent les prix des mangas. La faute à la pénurie du papier, à la crise de l'énergie et à la hausse des coûts de transport et de stockage.

L'année 2023, malgré son lot de nouveautés très attendues en matière de mangas, commence avec une mauvaise nouvelle pour les amateurs du genre: la majorité des maisons d'édition augmentent leur prix à partir du 1er janvier. Sont concernés les mastodontes (Ki-oon, Kurokawa, Glénat, Pika), des sociétés plus modestes (Ototo, Taifu), mais aussi les nouveaux acteurs du marché (Mangetsu).

"Un éditeur n'est jamais content d'augmenter ses prix, parce qu’on sait que les lecteurs vont devoir faire des choix", rappelle Ahmed Agne, le patron de Ki-oon. Kana et Panini, qui ont déjà augmenté l'année dernière, maintiennent pour le moment leurs prix. Aucune augmentation n'est prévue chez Vega-Dupuis, Delcourt, Akata, NaBan, Imho et Sakka. Contacté par BFMTV, Crunchyroll refuse d'évoquer le sujet.

En pleine explosion des ventes, le milieu du manga a dû gérer, au cours des derniers mois, la pénurie du papier qui l'a empêché de rééditer des titres très populaires. La situation n'a fait qu'empirer. ​​Sappi Papier, l'un des plus gros fabricants de papier européen, a augmenté fin septembre ses prix de 8 à 10 %. Sans compter les usines qui ferment ou se spécialisent dans le carton et l’emballage, plus lucratif que le papier.

"On n'est plus en position de négocier"

A cette crise se sont ajoutées les hausses des matières premières nécessaires à l'impression d'un manga (carburant, énergie, encre) et des coûts de transport et de stockage. La principale hausse des prix d'impression (20-30%) vient de la crise de l'énergie, héritée de la guerre en Ukraine, qui fait rage depuis mars dernier. Autant de facteurs qui obligent les maisons d'édition à augmenter le prix de leurs ouvrages.

La situation était déjà difficile l'année dernière, mais beaucoup d'éditeurs ont pris la décision d'attendre "pour pouvoir préparer [les] lecteurs en amont", précise Satoko Inaba, directrice éditoriale de Glénat Manga. Impossible aussi d'annoncer une augmentation de prix alors que les maisons d'édition faisaient la tournée des médias pour se féliciter des ventes extraordinaires du manga.

Lancé au printemps 2021, Mangetsu ne pouvait pas se permettre de ne pas communiquer sur ses augmentations. "Ça aurait envoyé un très mauvais signal de ne rien dire", confie son directeur de collection Sullivan Rouaud. Un an plus tard, la situation est intenable: "On n'est plus en position de négocier quoi que ce soit", estime Ahmed Agne, qui jusqu'à présent n'avait jamais touché au prix d'une série en cours de publication.

Le seuil symbolique des 7 euros

L'enjeu de cette augmentation a été d'éviter de dépasser le seuil symbolique des 7 euros pour les titres qui font sensation chez les adolescents, dont le budget n'est pas extensible. "C'était l'équation la plus compliquée", reconnaît Ahmed Agne. Chez Glénat, les shonen-blockbusters One Piece, Tokyo Revengers, Berserk, Bleach, Dr Stone ou encore Dragon Ball passent ainsi de 6,90 à 6,99 euros.

"On ne voulait pas franchir ce seuil psychologique", assure Satoko Inaba. "On sait que nos titres les plus populaires se trouvent dans la catégorie de prix la plus basse. Mais on a été un peu obligé de le faire. Comme c'est un produit à petit prix, le prix de fabrication a une part très importante dans le prix final de l’objet."

Le seuil a été franchi chez Pika (Fairy Tail, L'Attaque des Titans), Kurokawa (Spy x Family, One Punch Man) et Mangetsu (Ao Ashi), qui proposeront désormais leurs shonens phares à 7,20 euros. "On a fait un état des lieux de nos tarifs", note Marie Vautrin, chargée des relations libraires et diffuseurs chez Pika. "On ne voulait pas augmenter pour augmenter."

