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Inondations à Dubaï: l'ensemencement des nuages a-t-il pu aggraver le phénomène?

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Les Émirats arabes unis ont connu des pluies historiques ces derniers jours qui ont causé d'importantes inondations. Le pays a régulièrement recours à l'ensemencement des nuages, une technique visant à favoriser la pluie. Mais selon les spécialistes, elle n'aurait pas pu entraîner de telles précipitations.

Le gouvernement des Émirats arabes unis a-t-il joué un rôle dans les pluies diluviennes qui ont causé des inondations dans le pays ces derniers jours? Autoroutes inondées, écoles fermées et trafic aérien perturbé: Dubaï peinait mercredi à se remettre des pluies record qui se sont abattues la veille sur le plus célèbre des émirats du Golfe.

Les Émirats arabes unis ont enregistré mardi 254 millimètres (mm) de pluie en une journée, l'équivalent de près de deux ans de précipitations dans ce pays désertique. Ces pluies sont les plus importantes jamais enregistrées dans le pays, depuis le début des relevés en 1949, selon le Centre national de météorologie Émirats arabes unis.

"Les terrains désertiques ont besoin de plus de temps que les autres pour que l'eau s'y infiltre. La quantité de pluie tombée était trop importante pour être absorbée", a affirmé Maryam Al Shehhi, du Centre national de météorologie, assurant que le pays n'avait pas eu recours à l'ensemencement des nuages. Cette technologie, souvent utilisée dans le pays pour générer de la pluie artificielle, n'a pas été déployée car la tempête "était déjà forte", a-t-elle précisé.

En quoi consiste l'ensemencement des nuages?

L'ensemencement des nuages est une technique qui consiste à introduire des particules d'aérosol dans l'air, souvent d'iodure d'argent, afin de favoriser la formation de la pluie.

"Des pays y croient beaucoup, comme la Russie et la Chine", explique Andrea Flossman, professeure à l'Université Clermont Auvergne et spécialiste des processus physico-chimiques des nuages, à BFMTV.com. "La Russie utilise l'ensemencement pour lutter contre la grêle par exemple". Les Émirats arabes unis y ont recours depuis les années 1990, pour faire face à l'aridité de leur territoire.

La technique n'aurait pas pu créer un tel événement

Des spécialistes du Centre national de météorologie avaient affirmé à des médias que des opérations d'ensemencement des nuages avaient eu lieu lundi et mardi, avant les précipitations qui sont tombées sur les Émirats arabes unis. Avant que le Centre national de météorologie n'assure finalement que cela n'avait pas été le cas.

D'après plusieurs spécialistes, même si les Émirats avaient ensemencé des nuages, cela n'aurait pas pu causer les précipitations historiques que le pays a connu ces derniers jours. "L'ensemencement des nuages, en tout cas dans les Émirats, est utilisé pour les nuages qui ne produisent normalement pas de pluie... Une tempête très violente ne se développerait pas normalement à cause de cela", a estimé auprès du Guardian Maarten Ambaum, professeur de physique et de dynamique atmosphérique à l'université de Reading, au Royaume-Uni.

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John Marsham, professeur en sciences de l'atmosphère à l'université de Leeds, a aussi déclaré à Sky News qu'"un épisode pluvieux tel que celui qui a provoqué les inondations de Dubaï" ne "peut se produire sans que des conditions météorologiques à grande échelle entraînent une énorme convergence de la vapeur d'eau dans l'atmosphère et donc des précipitations extrêmes".

"Tout effet possible de l'ensemencement des nuages dans ces circonstances serait minime", a ajouté le spécialiste.

Un point de vue partagé par Andrea Flossman: l'ensemencement des nuages, même dans l'hypothèse où il est efficace, est un "coup de pouce" mais "ne peut pas faire des pluies diluviennes comme à Dubaï".

Pour Friederike Otto, maître de conférences en sciences du climat au Grantham Institute de l'Imperial College de Londres, "les pluies meurtrières et destructrices à Oman et Dubaï" ont en revanche probablement été accentuées par le "changement climatique provoqué par l'homme".

Une technique décriée

L'efficacité de cette technique est en effet "très difficile à démontrer" et il n'existe "pas de preuves solides" qu'elle marche aux Émirats arabes unis, explique Andrea Flossman. "Comment savoir quelle quantité de précipitations tombant de ce nuage est due à l'ensemencement? Ou quelle quantité serait tombée sans l'ensemencement?", soulignait aussi en 2022 le climatologue Daniel Swain, de l'université de Californie, auprès de CNN.

"Ce n'est que très récemment qu'on a eu des preuves que cela marche, pour un type de nuages précis, les nuages orographiques qui se forment en montagne", développe Andrea Flossman.

Il s'agit également d'une technique à manier avec précaution car l'iodure d'argent est un produit toxique, souligne-t-elle. "Pour le moment, les quantités utilisées pour l'ensemencement sont bien en dessous des limites fixées par l'OMS, mais c'est quelque chose à surveiller", selon la chercheuse.

Enfin, les pays qui y ont recours font souvent face à des tensions géopolitiques liées à l'eau. "Si un pays lance un programme d'ensemencement des nuages, son voisin hurle généralement tout de suite qu'on lui 'vole la pluie'", observe Andrea Flossman. En 2018, un général iranien a ainsi accusé Israël de "vol de nuages et de neige". "C'est une suite du changement climatique, les pays touchés par la sécheresse sont désespérés", constate Andrea Flossamn.

Sophie Cazaux