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Gel meurtrier, sécheresse intense: les agriculteurs vont-ils devoir changer leur calendrier?

Du gel sur des branches d'arbre à côté de Poitiers, le 15 janvier 2022 (photo d'illustration)

Du gel sur des branches d'arbre à côté de Poitiers, le 15 janvier 2022 (photo d'illustration) - Guillaume Souvant/AFP

Les gelées tardives pourraient se multiplier dans les prochaines années. Imposant aux agriculteurs de modifier le calendrier de leurs cultures.

L'hiver est revenu. Après une météo particulièrement printanière, voire estivale dans certaines régions, un "front froid" venu de Scandinavie a fait chuter les températures. De le neige et des gelées ont frappé la France, mobilisant les agriculteurs au chevet de leurs cultures pendant plusieurs nuits. Avec un objectif: sauver leurs récoltes, en dispersant notamment des braseros dans les vignes ou en aspergeant d'eau les vergers afin de protéger les bourgeons.

L'année dernière, un épisode de gel extrême et tardif, jugé comme "l'un des plus sérieux des dernières décennies", avait lourdement impacté arboriculteurs et viticulteurs, certains ayant perdu jusqu'à 85% de leur récolte. Le régime de calamité agricole avait d'ailleurs été activé.

Avec le changement climatique, les événements climatiques extrêmes - comme les canicules ou les pluies diluviennes - devraient se répéter dans une ampleur et une fréquence "sans précédent", a mis en garde le Giec, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat. Et malgré le réchauffement, ces gelées tardives pourraient se répéter d'année en année, alerte le météorologue Olivier Proust dans La Dépêche.

"Nous pouvons nous attendre à une augmentation de ces enchaînements de températures à chaque printemps", explique le spécialiste. "Ainsi, il pourrait y avoir une adaptation des calendriers de cultures par les agriculteurs pour éviter que ces épisodes de gel impactent les denrées les plus sensibles."

La taille retardée pour les vignes ou les arbres fruitiers

C'est déjà le cas, explique à BFMTV.com Henri Bies-Péré, producteur laitier dans les Pyrénées-Atlantiques et vice-président de la FNSEA, co-auteur d'un rapport d'orientation sur le changement climatique. Notamment pour la taille des vignes et des arbres fruitiers.

"Habituellement, les vignes sont taillées dès novembre et les arbres fruitiers autour de décembre. Mais certains ont opté pour une taille tardive au mois de janvier. En retardant la taille de plusieurs semaines, cela repousse d'autant la montée de sève et la reprise de la végétation."

Ces pieds de vigne et ces arbres taillés plus tardivement pourraient donc mieux supporter cette vague de froid, les bourgeons n'étant pas encore sortis. Mais c'est un pari sur l'avenir, poursuit Henri Bies-Péré: rien ne permet d'assurer que dans quelques mois, les récoltes seront sauvées.

"On fait des essais, on expérimente. En général, les agriculteurs font le choix de ne décaler qu'une partie de leur parcelle. Et puis rien ne nous garantit qu'il n'y aura pas une nouvelle vague de froid d'ici là."

Des semis décalés

Pour les plantes et les céréales, les changements profonds et durables des conditions climatiques imposent aussi à certains agriculteurs de modifier la date de leurs semis, avec là aussi pour objectif de limiter les pertes. Comme avec le colza qui, s'il s'est beaucoup développé avant l'hiver, est d'autant plus sensible au gel.

"Habituellement, le colza est semé fin août", poursuit Henri Bies-Péré, de la FNSEA. "Aujourd'hui, certains cultivateurs décalent les semis de quelques semaines. Car les automnes sont plus doux et permettent la pousse. En décembre, le colza a ainsi poussé suffisamment pour résister à l'hiver mais pas trop pour ne pas le rendre sensible au gel."

Autre illustration de cette adapatation des pratiques agricoles au changement climatique, mais cette fois l'été pour faire face aux épisodes de sècheresse et de fortes chaleurs. Avec le cas du maïs, qui se semait jusqu'à ces dernières années fin avril/début mai, mais qui est désormais semé dès le mois de mars.

"On n'aurait jamais vu ça il y a dix ans, on nous aurait traité de fous", continue Henri Bies-Péré. "Mais l'idée, c'est d'avoir une floraison du maïs dès juillet. Car les canicules, qui ont lieu le plus souvent en août, grillent les pollens. La fleur n'est donc pas fécondée et l'épi ne se développe pas."

Il arrive de plus en plus souvent que la date des semis soit adaptée en prévision des attaques de ravageurs. Ces dernières années, les pucerons verts ont décimé les champs de betteraves en leur transmettant la jaunisse - les hivers doux sont favorables à la survie de ces insectes. Mais ce calendrier n'est pas forcément compatible avec celui des gelées tardives.

"La betterave se sème en avril", détaille encore Henri Bies-Péré. "Certains agriculteurs, anticipant les attaques de pucerons, ont semé dès mars pour décaler la période de floraison avant l'arrivée des pucerons. Mais cette année, avec cet épisode de froid, le gel pourrait griller les plantules. Est-ce qu'ils vont survivre? L'avenir nous le dira."

https://twitter.com/chussonnois Céline Hussonnois-Alaya Journaliste BFMTV