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"La France ne verse pas de rançon", oui mais...

Les ex-otages d'Arlit et François Hollande sur le tarmac de Vélizy-Villacoublay ce mercredi.

Les ex-otages d'Arlit et François Hollande sur le tarmac de Vélizy-Villacoublay ce mercredi. - -

Avec la libération des otages d'Arlit, la polémique enfle sur les moyens employés par la France pour faire revenir ses ressortissants. Plusieurs sources affirment qu'une rançon de 20 à 25 millions d'euros aurait été versée. Le gouvernement dément. Et si la réponse se situait à mi-chemin?

La France a-t-elle versé une rançon pour faire libérer les otages d'Arlit qui sont rentrés à Paris ce mercredi matin, après trois ans de captivité? Et si oui, combien cette opération a-t-elle coûté à l'Etat français?

Si le gouvernement martèle depuis mardi soir que "la France ne verse pas de rançon", plusieurs médias ont fait état mercredi du versement d'une rançon chiffrée entre 20 et 25 millions d'euros. Pour les experts, une telle libération a forcément fait l'objet de contreparties. BFMTV.com fait le point.

> La position officielle: "La France ne paye pas"...

"La France ne verse pas de rançon", a réaffirmé l'Elysée ce mercredi matin alors que Thierry Dol, Marc Féret, Daniel Larribe et Pierre Legrand venaient de retrouver leurs proches à Vélizy-Villacoublay, après leur libération au Niger où ils avaient été enlevés le 16 septembre 2010.

Une déclaration qu ifait échos au discours des ministres de la Défense et des Affaires étrangères. "Vous savez la doctrine qui est la nôtre, il n'y a pas de rançon", affirmait ainsi Laurent Fabius sur BFMTV dès mardi soir quand Jean-Yves Le Drian renchérissait: "La France a toujours eu la même ligne, on ne paye pas". Un message à nouveau asséné à l'Assemblée nationale lors des questions au gouvernement.

A la sortie du Conseil des ministres mercredi matin, Najat Vallaud-Belkacem, porte-parole du gouvernement a martelé: "Nous n'avons pas changé de politique", en référence à la position édictée par François Hollande sur le dossier. "La France n'a pas participé directement aux tractations portant sur la libération", a-t-elle poursuivi, indiquant que c'est le Niger, chaleureusement félicité par les autorités françaises, "qui a réussi à trouver l'issue".

> ... mais elle paye via le Niger?

Si la position officielle semble tranchée, la réalité serait plus nuancée. Le Monde et l'AFP, citant des sources proches des négociateurs, ont évoqué dès mercredi matin l'existence de contreparties dont le montant est estimé entre 20 et 25 millions d'euros. Alors, cette somme a-t-elle été versée? Par qui? Et d'où vient-elle? Les spécialistes apportent quelques éléments de réponse.

Pour Jacques Follorou, journaliste du Monde, "des membres de la DGSE ont remis aux membres du convoi (lors d'une opération militaire le 20 octobre, ndlr) la 'contrepartie' à la libération des otages, 'plus d'une vingtaine de millions d'euros'". Et de poursuivre: "les preneurs d'otages devraient ensuite échanger l'argent contre les coordonnées GPS permettant de localiser les quatre Français". Les fonds auraient été prélevés sur les "fonds secrets alloués aux services de renseignements."

"Ce sont des contreparties indirectes", explique sur BFMTV Samuel Laurent, spécialiste du terrorisme, "mais cela équivaut à payer". L'expert estime que le président nigérien a pu servir "d'interface" permettant à la France de ne pas payer directement, s'en tenant officiellement à sa position de principe.

"La France ne donne jamais d'argent", a insisté Roger Auqué, ancien otage français au Liban devenu diplomate. "Mais elle peut demander de l'aide financière à un état allié, à une organisation, à un milliardaire", a-t-il indiqué à l'antenne de BFMTV ce mercredi midi. En face de lui, Michèle Alliot-Marie, ancienne ministre de la Défense, a reconnu que "des pays extérieurs peuvent intervenir dans la négociation".

> ... elle s'arrange avec Areva?

"Je ne vois pas d’autre possibilité en dehors du paiement d’une rançon", affirme pour sa part Louis Caprioli, ancien responsable de la DST interrogé par RFI. "Malgré tout le talent du président de la République du Niger (Mahamadou Issoufou) et des négociateurs, je ne vois pas pour quelle raison les gens d’AQMI auraient libéré des gens qu’ils détiennent depuis trois ans." Pour lui, "d'autres ont payé", citant notamment Areva pour qui travaillaient directement ou indirectement les otages.

Un scénario d'autant moins surprenant que c'est celui qui aurait été mis en place en 2011 lors de la libération de trois otages dont Françoise Larribe, épouse de Daniel Larribe. "Une rançon de 13 millions d'euros a bien été payée par Areva et Vinci", a affirmé sur France 3 Dorothée Moisan, journaliste à l'AFP et auteur de Rançons, enquête sur le business des otages (Fayard).

Interogée sur BFMTV, elle indique qu'il peut également y avoir des contreparties autres que financières: "des sauf-conduits pour circuler sur un territoire, un accès aux soins pour un dignitaire, etc..." Car pour elle, difficile de verser directement une rançon aux jihadistes "qui auraient pu en profiter pour acheter des armes alors qu'ils étaient en guerre contre la France", explique-t-elle à Libération.

> ... et ne peut, de toute façon, rien dire

Que la France paie des rançons, "c'est indéniable", estime pour sa part Alain Codelfy, ancien inspecteur général des armées et directeur de recherche à l'Iris, interrogé par Le Plus du Nouvel Obs. Sur les modalités, il explique que l'Etat paye "pour ses agents" ou "conclut des arrangements" avec les grandes entreprises quand il s'agit de leurs salariés. Mais, rappelle-t-il, il est impossible de reconnaître publiquement qu'une rançon a été versée. "S'engager dans cet engrenage ne peut en effet que faire monter des enchères déjà élevées", souligne-t-il.

"L'Etat français est dans son rôle de dire" qu'il n'a rien versé, estime également Dorothée Moisan interrogée par Metronews. "Il ne pourrait l'affirmer haut et fort sans pousser au rapt tous les criminels du monde..."

Violaine Domon