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Des avions, des armes, une date d'adhésion à l'UE... Ce que Zelensky vient chercher à Bruxelles

Après Londres, après Paris, Bruxelles. Volodymyr Zelensky achève ce jeudi sa tournée européenne express. Le président ukrainien espère bien revenir au pays avec des promesses de livraison d'avions et d'équipements militaires, mais aussi un calendrier pour l'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne.

Volodymyr Zelensky a d'abord débarqué au Royaume-Uni mercredi à la mi-journée. Entre deux entretiens avec le Premier ministre britannique Rishi Sunak, et en prélude à une entrevue avec le roi Charles III, il s'y est exprimé devant les députés de la Chambre des Communes. Sur place, le président ukrainien a demandé des "ailes pour la liberté", comprendre des avions. Des propos qu'il a répétés auprès d'Emmanuel Macron et du chancelier Olaf Scholz lors de sa réception à l'Élysée dans la soirée, et qui seront au centre de son intervention ce jeudi au Parlement et au Conseil européens à Bruxelles.

Car c'est bien là le principal objet de la tournée continentale surprise de Volodymyr Zelensky: obtenir des avions, des armes supplémentaires pour son pays afin de parer la menace d'une offensive russe majeure. Son passage dans la capitale belge doit également lui permettre d'en savoir plus sur l'agenda qui accompagnera l'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne.

Les avions, "pas pour tout de suite"

Sur le plateau de BFMTV ce jeudi, le général Jérôme Pellistrandi, notre consultant pour les affaires militaires, a expliqué l'importance revêtue par cette hypothétique livraison d'avions. L'officier a ainsi rappelé qu'alors que les Occidentaux s'apprêtent à acheminer des chars légers et lourds vers le front, les blindés impliquent une force de frappe aérienne.

"Les chars en cours de transfert ont besoin d'une couverture aérienne", a-t-il introduit.

"L'aviation russe est beaucoup plus importante quantitativement que l'aviation ukrainienne donc le risque est que les chars livrés soient la cible de l'aviation russe", a-t-il encore souligné.

Volodymyr Zelensky fera-t-il ainsi le plein en Eurofighter britanniques et en Mirage 2000 français? Not so fast, pas si vite, lui a-t-on rétorqué d'un côté et de l'autre de la Manche, comme l'explique notre éditorialiste pour les questions internationales, Ulysse Gosset.

"Rishi Sunak lui a promis une formation des pilotes mais pas d'avions, pas tout de suite", détaille-t-il.

Le Premier ministre du Royaume-Uni a en effet inscrit sa réflexion sur "le long-terme", tout en précisant que "rien n'était exclu" en la matière. Quant à la position française, elle est assea lignée sur celle de son voisin britannique, comme l'explique Ulysse Gosset.

"Des Mirage 2000 pourraient attaquer concrètement les défenses russes et les artilleurs russes pour empêcher que l'Ukraine soit bombardée, mais c'est trop tôt semble-t-il", précise-t-il.

En plus des chars Leopard 2 de fabrication allemande qui vont lui arriver de toute l'Europe, des Abrams américains, des AMX-10 RC français, plus légers, qui lui sont destinés, l'Ukraine a toutefois obtenu une autre garantie, cette fois en provenance des États-Unis: l'équipement imminent en missiles de longue portée, aptes à frapper derrière les lignes russes. "Ces missiles vont permettre de réduire la capacité opérationnelle des Russes, dans les mois qui viennent", a salué Ulysse Gosset, qui a donc observé:

"Il ne manque plus que les avions pour que les Ukrainiens aient la capacité d'empêcher la Russie de gagner cette guerre".

Une "double inquiétude" à lever

La prudence occcidentale pourrait par conséquent paraître incompréhensible. L'éditorialiste en a identifié les deux fondements: "L'inquiétude est double en Europe et aux États-Unis. D'abord, la Russie gagne des points, et l'autre inquiétude c'est que le conflit déborde, que l'Europe s'embrase."

"On est sur une ligne de crête et tout le monde veut éviter le geste fatal qui entraînerait une nouvelle catastrophe", a glissé Ulysse Gosset.

"Il s'agit de donner à l'Ukraine tout ce dont elle a besoin pour gagner cette guerre, en tout cas éviter une défaite face à la Russie sans provoquer un conflit plus large dans lequel serait impliqué l'Otan, la France, l'Europe, l'Allemagne. C'est ça l'enjeu aujourd'hui."

Face à l'urgence

Outre ces craintes géopolitiques, il faut aussi se poser la question de la logistique et de l'efficacité à court-terme d'une telle solution. Car si le Royaume-Uni se propose de former des pilotes ukrainiens, c'est bien que piloter un avion d'importation ou se faire à un nouveau matériel requiert un peu de temps. Rien d'infaisable, cependant, d'après Xavier Tytelman, ancien pilote de chasse, et désormais rédacteur en chef numérique d'Air et Cosmos.

