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A quoi joue Poutine en Syrie?

Vladimir Poutine, le 24 septembre 2015.

Vladimir Poutine, le 24 septembre 2015. - Alexei Nikolsky - Ria Novosti - AFP

Accusée de favoriser Bachar al-Assad, la stratégie militaire de la Russie en Syrie a pris de court les Occidentaux, visiblement dépassés par les événements. Alors que la confusion règne, l'action militaire de Moscou, qui ressemble à une démonstration de force, semble pour l'heure profiter à Daesh, qui continue à progresser sur le terrain et avance dangereusement vers Alep.

Que cherche vraiment à faire la Russie sur le territoire syrien? Neuf jours après le début de l’intervention de Moscou aux côtés de Damas, officiellement contre Daesh, la question est légitime, tant la stratégie russe sème la confusion. Sur le terrain, la puissance des bombardements russes a pris de court les Occidentaux et éloigne les perspectives de sortie du chaos en Syrie, où les intérêts de multiples acteurs sont en jeu. Quelle est la stratégie militaire de la Russie en Syrie? Et quels sont les risques réels d’escalade du conflit? BFMTV.com fait le point.

> Quelle est l’action militaire de la Russie en Syrie?

Officiellement engagée en Syrie depuis le 30 septembre, la Russie, qui a déployé plus de 50 avions et hélicoptères sur place, procède depuis cette date à des frappes aériennes au-dessus du pays, qui ont déjà visé plus de 120 cibles en neuf jours, d'après les chiffres avancés par Moscou.

Un navire de la flotte russe présent en mer Caspienne a également tiré le 7 octobre des missiles de croisière qui, selon les Russes eux-mêmes, auraient parcouru 1.500 kilomètres dans les cieux iranien, irakien et syrien, avant d’atteindre leurs cibles. Selon Le Monde, ces missiles n’avaient pas encore été expérimentés en opérations.

La méthode, directe, crispe la situation: jeudi soir, un responsable américain a affirmé que quatre de ces missiles de croisière étaient tombés en Iran, ce que Moscou a démenti, affirmant que les frappes avaient été "approuvées par ses partenaires" et dûment préparées. De son côté, Téhéran, qui soutient le régime Assad et tient un discours semblable à celui de la Russie, n’a pas confirmé l’information.

En l’espace d’une semaine, la Russie a donc procédé à une véritable démonstration de force. A titre de comparaison, la coalition menée par les États-Unis a frappé 2.500 fois en Syrie depuis un an, ce qui représente une cinquantaine de bombardements par semaine en moyenne. Par ailleurs, la tension pourrait rapidement monter d’un cran. La Syrie a en effet annoncé jeudi le lancement d’une offensive terrestre majeure contre les groupes terroristes, soutenue par les bombardements russes.

> Quelles sont ses cibles?

Officiellement, les Russes disent chercher à désorganiser la chaîne de commandement et de logistique des jihadistes de Daesh et d'autres "groupes terroristes", en détruisant "dépôts d'armes et de munitions", "centres de commandement" ou "camps d'entraînement". Mais dès ses premières frappes, Ankara et ses alliés occidentaux, en particulier la France et les Etats-Unis, ont accusé la Russie de cibler avant tout les groupes rebelles considérés comme "modérés", et non pas les zones contrôlées par Daesh.

Autrement dit, dès son entrée en lice, la Russie a été accusée de jouer le jeu du régime de Bachar al-Assad en frappant son opposition, et de faire des victimes civiles. Ce jeudi matin, le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, a affirmé que "80 à 90%" des actions russes en Syrie "ne visent pas Daesh", mais "visent en priorité la sécurité" d’Assad.

Pour l'écrivain spécialiste de la Russie, Pierre Lorrain, invité vendredi soir sur BFMTV, la Russie démontre ainsi qu'elle ne fait pas de distinction entre les groupes rebelles. "Tous sont des rebelles anti-Bachar al-Assad. Du point de vue russe, il faut desserrer l'étau qui se refermait sur l'armée syrienne, pour lui permettre d'aller de l'avant", fait-il valoir. 

Capture tirée d'une vidéo diffusée par la Défense russe, montrant un Su-24M de l'aviation russe lâcher une bombe au-dessus de la Syrie.
Capture tirée d'une vidéo diffusée par la Défense russe, montrant un Su-24M de l'aviation russe lâcher une bombe au-dessus de la Syrie. © Russian Defence Ministry - AFP

> Quelle est l'efficacité de l'action russe?

Moscou se défend en soutenant avoir frappé efficacement Daesh, notamment dans son fief de Raqqa, et le chef d’état-major de l’armée syrienne assure que les frappes russes en Syrie ont permis de contrer les jihadistes et d'autres groupes armés, de même qu'elles ont aidé les forces du régime sur le terrain.

"Après les frappes aériennes russes qui ont diminué la capacité de combat de Daesh et des autres groupes terroristes, les forces armées syriennes ont gardé l'initiative militaire", a ainsi affirmé le général Ali Abdallah Ayoub, cité par la télévision d'Etat syrienne.

Pourtant, les Occidentaux voient la réalité différemment. Selon eux, cet appui au régime syrien serait au contraire en train de profiter directement à Daesh. Grâce aux raids de Moscou, qui affaiblissent les autres groupes rebelles, le groupe jihadiste progresserait en effet plus rapidement et n’a jamais été aussi proche de la ville stratégique d’Alep.

Un Sukhoi russe décolle de la base de Hmeomim, en Syrie, le 3 octobre 2015.
Un Sukhoi russe décolle de la base de Hmeomim, en Syrie, le 3 octobre 2015. © Alexander Kots - Komsomolskaya Pravda - AFP

> Y a-t-il un risque d'escalade?

Du côté des Occidentaux, l’inquiétude est palpable. Les forces de la coalition craignent notamment une extension du conflit. Jeudi, le secrétaire général de l'Otan, Jens Stoltenberg, a qualifié "d'escalade inquiétante" la stratégie globale de Moscou, qui multiplie les frappes en soutien au régime Assad et dont des avions ont "violé" l'espace aérien de la Turquie, un pilier de l'Alliance atlantique.

Jeudi, au micro de France 24, le journaliste Nicolas Hénin, spécialiste du Moyen-Orient, a estimé qu’une "escalade directe entre la Russie et l’Occident" n’était pour l’heure pas imaginable, alors que certains éditorialistes français se sont d’ores et déjà interrogés sur la possibilité d’une évolution du conflit en "Troisième Guerre mondiale". "En revanche, on va avoir des escalades locales, et notamment un risque d’une certaine forme de radicalisation, car des groupes tout à fait modérés de l’Armée syrienne libre ont été frappés parmi les premiers par l’aviation russe et sont en train de répliquer", a fait valoir Nicolas Hénin.