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Luz: "Maintenant, seule la fiction m’intéresse"

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- - Luz - Glénat - 2017 / MARTIN BUREAU / AFP

ENTRETIEN - BFMTV.com a rencontré le dessinateur, qui sort chez Glénat une nouvelle BD, Puppy. L’histoire d’un chien mort-vivant dans un cimetière.

Luz ne lit pas beaucoup de BD. Ces derniers temps, il lit surtout de la littérature gothique. En particulier Lovecraft, à qui il a dédié son nouvel album, Puppy (Glénat). "Ce qui m’intéresse chez Lovecraft, c’est l’irracontable", indique Luz, que BFMTV.com a rencontré mi-janvier dans la cafétéria de la Maison de la Radio. L’histoire de Puppy est, justement, difficilement racontable. C’est l’histoire d’un chien mort-vivant qui se réveille dans un cimetière et tente de trouver un sens à sa vie. C’est aussi l’histoire d’un chien seul qui ne cesse de perdre son nez et erre dans un centre commercial hanté par des vêtements flottant dans les airs.

Contrairement à ses albums précédents (Catharsis, Ô vous, frères humains), "ce livre ne s’est pas fait comme une envie de pisser", comme le dit si bien Luz: "il y a eu des repentances, des pages arrachées, ajoutées. La création a été une déambulation. J’aime l’idée que ça se sente, que tu sentes les errements de l’auteur lorsque tu lis une BD. L’important, ce n’est pas sa biographie, mais ses errements." Luz le martèle: Puppy, ce n’est pas lui. Avant de partir dans un fou rire: "Quand je bande, je n’ai pas un os qui me sort de la queue!"

Désormais, Luz veut se consacrer à raconter des histoires. Cela tombe bien. Il regorge d’idées. Alors qu’il publie chaque mois dans les Cahiers du Cinéma deux planches contant le tournage des Désaxés de John Huston (avec Marilyn Monroe, Montgomery Clift et Clark Gable), Luz confie qu’il aimerait bien dessiner, après son chien mort-vivant, une aventure de Mickey.

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- © Luz - Glénat - 2017

Le chien occupe une place importante dans votre parcours: il y a eu la revue Chien méchant, puis l’album Quand deux chiens se rencontrent. Un chien apparaissait aussi à la fin de Catharsis. Et maintenant il y a Puppy.

J’ai toujours été fasciné par les chiens. Je pourrais les regarder pendant des heures. J’aime bien les dessiner. Quand je ne sais pas quoi dessiner, je dessine des chiens. Puppy, c’est un chien mort-vivant, mais il n’est pas moins innocent et stupide qu’avant. C’est marrant, les zombies. A cause de Walking Dead et des films de Romero [le réalisateur de La Nuit des morts vivants, ndlr], ils ont l’image de méchants qui veulent juste bouffer. Sauf que si tu reviens d’entre les morts, tu n’as pas qu'ça à foutre. Déjà, tu dois comprendre pourquoi tu es là. Et ça, ça prend déjà suffisamment de temps. D’une certaine manière, j’ai été un mort-vivant dans une période de ma vie. Et on n’est pas forcément en colère, on n’a pas forcément envie de bouffer son prochain (rires). On est juste un peu paumé, on essaye de retrouver ses marques...

… et on cherche son nez.

Oui (rires). Quand je dessine, soit je commence par les yeux, soit par le nez. J’ai imaginé un personnage désarticulé qui essaye, en permanence, de se reconstituer. Il perd toujours un bout de lui-même et essaye joyeusement de le rattraper. C’est sa quête. Ce qui l’entoure, il s’en fout. Ce qui lui manque, c’est juste des trous du cul à renifler. C’est pour ça qu’il change de nez.

Vous avez travaillé combien de temps sur Puppy?

Ça a commencé il y a six ans. Je dessinais les pages au fur et à mesure. Début 2015, j’étais à 30-40 pages … [il se rectifie] Non, j’étais même à plus que ça, mais après j’ai déchiré une dizaine de pages et j’ai recommencé. Je m’étais arrêté à la scène où Puppy découvre la neige. Je te le dis tout de suite, parce qu’on m’a déjà posé la question: le fameux Charlie, je l’ai dessiné avant.

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- © Luz - Glénat - 2017

C’est un livre que vous avez improvisé?

Complètement. Ça partait de mon envie de dessiner le cimetière de chiens d’Asnières, qui est vraiment magnifique. Les tombes sont toutes petites, comme des tombes d’enfants. Il y a une débauche d’offrandes. C’est hyper coloré. C’est hyper touchant. Tu vois beaucoup plus d’amour sur les tombes de chiens que sur celles des humains.

C’est un cimetière très coloré, pourtant le livre est en noir et blanc.

Je rêve, je pense en noir et blanc. Quand Charlie s’est mis à la couleur - au début c’était en bichromie -, ça a été un drame. Pour moi, je suis un mauvais coloriste. J’ai constitué mon trait pour que le lecteur imagine la couleur à l’intérieur du noir et blanc. Mettre de la couleur dans mes dessins est presque une trahison. Mais peut-être qu’un jour j'essayerais. J’espère y arriver dans mes bouquins futurs, d’ici deux ou trois ans.