Ki-oon résiste. Longtemps le shonen-blockbuster le moins coûteux du marché, My Hero Academia sera proposé à 6,95 euros au lieu de 6,60. Idem pour Jujutsu Kaisen (vendu jusqu'à présent 6,90). Aucun éditeur, toutefois, ne craint de perdre son lectorat. "Je ne crois pas une seconde qu'on vendra moins de My Hero Academia et de Jujutsu Kaisen", assure Ahmed Agne. "Mais ils feront des choix sur des futurs lancements."

Rogner la marge

Des augmentations plus importantes sont en revanche à prévoir sur des titres destinés à un public plus âgé, au pouvoir d'achat plus important que les adolescents. Les chefs d'œuvre de Lovecraft de Gou Tanabe augmentent d'un euro et les Junji Ito (chez Mangetsu) entre 2 et 5 euros. "Le débat, c’est est-ce que le livre est au bon prix par rapport à ce qu’il est sur le marché?", précise Sullivan Rouaud.

Mais comme le précise Stéphane Duval, le patron du Lézard noir, ces hausses de prix ne bénéficient pas entièrement à l'éditeur: "J'augmente d'un euro La Cantine de minuit. Mais ce n'est pas un euro dans notre poche, mais à peu près 40% d'un euro dans notre poche. Car il y a aussi la part libraire", précise celui qui lancera l'année prochaine une collection à petit format et à petit prix (à 8,50 euros).

Et ces nouveaux prix ne couvrent pas toutes les augmentations. Pour que les shonen-blockbusters restent des produits accessibles, les éditeurs sont contraints de rogner un peu sur leur marge. "Si on voulait être confortable, My Hero Academia ne serait pas à 6,95 mais à 7,50", précise Ahmed Agne. "On a préféré prendre un peu sur notre marge pour pouvoir contenir cette augmentation au minimum possible", ajoute Satoko Inaba.

Conserver une marge importante, c'est la stratégie adoptée par Pika depuis plusieurs mois. "Il fallait que l'augmentation soit significative, pour qu'il y ait un impact de notre côté. On a regardé l'augmentation qui permettait d'amortir la hausse des coûts. C'est pour ça qu'on est passé de 6,95 à 7,20", confirme Marie Vautrin. L'éditeur a aussi profité pour augmenter plusieurs de ses séries historiques terminées depuis quelques années.

Des parution récentes, comme la réédition de Rokudenashi Blues, ont aussi été proposées dès leur sortie à un prix élevé pour anticiper la hausse. "Quand on l'a sorti, on avait déjà fixé un prix qu'on allait pouvoir tenir sans avoir à l'augmenter six mois après", indique Marie Vautrin. "Dans nos calculs, on avait pris en compte la hausse de l'énergie, du transport et des matières premières qu'il allait y avoir."

"La fin de la récré"

À cela s'ajoute un autre enjeu: augmenter les tarifs tout en conservant la qualité du papier. "On ne baissera pas la qualité du papier", insiste Satoko Inaba. "Si on est amené à choisir d’autres papiers, on en choisira des similaires." Même son de cloche chez Ki-oon: "On ne veut pas que ce soit la double peine." Et d'ajouter: "En toute transparence, j’espère que c'est un discours que je pourrai toujours tenir dans un an."

La crainte que le papier devienne un produit de luxe est présente. D'autant qu'il n'existe "pas de signe d'amélioration, dans aucun domaine", réagit Sullivan Rouaud. "La situation est pire que l'année dernière et continue d'empirer. Les coûts ne vont pas cesser d'augmenter. Je pense qu'il y a une part d'anticipation dans l'augmentation des prix pour absorber les futures déconvenues que l'on pourrait avoir en 2023."

"Est-ce qu'on ne va pas devoir refaire des augmentations dans six mois ou un an?", s'interroge Ahmed Agne. À cela s'ajoute la possibilité, après l'embellie des années 2020-2021, d'une baisse de 10-15% des ventes sur les deux-trois prochaines années: "On ne sera pas à plaindre, car on sera toujours à +95% par rapport à 2019, mais ce sera un peu la fin de la récré."

https://twitter.com/J_Lachasse Jérôme Lachasse Journaliste BFMTV