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Syrie: la France doit-elle réinitier le dialogue avec Bachar al-Assad?

Le président syrien Bachar al-Assad, en janvier 2014.

Le président syrien Bachar al-Assad, en janvier 2014. - Joseph Eid - AFP

La visite non-officielle de quatre parlementaires français au président syrien Bachar al-Assad, à Damas, a fait grincer des dents au sein de l'exécutif à Paris, à l'heure où la France et la Syrie ont totalement rompu leurs liens diplomatiques. Est-il l'heure de reprendre le dialogue, alors que le groupe Etat islamique continue son offensive?

Après Manuel Valls, qui a dénoncé une "faute morale", François Hollande a condamné jeudi le déplacement de quatre parlementaires en Syrie, pour rencontrer Bachar al-Assad. Le député UMP Jacques Myard, le sénateur UMP Jean-Pierre Vial, le sénateur UDI François Zocchetto et le député socialiste Gérard Bapt se sont en effet rendus mardi à Damas, où trois d'entre eux ont parlé avec le président syrien.

Une première depuis la rupture des liens diplomatiques entre la France et la Syrie, qui remonte à mai 2012. Les intéressés défendent une "mission personnelle", tout en refusant de donner la teneur de leurs échanges avec Bachar al-Assad. L'initiative crispe l'exécutif, mais remet sur le devant de la scène ce fameux débat: faut-il, oui ou non, renouer le dialogue avec Bachar al-Assad, face à la menace Daesh?

Assad, intermédiaire nécessaire?

Alors que Paris maintient cette ligne de rupture diplomatique depuis près de trois ans, les voix réclamant une reprise de la discussion avec Damas se multiplient, face à la menace croissante représentée par les jihadistes de l'Etat islamique, et leurs recrues étrangères susceptibles de revenir commettre des attentats en Occident. Limitées, dans un premier temps, à des cercles pro-russes ou des associations de soutien aux chrétiens d'Orient, ces voix se sont aujourd'hui étendues aux milieux du renseignement et, comme l'atteste la visite des quatre élus français, à certains cercles politiques.

"On ne peut pas travailler sur Daesh et contre Daesh sans passer par la Syrie, donc une nécessaire reprise de dialogue est obligatoire", a ainsi estimé l'ex-patron du renseignement intérieur, Bernard Squarcini, sur BFMTV. Bachar al-Assad n'est "pas le poussin du jour, je vous accorde qu'il a du sang sur les mains, mais il est une partie qui va intervenir dans le règlement politique de la guerre civile", a argumenté pour sa part Jacques Myard, l'un des parlementaires qui ont rencontré Bachar al-Assad. 

Un avis partagé par Nicolas Dupont-Aignan. Le député de l'Essonne et membre de la Commission des Affaires étrangères a estimé mercredi soir sur BFMTV que "si on ne s'appuie pas sur Assad pour mettre fin à l'Etat islamique, qui est en train de gangréner tout le Moyen-Orient, on va se trouver dans une situation encore plus abominable".

Pour Jean-François Daguzan, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), il est aujourd'hui " nécessaire" de "renouer une forme de dialogue, qui doit passer par les canaux officiels-officieux". "Le minimum de dialogue doit être ré-établi avec le gouvernement syrien actuel, ce qui ne veut pas dire embrasser Bachar al-Assad sur la bouche. Aujourd'hui, la rupture complète des communications telle qu'elle s'est faite depuis début 2012 pose un vrai problème, et évidemment, la question de Daesh est au cœur de tout cela", estime ce spécialiste du Moyen-Orient, interrogé par BFMTV.com.

Assad, le "boucher" infréquentable

Mais Paris reste ferme, et l'exécutif a fortement condamné l'initiative des quatre parlementaires. Le Premier ministre Manuel Valls s'est montré particulièrement intransigeant jeudi matin sur BFMTV, dénonçant la "faute morale" que représente cette rencontre avec un "boucher".

Pour le spécialiste de géopolitique Frédéric Encel, une reprise du dialogue avec Bachar al-Assad est clairement inenvisageable, et ce pour deux raisons. "Premièrement, le président syrien est l'un des principaux responsables de l'apparition, puis de la montée en puissance de Daesh, à travers le caractère extraordinairement féroce de sa répression menée depuis quatre ans, notamment contre des civils. Bachar al-Assad a tout fait pour éviter d'être confronté à des gens modérés, donc il est lui-même complice, par un faux paradoxe, des terroristes extrêmement dangereux auxquels il fait face", fait ainsi valoir Frédéric Encel à BFMTV.com.

"Deuxièmement, ce serait donner un blanc-seing à quelqu'un qui a violé les conventions internationales il y a un an et demi, en utilisant très clairement des gaz neurotoxiques contre sa population civile", rappelle le spécialiste. "Daesh est effectivement notre ennemi principal, mais de là à reprendre langue avec la peste pour mieux lutter contre le choléra, je ne pense pas que ce soit une bonne idée", ajoute-t-il.

Quant à savoir si le maintien de cette rupture risque de provoquer en Syrie, une situation comparable apparue en Libye après la chute de Muhammar Kadhafi, Frédéric Encel est formel: "Il y a effectivement un risque, c'est la raison pour laquelle je ne préconise pas de frapper le régime de Bachar al-Assad, contrairement à il y a un an et demi, lorsqu'il avait utilisé des armes chimiques". "Aujourd'hui, il faut ignorer ostensiblement le régime syrien. Nous avons suffisamment de moyens, d'espace, de latitude internationale, pour frapper puissamment l'Etat islamique et tenter de l'endiguer, sans avoir recours à Assad, qui continue à s'acharner sur ses opposants les plus modérés".