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- © Luz - Glénat - 2017

Et le rose de la couverture?

Evidemment, la première version de la couverture était en noir et blanc. Glénat m’a fait des propositions de couleurs: des tons brun, sépia, vert … puis tout d’un coup je vois ce rose et ce jaune. C’est pop, moderne et en même temps bizarre. Ça n’a pas lieu d’être là. C’est parfait pour la couverture. Le rose va aussi bien aux garçons qu’aux filles. Alors pourquoi pas à un chien? Je me suis rendu compte seulement après que j’avais déjà utilisé cette gamme de couleurs pour Faire danser les filles [album sorti en 2006 où Luz évoque son rapport à la musique, ndlr]. J’aime bien ce côté un peu suranné. Je voudrais croire qu’un lecteur qui ne connaît pas ce nom-là et trouve Puppy dans une librairie empoussiérée se dise que c’est un livre qui date d’il y a trente-quarante ans, d’avant (rires).

Et qu’il ne le lise pas en y cherchant les détails biographiques?

Exactement. Ma grande obsession de maintenant, c’est d’essayer de faire des bouquins qui puissent me permettre d’oublier tout ce que l’on sait de moi. Et en même temps, on ne fait jamais un bouquin sans une part d’autobiographie. Jamais. Mais ce n’est pas aussi simple que ça. Puppy est trop onirique pour avoir la certitude de ce que j’y ai mis de ma vie de maintenant, du bouleversement que j’ai dans la tête. Tous les livres que je vais faire seront toujours, plus ou moins, des étapes. Malheureusement, il faut assumer ça. En même temps, je n’ai pas envie que ce soit vu comme ça.

Cela se manifeste notamment par la place prépondérante qu’occupe désormais le dessin sur le texte dans vos albums.

Le début de Catharsis raconte comment le dessin m’a quitté puis est revenu tout seul. Puppy, c’est finalement une manière d’embrasser ces retrouvailles. J’ai eu envie de faire un album de dessins. Il y a eu un scénario, mais il n’était pas aussi important que le fait de dessiner. J’ai eu envie de me surprendre et que mon dessin me surprenne. Faire un album en noir et blanc est toujours un peu casse-gueule. Quelqu’un m’a dit l’autre jour: ‘tu ne penses pas qu’on va le lire trop vite?’ Ce n’est pas grave si on le lit rapidement. Le plus important est qu’il reste le plus longtemps possible dans la tête. Ça veut dire aussi renouer un dialogue très fort avec le lecteur. C’est une proposition d’imaginaire.

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- © Luz - Glénat - 2017

Cela signifie que le scénario est entièrement au service du dessin?

Complètement. Mais, maintenant que j’ai fini Puppy, je pense énormément à des histoires et j’ai du mal à me mettre à dessiner. C’est assez étrange. J’écris des trucs bizarres: des saynètes où des adolescentes vivent à l’intérieur d’un tableau. Ce sont des images très fortes que j’ai dans la tête. Pour l’instant, j’ai besoin de les scénariser. Est-ce que je suis arrivé au bout du dessin et que je vais devoir repartir sur le scénario? C’est essentiel de faire des bouquins où chaque page est importante graphiquement. Je construis mes scénarios comme des successions de pages. Ma prochaine étape à présent, c’est écrire des arcs graphiques: que chaque personnage ait son mode graphique. J’ai toujours eu peur de m’enfermer dans un style. Je suis maintenant plus dans un processus d’auteur que je ne l’étais avant.

A partir de maintenant vous allez entièrement vous consacrer à la fiction?

Il y a des chances, oui. Je vais juste sortir chez Futuropolis Alive, un livre sur mes chroniques de concert. Mais ça, ça appartient à avant. Maintenant, seule la fiction m’intéresse. Je vais peut-être changer d’avis. C’est tentant de raconter la vie politique française, mais est-ce que ça offre autant d’imaginaire que la fiction? autant de suspense et de plaisir au lecteur? Je ne suis plus dans la phase où je veux asséner une opinion.

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- © Luz - Glénat - 2017

Où en êtes-vous dans votre adaptation de Shining?

Toujours nulle part, mais ça continue de m’obséder. Est-ce que j’envoie mes planches à la fan-base française de King? Est-ce que je renvoie un courrier à Stephen King? Est-ce que je fais un bouquin sur tous les courriers que j’ai envoyés à Stephen King? (rires). C’est bizarre. En ce moment, j’ai envie d’être dans les pas de quelqu’un. Je me retiens, parce que je dois me consacrer à mes propres idées.

Comme le livre sur la masturbation?

Celui-là aussi est enterré. Enfin, je ne sais pas. Il faudrait que je me dessine encore et ça me fait un peu chier. Je me suis un tout petit peu dessiné dans Alive. C’était hyper dur. Super pénible. Je n’ai pas du tout envie de me dessiner.

Puppy, Luz, Glénat, collection 1000 feuilles, 160 pages, 19,50 euros.

Jérôme Lachasse