BFMTV
Bandes dessinées

Avec son adaptation BD de "Vernon Subutex", Luz se réinvente et tourne la page "Charlie Hebdo"

Détail de la couverture du deuxième tome de "Vernon Subutex" de Luz

Détail de la couverture du deuxième tome de "Vernon Subutex" de Luz - Albin Michel

Le dessinateur vient de sortir le deuxième et dernier tome de son adaptation de Vernon Subutex, d'après le best-seller de Virginie Despentes. Un album très personnel, influencé notamment par le manga.

Avec le deuxième et dernier tome de Vernon Subutex, adaptation BD du best-seller de Virginie Despentes, Luz se réinvente complètement, d'un point de vue autant personnel que professionnel. En modifiant certains éléments clés de Vernon Subutex, l'ex-caricaturiste de Charlie Hebdo s'est réapproprié un récit très personnel de l'autrice de King Kong Theory, pour en livrer l'autoportrait touchant d'un homme qui veut retrouver goût à la vie après une série d'événements traumatisants.

Avec Vernon Subutex, Luz approche enfin son rêve de faire une BD sans évoquer, de près ou de loin, les événements de l'année 2015. "Je pense y arriver. Le problème, c'est que j'ai encore des choses à dire sur le trauma", glisse le dessinateur, qui reconnaît aux 700 pages de son Vernon Subutex des bienfaits thérapeutiques: "Je suis content d’avoir fait ce livre. Ça m'a rasséréné. Ça m'a permis de faire des rêves plus doux par la suite. Peut-être qu'avec Vernon Subutex, j'arrive au bout d'un travail personnel."

"J'ai beaucoup travaillé sur ma vie", reconnaît encore celui qui a raconté ses mois post-7-Janvier dans Catharsis (2015) et ses années de formation à l'hebdomadaire satirique dans Indélébiles (2018). Chacun de ses livres, même Ô vous, frères humains (2016), d'après Albert Cohen, Puppy (2017), une pochade sur un chien mort-vivant, et Hollywood Menteur (2019), sur le tournage du dernier film de Marilyn Monroe, évoquaient en filigrane cet événement.

Couverture du deuxième tome de "Vernon Subutex" de Luz et Virginie Despentes
Couverture du deuxième tome de "Vernon Subutex" de Luz et Virginie Despentes © Albin Michel

Jusqu'à présent, Luz n'avait jamais passé autant de temps sur une BD. Il a consacré quatre ans à retracer les errances de Vernon Subutex, ex-disquaire devenu clochard céleste, puis DJ. "C'était la meilleure monomanie que j'ai trouvée pour me reconstruire", confesse le dessinateur. S'il ressent une lassitude à évoquer son statut de survivant, il reconnaît que son art a été complètement influencé, le plus souvent sans qu'il s'en rende compte, par ce qui lui est arrivé il y a sept ans.

"Ne rien oublier"

Ses apports à Vernon Subutex en témoignent. Dans le roman, Virginie Despentes propulse le lecteur 2000 ans dans le futur, à une époque où Vernon Subutex est devenu une figure christique. Dans la BD, Luz a privilégié "une fin beaucoup plus ancrée dans la réalité", où un proche de Vernon décide de raconter sa véritable histoire, "avant d'oublier". "La fin me rendait absolument triste. Je trouvais ça triste que les fêtes organisées par Vernon, 'les convergences', cette espèce de rêve partagé qui est au centre des livres de Virginie, deviennent une religion. C'est presque un désastre."

La fin de Despentes a forcément fait résonner en Luz la récupération par les médias et les politiques de Charlie Hebdo. Il avait déjà évoqué ce thème dans Indélébiles, où il racontait "son" Charlie Hebdo, pour se souvenir des belles choses et ne rien oublier avant que le reste du monde ne s'empare de cette histoire. "Peut-être qu'inconsciemment je sais que j'ai Alzheimer", s'amuse Luz, qui n'a rien perdu de son humour dévastateur. "Peut-être que je fais des bouquins pour être sûr de ne rien oublier."

Un extrait de "Vernon Subutex" de Luz et Despentes
Un extrait de "Vernon Subutex" de Luz et Despentes © Albin Michel

Avec ses pages surchargées de personnages et d'informations, Vernon Subutex rappelle surtout ses reportages dans l'hebdomadaire satirique. "Cette BD, c'est un reportage mental", précise le dessinateur, qui a imaginé un récit kaléidoscopique volontairement complexe, pour mieux retranscrire la sensation d'une époque foisonnante. "Je veux que le lecteur se perde", insiste-t-il. "Puis, au bout d'un moment, au fil des pages, il comprend tout. Sous l'apparence bordélique, tout est cohérent!"

