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Bandes dessinées

La BD culte "Blacksad" de retour après huit ans d’absence

Détail de la couverture du tome 6 de "Blacksad"

Détail de la couverture du tome 6 de "Blacksad" - Dargaud

Le polar animalier de Guarnido et Canales revient ce vendredi 1er octobre avec "Alors, tout tombe", le premier volet d’un diptyque qui renouvelle les codes de la série.

Blacksad, le polar animalier de Juan Díaz Canales et de Juanjo Guarnido vendu à plus de 2 millions d'albums, est enfin de retour après huit ans d'absence. Le chat détective privé revient ce vendredi 1er octobre avec Alors, tout tombe, sixième tome de la série et premier volet d'un diptyque dont la suite et fin paraîtra au premier semestre 2023.

Réclamé par les fans depuis la sortie en 2013 du cinquième tome Amarillo, ce nouveau Blacksad a mis du temps à voir le jour. Ce n'était pas prévu ainsi et Guarnido en est le premier désolé. "C’est vraiment de ma faute", confesse le dessinateur, qui s'est "laissé déborder" par "les projets les plus chronophages et les plus usants qui soient": la réalisation du clip Freak of the Week et la fresque Les Indes Fourbes (Delcourt), grand succès de la rentrée 2019.

Canales a rongé son frein en écrivant de son côté trois Corto Maltese pour son camarade Ruben Pellejero et en dessinant sa propre BD, Au fil de l'eau (Rue de Sèvres). Concernant cette si longue absence des librairies de son personnage, Guarnido nie toute forme de saturation: "Blacksad ne me sature jamais. Je suis toujours ravi de retrouver cet univers animalier que je chéris tant. Évidemment, c’est bien d’alterner avec des récits dans des registres différents, ça vous fait revenir dans Blacksad avec plus d’envie. Maintenant, c’est que du bonheur."

Se rattraper après "Amarillo"

Pour éviter de s'absenter aussi longtemps de Blacksad, Guarnido a concocté avec Canales une histoire en deux tomes. "C'est une façon de m’engager sur Blacksad un peu plus sur la durée. Ce n’est pas plus mal. Je suis très content de faire deux Blacksad d’affilée", confirme le dessinateur, visiblement très heureux de pouvoir "imaginer une trame un peu plus longue et un peu plus complexe." Pour marquer cet événement, Guarnido tourne le dos au "cycle des couleurs": les couvertures ne seront plus définies par une couleur, comme pour les cinq premiers tomes, mais par une thématique tenue pour l'heure secrète.

Détails des couvertures des six tomes de "Blacksad"
Détails des couvertures des six tomes de "Blacksad" © Dargaud

Ce retour de Blacksad est d’autant plus attendu que le précédent tome, Amarillo, avait déçu les lecteurs. "On m’a dit que l’histoire était trop gaie, trop solaire, avec des couleurs trop lumineuses, que ce n’était pas assez noir, pas assez polar. Bon, il y avait quand même deux assassinats dans les premières pages…" Il concède cependant que "les réactions étaient justes", mais que les lecteurs "n’ont pas forcément compris ce qui se passait avec le dessin":

"On m'a dit que j’avais torché l’album. Ce n’est pas le cas. Mon dessin est plus grossier dans cet album - dans le sens où il y a moins de détails - pour une raison toute bête: c’est le premier album que j’ai fait avec des lunettes. Ma vue avait commencé à baisser et il a fallu que je m’adapte à mes lunettes. J’ai perdu un peu la référence de ce que devait être l’épaisseur de mon trait. Je ne l’ai pas remarqué en le faisant ou en le découvrant imprimé. C’est uniquement lorsque je l’ai mis à côté d’Arctic Nation que je m’en suis rendu compte."

Plaisir de retouver l'univers de "Blacksad"

Malgré les années qui séparent les deux derniers tomes de Blacksad, Guarnido n’a eu aucun mal à se replonger dans l’univers. Quasiment rien n'a jamais changé, hormis quelques détails stylistiques: "La technique est la même que sur les autres tomes sauf que j’ai effectué des rehauts avec de la gouache noire et pas avec l’encre qui avait tendance à baver." Il est aussi parvenu à dessiner son personnage tel qu'il le souhaitait:

"Le personnage s’est construit petit à petit. Si vous regardez le premier tome, il y a des dessins où il ressemble à peine à un chat. À l'époque, j'aurais voulu avoir le temps de refaire les premières planches. Mais je n’ai pas pu. Il y avait une bonne intention, mais ce n’était pas mûr. Au début, je rechignais à lui faire un grand menton, parce que c’était la solution que l’on retrouvait toujours chez les félins chez Walt Disney. Je ne voulais pas que ce soit disneyien."
Blacksad dans sa nouvelle aventure "Alors Tout Tombe"
Blacksad dans sa nouvelle aventure "Alors Tout Tombe" © Dargaud

