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"Mensonges", convocation... Cet appel entre Paris et Moscou aux allures d'incident diplomatique

Vladimir Poutine et Emmanuel Macron (illustration)

Vladimir Poutine et Emmanuel Macron (illustration) - GONZALO FUENTES, Mikhail Klimentyev / POOL / SPUTNIK / AFP

Un appel téléphonique entre les ministres russe et français des Armées au sujet de l'attaque terroriste dans une salle de concert de Moscou s'est soldé par des récits divergents. De nouvelles tensions entre les deux pays, qui s'attaquent verbalement depuis plusieurs mois sur fond de guerre en Ukraine.

Ce devait être un coup de fil de coopération internationale contre le terrorisme. Il s'est transformé en incident qui ne fait qu'aggraver une crise diplomatique croissante depuis plusieurs mois. Un appel téléphonique du 3 avril entre Sébastien Lecornu et Sergueï Choïgou brouille encore plus les relations entre Paris et Moscou, jusqu'à la convocation ce vendredi 12 avril de l'ambassadeur français en Russie.

Emmanuel Macron, ministres des Affaires étrangères, ambassadeur... Les divergences entre les deux pays impliquent de nombreux acteurs et sont à l'origine d'une montée de fièvre qui livre son lot de rebondissements depuis dix jours.

Un entretien inédit depuis 2022

À l'origine de cette escalade: un appel le mercredi 3 avril entre le ministre des Armées Sébastien Lecornu son homologue russe Sergueï Choïgou, une première depuis octobre 2022 et l'arrêt des communications directes entre les deux ministères, huit mois après le début de la guerre en Ukraine.

Cet échange, sollicité par Paris sur la question du contre-terrorisme, intervenait peu après l'attentat du 22 mars près de Moscou (au moins 144 morts et 360 blessés), revendiqué par Daesh.

Malgré des tensions grandissantes entre les deux pays depuis les propos controversés d'Emmanuel Macron sur un éventuel envoi de troupes occidentales sur le front en Ukraine, Sébastien Lecornu a assuré avoir "rappelé la disponibilité de la France" à des "échanges accrus" avec la Russie dans la lutte contre le "terrorisme", selon le communiqué de son ministère.

La branche de Daesh soupçonnée d'avoir été derrière l'attaque dans la banlieue de la capitale russe "avait conduit ces derniers mois plusieurs tentatives" sur le "sol" français, avait déclaré peu après celle-ci Emmanuel Macron. C'est pourquoi "nous (la France, NDLR) avons proposé aux services russes, comme à nos partenaires de la région, une coopération accrue".

Moscou "instrumentalise"

Lors de cet entretien d'une heure, Sébastien Lecornu a également assuré que la France "ne disposait d'aucune information permettant d'établir un lien entre cet attentat et l'Ukraine" et a demandé à Moscou de "cesser toute instrumentalisation".

Ce à quoi le ministère de Sergueï Choïgou a répondu: "Le régime de Kiev ne fait rien sans l'aval de ses superviseurs occidentaux. Nous espérons que, dans ce cas, les services secrets français ne sont pas derrière cela."

Outre cette attaque indirecte, Moscou a aussi affirmé que les deux pays s'étaient dits "disposés à dialoguer" sur la guerre en Ukraine. "Le point de départ pourrait être 'l'initiative d'Istanbul pour la paix'", a-t-il ajouté.

Ces propos inattendus attribués à la France ont immédiatement été démentis par le ministère des Armées. Le ministre russe a bien affirmé "être prêt à reprendre le dialogue sur l'Ukraine" mais "la France n'a accepté ni proposé quoi que ce soit" sur ce sujet, avait souligné à l'AFP l'entourage du ministre français.

Des propos "baroques et menaçants"

Dès le lendemain, Emmanuel Macron, en déplacement à Saint-Denis à l'approche des Jeux olympiques, n'avait pas été tendre avec la version de Moscou sur cet entretien.

Le chef de l'État a qualifié les propos de "baroques et menaçants", ajoutant qu'il n'avait "aucun doute" sur une ingérence "en termes informationnels" du Kremlin vis-à-vis des JO de Paris.

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Ce lundi 8 avril, le ministre des Affaires étrangères a lui aussi réagi et même surrenchéri sur l'affaire dans un entretien accordé aux médias France24 et RFI depuis Abidjan, où il achevait une tournée en Afrique. Selon lui, il n'est plus dans l'intérêt de la France de "discuter avec les responsables russes".

"Ce n'est pas aujourd'hui notre intérêt de discuter avec les responsables russes puisque les communiqués qui sortent, les compte-rendus qui en sont faits sont mensongers", a déclaré Stéphane Séjourné.

Avant de pouvoir reparler aux Russes, "il faut peut-être d'abord établir la confiance, peut-être surtout avoir une évolution sur le terrain militaire en Ukraine pour que les relations puissent se renouer. Ce n'est pas le cas encore aujourd'hui", a estimé Stéphane Séjourné. Selon lui, la "longue tradition avec la Russie de coopération en matière de terrorisme" est désormais au point mort.

L'ambassadeur de France en Russie convoqué pour ses propos "inacceptables"

La réponse russe se sera fait attendre pendant quatre jours mais elle est bien intervenue ce vendredi. Le ministère russe des Affaires étrangères a convoqué l'ambassadeur de France à Moscou Pierre Lévy. En cause, les propos jugés "inacceptables" de Stéphane Séjourné.

Pierre Lévy "a été informé du caractère inacceptable de telles déclarations, qui n'ont rien à voir avec la réalité", a annoncé la diplomatie russe dans un communiqué.

"Nous considérons ces déclarations du ministre français des Affaires étrangères comme une action consciente et délibérée de la partie française visant à saper la possibilité même de tout dialogue entre les deux pays", a-t-elle poursuivi. En début de soirée, le ministère des Affaires étrangères n'avait pas encore réagi à cette convocation.

De son côté, Sébastien Lecornu n'a pas définitivement fermé, dans une interview accordée à LCI, la porte à des échanges avec la Russie. D'après lui, le partenariat de sécurité antiterroriste entre les deux pays "n'est pas suspendu" mais "ne fonctionne pas de manière partenariale comme il devrait fonctionner".

Quant à discuter avec les Russes, "il faut le faire quand c'est utile", a-t-il défendu. "Ça s'appelle défendre les intérêts de la France, tout simplement. Donc on n'est pas coupés".

Théo Putavy