"Donner des avions de chasse, ça s'est déjà fait en mars dernier. Adapter des missiles occidentaux sur des MiG 29, c'est ce qui a été fait avec les AGM 88 donc c'est possible également", a pointé le technicien sur BFMTV.

"Mais, avec le temps, ils perdent régulièrement des avions, la chasse ukrainienne continue à voler tous les jours", a-t-il mis en exergue. Xavier Tytelman regrette vivement cette temporisation, y voyant un délai coupable: "On dit toujours qu'il est trop tard mais en réalité on aurait donné les chars - ceux qui vont arriver dans 2-3 mois - en septembre-octobre, les grandes contre-offensives ukrainiennes qui ont permis de reprendre 20.000 km2 auraient continué."

"Soit on fait un choix réel, politique, d'aller jusqu'au bout pour permettre à l'Ukraine de recouvrer son intégrité territoriale et on leur donne ces avions de chasse qui arriveront peut-être au printemps, soit on attend qu'il soit trop tard et qu'ils souffrent encore mais notre lenteur se paie en vies d'Ukrainiens", a-t-il martelé.

Si loin de l'Union européenne

Volodymyr Zelensky poursuit lui aussi un objectif plus directement politique. "Il y a cette volonté de gagner la guerre mais aussi de préparer la paix, paix qui passe par l'Europe d'où l'importance de cette visite à Bruxelles", a lancé Ulysse Gosset qui a noté que le président ukrainien espérait y décrocher "enfin des dates pour le processus d'adhésion".

En termes de dates, l'Ukraine veut un timing serré. Après avoir postulé dès le 28 février 2022, quatre jours seulement après l'agression russe, avoir vu sa candidature être officiellement acceptée par les membres du club en juin dernier, Kiev a dit viser une adhésion "à l'horizon 2024". Patrick Martin-Genier, expert des politiques européennes, douche l'enthousiasme ukrainien auprès de BFMTV.com:

"Il faut être très clair: il y a un traité, et il n'y a pas de processus accéléré".

"Le processus est lancé", a ajouté notre interlocuteur mais "il devrait durer une dizaine d'années". Le spécialiste nous fait d'ailleurs remarquer que les États balkaniques candidats à l'UE - Albanie, Bosnie-Herzégovine, Kosovo, Macédoine du Nord, Monténégro, Serbie - attendent déjà depuis une quinzaine d'années.

Donner des gages à l'Europe

Du dépôt de candidature à la ratification de l'intégration d'un nouveau membre, il existe en fait six étapes sur la route de l'Union européenne. L'Ukraine en est à la préadhésion, et tout indique qu'elle ne pourra pas aller plus vite que la musique, et encore moins que L'Ode à la joie.

"Il va falloir mettre de l'ordre dans la maison ukrainienne", a encore avancé Patrick Martin-Genier.

L'expert de la politique des 27 précise ainsi que pour toucher au Graal européen, il faut se hisser à la hauteur des critères fixés, c'est-à-dire des différents "chapitres". Et Kiev est loin du compte:

"Même en imaginant qu'on négocie avec un État en guerre, ils ne sont pas prêts. L'Ukraine n'est pas en situation d'avoir un budget équilibré. Il y a aussi la question de l'état de droit, avec la nomination des juges à la Cour suprême européenne pas vraiment indépendante du pouvoir politique, et surtout la corruption", a listé Patrick Martin-Genier.

Justement, l'exécutif ukrainien s'est engagé dans une gigantesque opération mains propres, multipliant limogeages et interpellations dans son administration et jusqu'au sein du gouvernement.

"Il veut donner des signes tangibles à l'Europe mais ça ne se fera pas en un mois", a encore ponctué notre expert.

Ce que les Européens pourraient promettre à Zelensky

Il ne faut donc pas penser à une adhésion rapide de l'Ukraine à l'Union européenne, ni à la délivrance d'un calendrier détaillé. Pour autant, il n'est pas dit que le chef d'État ukrainien reparte les mains vides de Bruxelles.

Patrick Martin-Genier pronostique ainsi l'alignement du Conseil européen sur un accès de l'Ukraine à la "Communauté politique européenne", une institution voulue par Emmanuel Macron qui permettrait aux candidats à l'UE de patienter en bénéficiant par anticipation de certains programmes européens, comme l'échange d'étudiants Erasmus ou certains fonds alloués à l'agriculture. Volodymyr Zelensky et l'Ukraine a décidément beaucoup à gagner ce jeudi.

Robin Verner
Robin Verner Journaliste BFMTV