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"C'est un titre qui manquait au paysage français": le manga culte "Rokudenashi Blues" de retour en librairie

Un détail de la couverture du manga "Rokudenashi Blues"

Un détail de la couverture du manga "Rokudenashi Blues" - Pika

Titre phare du " furyo", sous-genre mettant en scène des voyous au grand cœur, Rokudenashi Blues fait son comeback en France avec une nouvelle édition qui paraît ce mercredi 1er juin aux éditions Pika.

Anciennement connu en France sous le titre Racaille Blues, le manga culte des années 1990 Rokudenashi Blues de Masanori Morita est de nouveau disponible dans une nouvelle édition à paraître ce mercredi 1er juin aux éditions Pika. Un retour très attendu par les amateurs du "furyo", sous-genre japonais qui met en scène des voyous.

Publié pour la première fois au Japon le 30 mai 1988 dans les colonnes du Weekly Shōnen Jump, Rokudenashi Blues a été tiré à plus de 60 millions d'exemplaires dans le monde. On y suit les histoires d'amour, d'amitié et d'honneur d'une bande de lycéens qui choisissent souvent les poings pour se faire respecter.

Titre phare du second âge d'or de Shônen Jump dans les années 1980 et 1990, Rokudenashi Blues a contribué au renouveau de la revue aux côtés de séries comme Captain Tsubasa, Cat's Eye, Hokuto no Ken, Dragon Ball, Saint Seiya, Jojo's Bizarre Adventure, Dragon Quest, YūYū Hakusho et Slam Dunk.

Réalisme et exagérations graphiques

"On imagine de fait le mérite qu'a eu Rokudenashi Blues d'exister presque dix ans dans cet écosystème éditorial terriblement compétitif et hyper exigeant", note Ludovic Gottigny, spécialiste de l'histoire du Shônen Jump et contributeur de la revue spécialisée Otomo, avant de rappeler que le succès n'a pas été instantané pour le manga de Morita:

"Il a fallu entre six mois et un an pour que la série s'installe, trouve son rythme, son équilibre graphique et sa grammaire propre, avant d'exploser définitivement avec l'ajout de personnages hauts en couleur comme Koheiji, puis l'arc des Quatre Rois du Ciel et l'ajout des petits chapitres humoristiques en [style] 'super deformed', Rokudenashi Buruuchu."

Sans révolutionner le "furyo", Rokudenashi Blues "lui a impulsé une nouvelle direction, plus réaliste au regard du quotidien des jeunes protagonistes à défaut de l'être dans les phases de combats", plus proches des shônens classiques, analyse Ludovic Gottigny. "Une ambivalence qui se retrouve dans un style à la fois réaliste mais pas imperméable aux exagérations graphiques à des fins humoristiques."

Une planche du manga "Rokudenashi Blues" de Masanori Morita
Une planche du manga "Rokudenashi Blues" de Masanori Morita © Pika

Ex-assistant de Tetsuo Hara (Hokuto no Ken), Morita s'est imposé avec Rokudenashi Blues puis Rookies (1998-2003) et Beshari Gurashi (2006) comme un grand nom du manga. Ludovic Gottigny salue en particulier "son style graphique léché, son humour visuel et [sa] grande aptitude à restituer l'impact de l'action."

Epuisé depuis une quinzaine d'années, Rokudenashi Blues doit sa résurrection en France à un contexte favorable pour les rééditions de classiques du manga, et surtout au "furyo", genre longtemps délaissé par les Français, qui vient d'obtenir un immense succès sur notre territoire avec Tokyo Revengers de Ken Wakui.

"S'il y a autant de buzz, c'est aussi parce que c'est un titre qui manquait au paysage français", précise Mehdi Benrabah, directeur éditorial de Pika. "Si les gens l'ont réclamé, c’est aussi parce que c'est un des derniers shonens du Jump qui n’était plus disponible sur le marché français. C'était mon rêve de le publier."

Pourquoi avoir attendu si longtemps pour accomplir ce rêve? "J’ai toujours priorisé d’autres titres qui jusque-là avaient un plus haut potentiel que Rokudenashi Blues. On parle d’un titre de 1988 qui fait dans son édition normale 42 tomes. Ça reste un challenge. Tu réfléchis à deux fois avant de te lancer", indique Mehdi Benrabah.

