BFMTV
Cinéma

Comment le destin tragique de Marilyn Monroe a occulté son talent d'actrice

Depuis sa mort, Marilyn Monroe, actrice au timing comique impeccable, a disparu derrière sa légende. Le nouveau film Blonde, disponible ce mercredi sur Netflix, reproduit cet écueil, et offre l'occasion de célébrer la grande comédienne qu'elle était.

Le destin de Marilyn Monroe, dont la vie est au centre du film Blonde, diffusé à partir de ce mercredi sur Netflix, a totalement occulté son talent. Au fil des années, ce qui faisait le génie de cette actrice, son impeccable timing comique et la subtilité de ses interprétations, ont été oubliés, effacés.

Blonde, tiré du roman de Joyce Carol Oates, ne fait que renforcer ce sentiment. Évocation fictive de la vie de la célèbre actrice, ce film réalisé par Andrew Dominik (L'Assassinat de Jesse James) retrace en prenant beaucoup de libertés avec la réalité, les grandes étapes de son parcours. Car l'objectif d'Andrew Dominik est de déconstruire l'icône du 7e Art, en transformant en film d'horreur sa vie, dont il ne retient que les épisodes traumatiques, des violences sexuelles aux avortements.

"Le film m'a laissé en colère, mais aussi triste, parce qu'il va sûrement modeler dans l'esprit de beaucoup de spectateurs une image [fausse] de Monroe. Il y a de nombreuses scènes qui la présentent comme ayant un manque total d'autonomie sur sa vie et son corps", s'indigne la journaliste américaine Marya E. Gates.

"Cela amoindrit ses accomplissements et perpétue le cliché de Marilyn Monroe comme une femme blessée en attente d'un sauveur, et non pas comme la femme profondément intelligente et résiliente qu'elle était."

"Tuée par le système"

Pour Julie Escamez, animatrice du podcast Arrêt Caméra. Marilyn Monroe a eu "le destin des femmes blondes froides et complexes d'Alfred Hitchcock au cinéma": "sauf qu'au lieu d’avoir été tuée par les hommes, elle l’a été par le système dans lequel elle était coincée. Système composé in fine par ces hommes qui l’avaient portée au pinacle", déplore-t-elle. "Il était donc bien plus simple d'en faire une image de papier glacée, dépourvue de toute aspérité."

Car depuis 60 ans, son histoire est évoquée de la même manière, et suscite surtout une curiosité malsaine. Dans la littérature comme au cinéma et à la télévision, quel que soit le média, la mémoire de Marilyn Monroe est réduite aux hommes qu'elle a aimés, à sa liaison avec John F. Kennedy, ou aux innombrables théories suscitées par sa mort. Eclipsant sa carrière.

Malgré ses apports à la comédie américaine et à l'art dramatique, Marilyn Monroe est aujourd'hui surtout le symbole du consumérisme. L'Authentic Brands Group, une société spécialisée dans l'exploitation de l'image de célébrités mortes, détient les droits de son image. Elle la décline depuis des décennies sur de nombreux produits dérivés bas de gamme (mugs, cendriers). Selon Marya E. Gates, le nouveau film Blonde accentue cette dévalorisation de l'image de Marilyn Monroe et constitue "l'une des exploitations les plus choquantes de son héritage".

Littérature russe

Marilyn Monroe était pourtant une personnalité complexe, amatrice de poésie et de littérature russe. Engagée politiquement à gauche, elle s'est battue contre la ségrégation raciale, le Maccarthysme et la toute-puissance des studios hollywoodiens. Elle a aussi brisé son contrat avec 20th Century Fox pour devenir en 1954 l'une des premières actrices, après Mary Pickford et Ida Lupino, à construire sa propre société de production. En 1957, elle a sorti en salle sa première production indépendante, Le Prince et la Danseuse.

"Elle s'est battue pour obtenir un plus grand contrôle sur les projets qu'elle recevait et demandait un salaire qui correspond à son aura. Si elle avait vécu plus longtemps, elle se serait épanouie en dehors du système des studios et aurait sûrement fait des films incroyables dans les années 1970", estime Marya E. Gates.

"Sans avoir nécessairement été une pionnière, Marilyn Monroe semblait très lucide sur l'endroit où elle avait mis les pieds et sur ce qu’il fallait pour être considérée comme crédible, raison pour laquelle même après plusieurs films elle a pris des cours de théâtre", modère Julie Escamez.

En 1955, Marilyn Monroe s'est en effet rendue à New York, où elle avait étudié la "Méthode", nom donné aux principes d'interprétation du professeur d'art dramatique Constantin Stanislavski, qui consistent non pas à jouer bien, mais à jouer juste, en s'appuyant sur l'impulsion du corps. Elle avait parfaitement conscience de son aura à l'écran et avait assimilé les règles des médias pour construire elle-même son image publique, avec l'aide du photographe Milton H. Greene.