Et le dessinateur d'ajouter: "Je lui ai fait un petit menton, puis au troisième tome, sur la couverture, Blacksad a un menton plus conséquent. C’était nécessaire: sa mâchoire n’était pas assez masculine et c’était important qu’il transmette quelque chose d’humain et de viril. La tête de Blacksad n’est pas une tête de chat. C’est ça le changement. Au début, il avait des traits humains sur un crâne de chat. Aujourd’hui, il a des traits de chat sur un crâne humain. C’est ce qui fait la différence. Au début, il était un peu trop cartoon."

Les germes de notre société

Canales a eu un peu plus de mal que son complice à replonger dans l'univers sombre de Blacksad. "J’ai essayé d’orienter Canales vers une trame plus polar où Blacksad aurait plus un rôle de détective engagé par un particulier pour une tâche précise", explique Guarnido.

Sous l'impulsion du dessinateur, le récit est devenu plus choral, avec une foule de personnages inédits, et le retour de quelques figures aimées. Blacksad se retrouve une nouvelle fois mêlé à des intrigues politiques où les puissants de ce monde accélèrent la marche vers la modernité pour leur profit. Une fois n'est pas coutume, la réalité historique n'est pas loin. Un personnage évoque le mafieux Jimmy Hoffa (évoqué dans The Irishman de Martin Scorsese) tandis qu'un autre est inspiré de Robert Moses, artisan de la rénovation de New York dans les années cinquante et figure controversée de l’urbanisme.

Salomon, nouvel antagoniste de Blacksad dans sa nouvelle aventure "Alors, Tout Tombe"
Salomon, nouvel antagoniste de Blacksad dans sa nouvelle aventure "Alors, Tout Tombe" © Blacksad

Depuis le premier Blacksad, Canales et Guarnido mettent en scène la modernisation de la société américaine dans les années cinquante. Après avoir abordé la question des tensions raciales, la montée du Ku Klux Klan, la démocratisation de la voiture et la scène jazz, le duo évoque la transformation des villes en mégalopole et la naissance du "New Journalism". Cette manière plus romanesque et plus personnelle de rendre compte du réel, qui fut incarnée par des personnalités comme Joan Didion et Tom Wolfe, va troubler Weekly, le compagnon de Blacksad, qui travaille pour un journal à sensation.

"C’est le but de voir cette modernisation du monde", acquiesce Guarnido. "Les années cinquante sont la période où le monde commence à ressembler au monde d’aujourd’hui. C’est le début de la société de consommation. Ce sont les germes de notre société."

"Blacksad" bientôt au cinéma?

En vingt ans, Blacksad est devenu un mythe et il a inspiré sans le savoir des dizaines d'œuvres dont Zootopie de Disney. "Un illustre collègue scénariste m’a demandé si j’allais leur faire un procès! Je lui ai répondu qu’il plaisantait! On n’a pas inventé l’animalier! Zootopie m’a en revanche rappelé l'histoire qu’avait eu un des réalisateurs [Alexandre Aja, NDLR] pressenti pour réaliser Blacksad. Il avait quasiment la même idée. C’est lui qui devrait leur faire un procès! On lui a totalement piqué son idée!"

Des années après une adaptation avortée produite par Thomas Langmann, "le projet a l’air aujourd’hui d’avoir plus de chance qu’auparavant d’être fait", estime Guarnido. Le dessinateur rêve d’un film live avec renfort d’effets spéciaux pour matérialiser à l’écran son chat détective. Comme dans Cats? "J’ai vu la moitié de la bande-annonce. Je n’ai pas supporté! C’est dommage: j’aurais voulu qu'Idris Elba joue Blacksad. Après ce qu’il a fait dans Cats, il n’y a aucune chance qu’il rejoue un chat!"

Une chose est sûre: Blacksad sera de retour en BD avant qu'il puisse faire un pas au cinéma. Prévu pour le premier trimestre 2023, le deuxième tome du diptyque "sera très bien", assure Guarnido avant de conclure: "Il y aura quelques petites surprises et quelques séquences d’anthologie."

Blacksad, tome 6, Alors, tout tombe, Juanjo Guarnido (dessin) et Juan Diaz Canales (scénariste), Dargaud, 60 pages, 15 euros.

https://twitter.com/J_Lachasse Jérôme Lachasse Journaliste BFMTV