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Trois questions sur les frappes aériennes russes en Syrie

L'aviation russe a lancé mercredi ses premiers bombardements en Syrie. Pourquoi cette intervention russe alors qu’une coalition internationale menée par les Etats-Unis bombarde depuis un an les positions des jihadistes de Daesh? Quels sont les objectifs poursuivis par Moscou? Décryptage avec Christian Makarian, spécialiste des questions internationales.

La Russie a effectué ce mercredi ses premières frappes aériennes en Syrie, un pays en guerre depuis plus de quatre ans. Des bombardements menés contre le groupe jihadiste Daesh (l’acronyme arabe de l’Etat islamique) à la demande du président syrien Bachar al-Assad, explique le président russe Vladimir Poutine, assurant qu'il fallait prendre les "terroristes" de vitesse et les frapper avant qu'ils ne viennent "chez nous".

Ces frappes sont intervenues quelques heures avant que la Russie ne présente à l'ONU un projet de résolution visant à "coordonner toutes les forces qui font face à l'Etat islamique et aux autres structures terroristes".

Mais, alors qu’une coalition internationale menée par les Etats-Unis bombarde depuis un an les positions des jihadistes de Daesh, ces frappes ont soulevé des doutes sur leurs objectifs, notamment à Paris. Il y a "des indications selon lesquelles les frappes russes n'ont pas visé Daesh", a ainsi déclaré à la presse le chef de la diplomatie française Laurent Fabius, ajoutant qu'il "faudrait vérifier quels étaient les objectifs" des avions russes. Mécontent, le secrétaire d'Etat américain John Kerry s'est lui plaint auprès de son homologue russe Sergueï Lavrov et a jugé ces bombardements contre-productifs. Washington a toutefois estimé que l'intervention russe ne changerait rien aux missions anti-Daesh de la coalition occidentale.

> Quels sont les objectifs poursuivis par Moscou?

Pour Christian Makarian, directeur délégué de la rédaction de L’Express et spécialiste des questions internationales, les bombardements russes lancés ce mercredi répondent à deux objectifs. En premier lieu, il s’agit pour Moscou de maintenir son allié syrien au pouvoir. “Il y a certainement -et nous ne sommes pas très informés de cela- une urgence (pour la Russie) à sauver Assad. Parce que nous savons que la route entre Damas et Homs a été coupée, qu’il y a eu des attaques dans la banlieue de Damas (le bastion du régime, Ndlr) déjà au moins d’août et qu’il y en a de nouvelles”, a-t-il souligné sur BFMTV.

“Peut-être qu’Assad est tout simplement assiégé dans Damas au sens large, et les Russes ne veulent pas qu’il tombe, c’est tout leur plan qui serait par terre”, commente-t-il.

Mais Poutine cherche surtout par cette opération à se replacer au centre du jeu après des années d’isolement sur la scène internationale. “Le deuxième objectif, c’est évidemment de ‘corneriser’ complètement les Occidentaux. Vous imaginez, si la Russie -en intervenant, et en s’appuyant de manière coordonnée avec les Iraniens- obtenait un recul ou une défaite de Daesh alors que les Occidentaux qui bombardent depuis un an n’ont pas obtenu de résultats significatifs....”, a poursuivi l’expert.

“Il y a donc un jeu très important pour Vladimir Poutine: de manière générale, il veut montrer qu’il est en possession de toutes les cartes en Syrie et que les Occidentaux doivent passer par lui.”

> Le Kremlin a-t-il les moyens d’obtenir plus de résultats que la coalition menée par Washington?

C’est possible, estime Christian Makarian. “Toutes les informations très précises dont disposent les services de renseignement syriens, vont être fournis -et le sont depuis très longtemps- à l’armée russe”, note-t-il, rappelant que Moscou a ”par ailleurs fourni des moyens satellitaires au régime de Damas”. “Les avions américains sont au nombre de 400, et plus de 1.500 pilotes. Les Russes n’arriveront pas à ce niveau là mais ce sont des moyens purement aériens qui ne disposent pas d’informations au sol suffisantes”, détaille encore Christian Makarian.

Forte de cet “avantage”, l’armée russe “tapera sans doute avec plus de précision que les Occidentaux”, juge-t-il. “Le régime de Damas allié à la Russie peut obtenir -c’est tout cas le calcul de Poutine- des résultats plus significatifs, qui obligeront à ce moment là les Occidentaux à passer un accord clair et net avec les Russes.”

> Jusqu’où ira Vladimir Poutine pour soutenir Bachar al-Assad?

Les Russes nient pour l’instant l’envoi de troupes au sol. Ils interviennent sous couvert de diplomatie, “à la demande du régime de Bachar al-Assad”. “Ce n’est qu’apparence de légalité”, pointe toutefois Christian Makarian.

Au-delà, “les Russes soutiendront Assad tant qu’il sera utile à leur stratégie globale”,affirme l’expert. “Pour l’instant on pense qu’Assad est certainement menacé. Il y a un indice très clair: les Russes sont en train de construire une base aérienne à Lattaquié, en plein fief alaouite -la religion dont est issu Bachar al-Assad. Il y aurait donc une sorte de bastion qui serait constitué, qui leur permettrait de jouer le coup d’après”, analyse-t-il. Selon lui, “il ne faut pas imaginer que les Russes adorent Assad, ce n’est certainement pas le cas”. “En revanche, ce qui est frappant avec les Russes c’est qu’ils jouent déjà le coup d’après: si Assad tombait, la Russie serait néanmoins devenue incontournable en Syrie.”

V. R.