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En Catalogne, les santons "chieurs" de Noël, étranges vedettes des crèches

Des "caganer", traditionnels santons "chieurs" des crèches catalanes, exposés dans une boutique de Barcelone, le 12 décembre 2023.

Des "caganer", traditionnels santons "chieurs" des crèches catalanes, exposés dans une boutique de Barcelone, le 12 décembre 2023. - JOSEP LAGO / AFP

Le "caganer", traditionnel santon catalan et personnage emblématique des fêtes, connaît une popularité croissante. De nombreuses personnalités sont représentées.

Avec son bonnet rouge, sa chemise blanche et son pantalon baissé, le "caganer", traditionnel santon "chieur" des crèches catalanes, connaît une popularité croissante, notamment sous les traits des grands de ce monde, caricaturés en figurines d'argile incontinentes.

Personnage emblématique des fêtes de Noël en Catalogne, région à cheval entre le nord-est de l'Espagne et le sud de la France, le "caganer" est généralement placé dans un coin discret de la crèche, non loin de la Vierge Marie, de Joseph et de l'enfant Jésus.

De simple motif de divertissement pour les enfants, qui s'amusent à débusquer dans des scènes de la Nativité ce berger accroupi et occupé à faire ses besoins, le "caganer" est devenu une attraction pour les touristes, notamment à Barcelone, où ces santons sont omniprésents sur les marchés de Noël.

Des rangées de "caganer", dans une boutique de Barcelone, en Espagne.
Des rangées de "caganer", dans une boutique de Barcelone, en Espagne. © JOSEP LAGO / AFP

Une kyrielle de personnalités

Cela permet aux touristes d'avoir "quelque chose de typiquement catalan", commente Sergi Alós, co-propriétaire de caganer.com, une entreprise familiale créée par sa mère voilà 31 ans et qui propose aujourd'hui 650 modèles de santons "chieurs" dans ses six boutiques (cinq à Barcelone et une à Madrid).

Cette année, cette PME pense produire 140.000 de ces figurines, vendues à des prix allant de 5 à 21 euros.

Kylian Mbappé en "caganer", santon traditionnel catalan, à Barcelone.
Kylian Mbappé en "caganer", santon traditionnel catalan, à Barcelone. © JOSEP LAGO / AFP

Outre le paysan, qui constitue le "caganer" traditionnel, l'entreprise offre maintenant une kyrielle de personnalités, comme l'ex-président américain Donald Trump, le président russe Vladimir Poutine ou son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky, mais aussi des chanteurs comme Michael Jackson et des sportifs comme Kylian Mbappé et Novak Djokovic. Tous ont un point commun: ils sont représentés accroupis en train de se soulager.

Sergi Alós précise que le modèle le plus vendu reste le paysan, suivi par les représentations de Lionel Messi.

Il assure également ne pas recevoir de plainte des intéressés, dans la mesure où il s'agit, de son point de vue, d'un hommage et non d'une moquerie.

"Relier le peuple au mystère de la Nativité"

Selon la croyance populaire, les "caganers", dont l'origine remonterait au 18ème siècle, apportaient fortune et joie dans les foyers. Mais pour Josefina Roma, professeure d'anthropologie de l'université de Barcelone à la retraite, la réalité est quelque peu différente.

Ces figurines d'aspect grotesque ont pour but "de relier le peuple au mystère de la Nativité", affirme-t-elle à l'AFP, associant les "caganers" aux personnages ludiques qui apparaissaient dans les récits théologiques afin de les rendre plus compréhensibles.

Entouré d'une partie de sa collection de 1.400 "caganers", Xavier Borrell confirme qu'il est difficile de connaître l'origine exacte de cette figurine.

Peu à peu, "le 'caganer' a quitté la crèche et est devenu une icône", affirme cet ingénieur à la retraite qui préside l'Association des Amis du "Caganer", créée il y a 33 ans pour défendre ces santons d'un genre particulier, alors désavoués par certaines associations de crèches, et qui compte une centaine de membres.

Lionel Messi représenté en santon "chieur" ("caganer").
Lionel Messi représenté en santon "chieur" ("caganer"). © JOSEP LAGO / AFP

Bien que l'essentiel de sa collection - qui comprend des spécimens du Portugal, du Brésil et de l'Italie, où il existe des traditions similaires - soit constitué de figurines classiques de paysans, Xavier Borrell se réjouit de la transformation du "caganer" en attraction touristique.

"En Catalogne, on vend des chapeaux mexicains, des robes sévillanes, des statuettes de taureau, qui ne sont pas typiques de notre culture, et le fait que les touristes venant ici emportent un 'caganer' avec eux me plaît énormément", assure le collectionneur.

Rites pré-chrétiens

Sur les marchés de Noël catalans, le "caganer" côtoie généralement les "tiós", une bûche décorée avec des yeux ronds, un nez, un béret rouge et une petite couverture, que les enfants doivent frapper avec un bâton la veille ou le jour de Noël.

Au son de la chanson "caga tió, tió de Nadal" ("Chie, bûche, bûche de Noël" en catalan, NDLR), la bûche doit "déféquer" les cadeaux, qui apparaissent alors sous la couverture.

Cette tradition, que l'on retrouve également dans les régions voisines, provient, selon Josefina Roma, de rites pré-chrétiens de vénération des ancêtres, aujourd'hui adaptés au consumérisme contemporain.

Mais pour elle, ces multiples références à la défécation en cette période de Noël en Catalogne ne permettent pas de tirer de conclusions. "Il y a de la scatologie partout", explique-t-elle.

Pour l'heure, le "caganer" catalan poursuit ses plans de conquête du monde. "Pour nous, Noël, c'est maintenant tous les mois", se réjouit Sergi Alós en évoquant l'évolution de ses ventes.

F.R. avec AFP