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La BD de la semaine: Juan Díaz Canalès commente Au Fil de l'eau

La BD "Au fil de l'eau" de Juan Diaz Canales

La BD "Au fil de l'eau" de Juan Diaz Canales - Rue de Sèvres, 2016

LA BD DE LA SEMAINE - Le scénariste de Blacksad et des nouvelles aventures de Corto Maltese signe sa première histoire en tant que dessinateur.

Scénariste de renom (créateur de Blacksad, plume des nouvelle aventures de Corto Maltese), Juan Díaz Canalès livre avec Au Fil de l'eau son premier album en tant que dessinateur: l'histoire d'octogénaires espagnols vivant de petits trafics. Avec son trait fin et son noir et blanc perçant, Juan Díaz Canalès, qui a tout appris aux Beaux-Arts de Madrid, rend hommage dans son album aux maîtres argentins Muñoz & Sampayo et Breccia & Oesterheld. En pleine élaboration d'un nouveau diptyque de Blacksad et du prochain Corto, c'est à Paris, chez son éditeur Rue de Sèvres, que le dessinateur a accepté de commenter quelques planches de son ouvrage.

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- © © Juan Díaz Canalès, Rue de Sèvres, 2016

"Il était temps"

"Je suis passionné de BD, mais, pour des raisons personnelles, je n’ai jamais réussi à trouver soit le temps soit le courage nécessaire pour faire face à la production d’un album. Je me suis dit qu’il était temps et que j’en étais capable. Je savais déjà dessiner après l’avoir fait pendant des années dans les dessins animés. Je connais bien aussi la narration. Je suis scénariste depuis quelques années et j’ai travaillé sur les storyboards de dessins animés. Pour Au Fil de l’eau, j’ai profité du temps que j’avais entre la production de Corto Maltese et de Blacksad. On me demande souvent si je n’étais pas frustré en tant que dessinateur de ne pas avoir pu dessiner les autres titres. A vrai dire, non. J’ai toujours ressenti beaucoup de plaisir à travailler avec des dessinateurs aussi doués que Guardino ou Pellejero qui sont tous les deux des amis.”

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- © © Juan Díaz Canalès, Rue de Sèvres, 2016

"Un parti pris de fantastique"

"La narration de la bande dessinée peut ressembler à celle du cinéma, comme ici, avec ces trois cases. Mais je crois qu’il y a un travail de composition de la case qui n’a rien à voir avec le cinéma. Nous devons travailler sur la composition de chaque case et en même temps de chaque planche, ce qui n’existe pas au cinéma où tout cela se déroule de façon linéaire. Tu ne peux aller que dans une seule direction. Par contre dans la BD, tu peux où aller où tu veux, à chaque moment. Je profite de ça. Sur cette planche, il y a un parti pris de fantastique, avec ces rats qui parlent. J’aime bien mettre les lecteurs et les personnages en face de situations oniriques et fantastiques qui n’ont rien à voir avec la réalité, mais la complètent. Et même si le reste du récit n’est pas fantastique. Cela crée un équilibre intéressant. La réalité, c’est lourd. Surtout dans les polars. Dans ce cas-là, les rats reviennent de loin. On peut trouver en effet des effets similaires dans le théâtre de Shakespeare, où il y a des personnages loufoques et hors de l’histoire qui introduisent le récit."

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- © © Juan Díaz Canalès, Rue de Sèvres, 2016

"Cette histoire ne pouvait être qu’en noir et blanc"

"Les personnages principaux sont assez âgés. J’utilise cela pour mettre en avant toute une génération qui a perdu la guerre et a vécu pendant le franquisme. C’est impossible de ne pas en parler si tu mets en scène des gens de cette génération. Ils ont vécu plus de la moitié de leur vie sans aucune liberté. Malheureusement, maintenant, ils habitent dans un pays avec un système qui les a écartés socialement. C’était important pour moi d’en témoigner. C’est le point de départ de l’histoire. Au fur et à mesure du récit, d’autres sujets se sont ajoutés, plus philosophiques. Il s’agissait de trouver la manière de les équilibrer entre eux. Avoir un récit sous la forme d’un polar qui ne se termine pas comme un polar classique. Je me suis aperçu très tôt, bien avant de faire le storyboard, que cette histoire ne pouvait être qu’en noir et blanc, pour rappeler avec le polar. Et surtout parce que j’ai toujours adoré le style graphique noir et blanc et ses maîtres: Muñoz & Sampayo, Tardi, Breccia. Breccia, c’est une de mes références absolues. Quand on travaille dans une BD sur des personnages si âgés, la référence à son Mort Cinder est inéluctable."

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- © © Juan Díaz Canalès, Rue de Sèvres, 2016

"L'ellipse, c'est le super pouvoir de la BD"

"L’album a été fait sur ordinateur. Ça ouvre des possibilités infinies d’effets, de traits. Tu peux imiter le pinceau, avoir des textures différentes. Je peux ainsi créer cet univers graphique que j’adore. Je voulais jouer avec la composition de la planche en restant dans un format identique. La plupart des planches sont composées de trois strips. Pas là. Je suis embêté lorsque quelqu’un compare le cinéma à la bande dessinée. Même s’il y a beaucoup de similitudes entre eux, quand on parle de la BD comme du petit frère du cinéma, c’est non. Ce sont des frères parce qu’ils sont nés en même temps. Il y a des techniques qui sont exclusives au langage de la BD: soit le rythme, la composition de la planche et l’ellipse. C’est super important pour moi. C’est ça qui fait la différence. L’ellipse, c’est le super pouvoir de la BD. C’est ce qui me frappe sur cette planche. Tu peux établir une liaison avec le lecteur qui n’existe que dans la BD. Ce qui se passe entre les cases, c’est le lecteur qui va l’imaginer. Ça, c’est incroyable. La BD a une richesse de variations. On doit revenir à la joie de pouvoir raconter grâce au dessin."

Au fil de l'eau, Juan Diaz Canales, Rue de Sèvres, 106 pages, 17€.
Jérôme Lachasse