Le déclic s'est produit en 2018 lors de la grande exposition dédiée au 50 ans du Weekly Shōnen Jump: "Quand j’ai vu la place qui était accordée à Rokudenashi Blues, qui était mis au même niveau de YūYū Hakusho, Slam Dunk, Yu-Gi-Oh!, ça a renforcé mon envie de le republier en France."

Selon l'éditeur, la seconde vie française de Rokudenashi Blues ne pouvait avoir lieu que chez Pika: "Le 'furyo' n'a jamais quitté le catalogue Pika, que ce soit avec Drôle de racaille, GTO, Young GTO ou The Fable. On est tous opportuniste dans l'édition, mais le forcing des gens, je suis désolé, est relatif sur mon travail et sur mes décisions."

Changement de titre

A cette occasion, Racaille Blues a repris son nom japonais. "A partir du moment où les gens savent dire Jujutsu Kaisen, Rokudenashi Blues, ça va rentrer", estime l'éditeur. "Et Racaille Blues, ça ne voulait pas dire grand-chose. Le mot 'racaille', très connoté chez nous, ne s’applique pas à ces gars-là, qui sont des bons à rien avec des valeurs."

"C'est un choix qui ne me choque pas", note Ludovic Gottigny. "J'aimais beaucoup l'appellation 'Racaille Blues', qui était très bien trouvée tout en restant fidèle au titre japonais, mais je comprends l'envie de Pika de se démarquer de l'édition précédente." Mais il déplore la retraduction, qui efface l'outrance des dialogues de l'édition originale:

"'Over the top' par moments, elle restituait parfaitement dans son niveau de langage les attitudes, l'élocution et les extravagances des personnages ainsi que certaines nuances géographiques capitales dans la compréhension des enjeux narratifs", juge-t-il.

Malgré la pénurie de papier, les éditions Pika proposent une édition soignée bénéficiant d'un tirage important. "On estime que cette édition est à la hauteur de l'attente. On y a mis tout notre cœur", insiste Mehdi Benrabah. Un tome sort tous les deux mois. 25 sont prévus en tout.

Une planche du manga "Rokudenashi Blues" de Masanori Morita
Une planche du manga "Rokudenashi Blues" de Masanori Morita © Pika

Mais un détail a déjà mis en rogne les fans: la présence d'une seule page couleur dans la réédition, pourtant annoncée comme définitive. Un non-sujet, estime Mehdi Benrabah, visiblement encore secoué par les nombreuses critiques qui ont été postées sur ce sujet sur les réseaux sociaux:

"On se base sur une édition existante au Japon, 'bunko', qui est un format poche. On a choisi de la mettre dans un écrin plus classieux, agrandi. On avait d'autres idées de design qui ne sont pas dans l’édition bunko, mais le seul matériel couleur auquel on a eu accès, c’est celui de cette édition 'bunko'. Fin de l’histoire!"

L'éditeur invite les fans de Rokudenashi Blues sur Twitter à se déplacer dans les librairies. "J’espère que ces gens qui ont fait du forcing seront aussi là au rendez-vous dans les magasins. Je l'espère vraiment. Car, évidemment, on n'aimerait pas s’arrêter à Rokudenashi Blues. Toute l'œuvre de Morita m'intéresse."

La moitié de son travail reste inédite en France. Et Morita planche sur une nouvelle série mêlant thriller et horreur, "qu'il fantasme depuis plusieurs années, qu'il veut plus ambitieuse, sérieuse et réaliste que ses titres précédents, probablement inspiré en cela par son meilleur ennemi [le mangaka Takehiko] Inoue", conclut Ludovic Gottigny.

Rokudenashi Blues, Masanori Morita (scénario & dessin), Pascale Simon (traduction), Pika Masterpiece, 340 pages, 16 euros. 25 tomes prévus. Parution tous les deux mois.

https://twitter.com/J_Lachasse Jérôme Lachasse Journaliste BFMTV