Une grande actrice comique

Marilyn Monroe jouait aussi de son image dans chacun de ses films. "Elle faisait partie de ces acteurs introvertis dans la vraie vie qui utilisaient leur sensibilité et leur fragilité comme caractéristique de leur identité à l’écran, peu importe que le personnage soit comique (Certains l’aiment chaud, Les Hommes préfèrent les blondes) ou tragique (The Misfits)", analyse Julie Escamez.

Et la spécialiste d'ajouter: "Marilyn Monroe représente cet archétype de la femme enfant, si cher à l’époque, qu'un homme se devait de sauver, parfois contre elle-même, ce avec quoi certains réalisateurs comme Billy Wilder ont parfaitement su jouer. Ce qui a contribué à la faire émerger tient essentiellement en cette ingénuité couplée à une intelligence surprenante, souvent contenue dans un regard très expressif." Cette intelligence reposait également sur sa "vis comica", sa force comique innée:

"Marilyn Monroe était pour moi une grande actrice comique, d'abord parce qu’elle savait faire rire, mais aussi parce qu’elle jouait beaucoup de son physique!", ajoute encore la critique. "Elle était l'opposé de la vulgarité, malgré ce que certains hommes comme Hitchcock ont pu dire, à savoir qu'on lisait 'le sexe sur son visage'. Son comique était assimilable au jeu d’un équilibriste, elle se moquait souvent du désir que les hommes manifestaient grossièrement pour son personnage tout en ne cherchant jamais à les humilier ou à les écraser. Il y avait une grande subtilité chez elle."

"Version ultime de la 'blonde' idiote"

Subtilité renforcée par un sens de l'autodérision inouï, qui lui a permis de créer à l'écran "la version ultime de la 'blonde' idiote, un archétype vieux comme Hollywood", rappelle Marya E. Gates. Créée de toute pièce pour l'écran, la figure de Marilyn Monroe s'inscrit dans la lignée de sa contemporaine Judy Holliday, spécialiste des rôles de blondes écervelées tout en autodérision, à qui elle a repris certains tics de langage et mimiques de jeu.

"Comme Judy Holliday, Marilyn Monroe s'amusait avec l'image de la blonde écervelée et subvertissait les attentes avec un timing comique et une capacité à imprégner ses personnages d'une grande richesse intérieure malgré une apparence extravertie", commente Marya E. Gates. "On serait surpris aujourd’hui en revoyant certains de leurs plus grands rôles comiques, tant leur écriture contournait systématiquement l’a-priori de la potiche pour en faire des éléments essentiels du scénario", renchérit Julie Escamez:

L'une comme l'autre ont campé des personnages qui peuvent sembler ridicules mais le sont bien moins que leurs homologues masculins."

Inspirée par le théâtre

Marilyn Monroe avait aussi cette capacité à transcender tous les scénarios qu'on lui donnait, même ceux qu'elle n'aimait pas, comme celui de La Rivière sans retour, considéré comme un de ses meilleurs films.

"Beaucoup d’acteurs sont talentueux, mais il y en a peu qui ont eu une présence à l’écran comme celle de Marilyn Monroe, qui était quelque part elle-même avant d’être le personnage d’un film", note Julie Escamez.

La "Méthode" l'a aidée dans ce processus - et elle était toujours suivie sur les plateaux par ses coachs de jeu Natasha Lytess et Paula Strasberg. "Elle a commencé à étudier la 'Méthode' en 1955 et vous pouvez remarquer un tournant sa manière d'interpréter les rôles", remarque Marya E. Gates. "Elle a commencé à chercher des rôles avec davantage de profondeur psychologique. Même ses comédies sont devenues plus dramatiques, comme Bus Stop (1956), qui est à cheval entre la comédie et le drame."

Entre comédie et drame

"Bus Stop montre combien de profondeur elle peut apporter à un personnage complexe", s'enthousiasme Marya E. Gates. "Le réalisateur Joshua Logan a dit un jour que sa capacité à mêler comédie et tragédie lui rappelait Charlie Chaplin." C'est pour une raison similaire que Julie Escamez est autant touchée par la Marilyn Monroe des Misfifts:

"Quand Marilyn Monroe est ivre dans le film, elle a l’air de l'être réellement, pareil pour ses autres états d’âme, la joie, la tristesse, l’expectative... Ce qui lui donne une palette d’émotions bien plus conséquente que pour ses autres films. Son rôle dans The Misfits est un peu moins codifié que les autres, peut-être parce qu’il a été écrit par Arthur Miller, avec qui elle a divorcé un an auparavant."

"C'est peut-être dans ses films dramatiques qu'elle a le plus donné de sa personne, car ils correspondaient à son état d’esprit au quotidien: la mélancolie, parfois le désespoir, mais surtout l’envie d’être aimée et de voir sa sensibilité respectée", poursuit encore Julie Escamez. "La porosité des frontières entre les personnages dramatiques qu'elle a incarnés et sa personnalité ont sûrement renforcé son trouble en contribuant à l’aspect tragique de l’icône qu’elle était et est toujours."

https://twitter.com/J_Lachasse Jérôme Lachasse Journaliste BFMTV