Miroir de notre époque

Comme Virginie Despentes, avec qui il a co-écrit le scénario de la BD, Luz a fait de son Vernon Subutex un miroir de notre époque. "Je suis dans la continuité du travail de Virginie. J'ai continué à alimenter mon ressenti de cette période pendant laquelle j'ai dessiné. Sur le premier tome, comme il y avait le Covid, je n'ai jamais aussi bien dessiné la solitude." Depuis, le monde a été déconfiné: "et dans le 2e tome, je n'ai jamais aussi bien dessiné les gens qui dansent!"

Mais contrairement à la romancière, Luz a retiré de l'histoire toute référence aux attentats du 13-Novembre. "Je l'ai enlevé, parce que c'est déjà présent [en sous-texte] dans l'ensemble du livre." Une scène - où un terroriste fait irruption dans une fête - y fait cependant écho dans l'ouvrage. "Ça n'a pas été la plus compliquée à dessiner", rassure-t-il, "parce que ce n'est pas la plus importante pour moi."

Une double page de "Vernon Subutex" de Luz et Despentes
Une double page de "Vernon Subutex" de Luz et Despentes © Albin Michel

La plus importante est la plus marquante de l'album: celle du viol d'un personnage, Céleste. Avant d'accepter de dessiner Vernon Subutex, Luz a commencé par cette scène. "Je me suis dit que si j'arrivais à faire ces planches, à retranscrire ce que le personnage avait à dire, alors j'arriverais à faire le reste du bouquin", explique Luz. "Il fallait que je commence par quelque chose de difficile, qui pouvait parler à toutes les personnes qui ont été violées que je connaisse - et il y en a vraiment beaucoup dans ma vie."

Le résultat est inoubliable. Céleste avance sur une plage, en direction du lecteur. Sur son corps, comme tatoué, se forme le souvenir de son agression. L'image est d'autant plus bouleversante qu'elle évoque d'autres planches de ses précédentes BD où Luz tentait déjà de retranscrire graphiquement les traumatismes de la vie dans le visage de ses personnages. "J'ai l'impression que Vernon Subutex parle de choses qui restent gravées dans nos têtes ou sur notre corps après les avoir vécues", analyse-t-il.

Bientôt un manga par Luz?

Après Vernon Subutex, Luz rêve de faire un manga. Le dessinateur tout juste quinquagénaire vient d'avoir une "épiphanie" avec ce médium, qu'il dévore avec passion depuis plusieurs mois. Sous leur influence, il a légèrement modifié son dessin, qui atteint des sommets de souplesse et d'expressivité dans le deuxième tome de Vernon Subutex. "J'ai appris beaucoup de choses avec le manga. Mon souci, c'est que je lis de la BD uniquement pour nourrir ma propre BD."

Une double page de "Vernon Subutex" de Luz et Virginie Despentes
Une double page de "Vernon Subutex" de Luz et Virginie Despentes © Albin Michel

Parmi les lectures qui l'ont marquées figure Ping Pong de Taiyo Matsumoto, découvert il y a quelques semaines. "C'est dingue. J'ai pris une baffe absolue." Luz cite aussi Inio Asano (Solanin), Suehiro Maruo (Tomino la maudite), Atsushi Kaneko (Bambi), Gou Tanabe (Kasane) et Shintarō Kago (​​La Grande invasion mongole). Et parmi les nouveautés, Fool Night et Look Back: "Ce sont des exemples merveilleux de narration."

Luz admire en particulier Junji Ito, le grand maître de l'horreur japonais. Il a été marqué par l'un de ses dessins, où un homme "se presse le visage et toute son acné coule tout droit." "Je l'ai affiché en grand chez moi. Pour moi, c'est le modèle de ce qu'il faut faire." Comme Luz, Ito est fasciné par les visages de ses personnages et les traumatismes qui s'y reflètent. "C'est exactement ce que j'affectionne, c'est le fantastique qui fait irruption dans le quotidien ou plutôt le quotidien qui devient quelque chose de fantastique."

Ce sera l'ambiance de sa prochaine BD. Tout en attendant des nouvelles de Stephen King, dont il rêve toujours de signer une adaptation BD de Shining, Luz change de registre et retrouve l'humour potache de Charlie Hebdo. Prévu pour l'année prochaine, son prochain album aura pour sujet les... testicules. Le pitch est prometteur: à la faveur d'une pandémie mondiale, les hommes découvrent qu'ils ont du guacamole dans leurs parties intimes. Sortie prévue à l'automne 2023.

Vernon Subutex, Luz (dessin, scénario, couleur) et Virginie Despentes (scénario), Albin Michel, 29,90 euros (tome 1), 34,90 euros (tome 2). Un coffret collector réunissant les deux tomes sortira à la fin de l'année.

https://twitter.com/J_Lachasse Jérôme Lachasse Journaliste BFMTV