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Des grains de café robusta sur l'île de Java, en Indonésie

CHAIDEER MAHYUDDIN / AFP

Une demande en hausse mais une production en baisse: le café survivra-t-il à sa popularité?

Troisième boisson la plus bue au monde, le café a été touché de plein fouet par la hausse des prix sans que la consommation ne baisse. Cette bonne nouvelle s’apparente pourtant à un casse-tête pour un marché qui se prépare à une crise d’ampleur, celle du changement climatique.

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"C'est un véritable tsunami." En mai dernier, Giuseppe Lavazza, petit-fils du fondateur du groupe italien, traçait les premières pistes de l'année 2022 pour le café. Le tsunami en question, c'est ce mur inflationniste qui attendait alors l'Europe entière, quelques semaines après le déclenchement de la guerre en Ukraine. L'Italien ne s'était pas trompé: l'année écoulée aura été redoutable pour le marché du café, la troisième boisson la plus bue au monde après l'eau et le thé.

Selon les derniers chiffres Eurostat, le prix du café au sein de l'Union européenne a bondi de 17% en novembre sur un an. Dans les pays les plus sensibles à l’inflation, comme en Lituanie ou en Hongrie, la hausse dépasse les 35%. "Les récentes hausses de prix pourraient faire de cet incontournable du matin presque un luxe" s’inquiète d’ailleurs l’institut de statistique. Mais si les prix de la cerise de café se sont envolés dans le sillage de toutes les matières premières, la guerre en Ukraine est loin d'être l'unique raison de cette pression inflationniste.

En réalité, le café a affronté une conjonction de facteurs. C’est surtout la crise sanitaire qui a amorcé cette tendance. Cultivé sous les tropiques, le café est torréfié puis importé, ce qui induit des coûts importants de logistique et d'énergie. Or, le Covid-19 a paralysé le transport mondial qui arrive enfin, près de deux ans après le premier confinement, à se remettre de cette catastrophe économique sans précédent. En parallèle, le conflit entre la Russie et l'Ukraine a fait bondir les prix de l'énergie. Cette situation touche tous les cafés, toutes les zones de plantation à travers le monde, et tous les acteurs de ce marché à 385 millards de dollars.

Pourtant, ce coup de bambou sur les professionnels du café – qu'ils ont fini par répercuter sur les prix aux consommateurs – n'a pas entamé l'appétence du grand public pour le breuvage. Loin de là. "La demande reste stable, malgré la crise" observe Christophe Servell, fondateur de Terres de Café, un des pionniers du café de spécialité en France et fin connaisseur du marché. Son entreprise, petit poucet dans cet océan, a même connu une hausse de la demande cette année de 30%.

Petit lexique du café

Café de commodité: le café ordinaire, peu réputé pour son goût mais avec un prix bas. Il représente l'écrasante majorité du café consommé dans le monde. Son prix est déterminé par le marché.

Café de spécialité: un café de meilleure qualité et plus cher, vendu généralement dans des boutiques spécialisées. Son prix ne dépend pas du marché mondial du café mais se négocie de gré à gré.

Arabica: il s'agit d'une variété de l'arbuste Coffea, réputée pour la qualité de ses grains, qui représente 70% de la production mondiale.

Robusta: il s'agit d'une autre variété de l'arbuste Coffea. Moins qualitatif, il pousse plus facilement et offre un meilleur rendement. Il représente 30% de la production mondiale.

C'est tout le paradoxe de cette inflation: on continue à boire du café. Et on est même prêt à y mettre le prix. "On assiste à une montée en gamme du café notamment en France" poursuit Christophe Servell. La part de marché du café de spécialité - le plus cher - a encore pris 20% cette année et elle représente environ 5 à 6% du marché français. "Sur un total de 300.000 tonnes, ça commence à faire" souligne le patron de Terres de Café.

D'autant que les Français, à l'image du vin, commencent à percevoir le café comme un bien de qualité avec ses goûts et ses terroirs. Pour preuve, le marché du café en grain, à moudre soi-même, explose littéralement y compris chez les grands industriels. En 2021, Lavazza a affiché une croissance de 17% sur ce pan du marché hexagonal.

"On s’inscrit dans la mentalité du consommateur" explique Giuseppe Lavazza qui promeut un "voyage" à travers les tropiques. Signe de cette montée en gamme, le groupe italien s'est allié au célèbre chef cuisinier Alain Ducasse pour développer des gammes de cafés d'exception, sortes de grand crus où le kilo de grains dépasse les 50 euros, cinq fois plus que du café de grande distribution.

Giuseppe Lavazza s'est associé à Alain Ducasse pour une gamme de café haut de gamme
Giuseppe Lavazza s'est associé à Alain Ducasse pour une gamme de café haut de gamme © Lavazza

Cette explosion des ventes de café en grains est d’ailleurs bien aidée par celles des machines avec broyeurs intégrés, portée notamment par le suisse Jura ou l'italien De’Longhi, dont les ventes ont été multipliées par cinq en 5 ans. "On constate aussi la réouverture des torréfactions dans toute la France", abonde encore Christophe Servell, qui précise que la montée en gamme est mondiale. Alors voici les plus ambitieux des amateurs de café qui sirotent désormais avec attention un Bourbon de la Réunion ou un Blue Moutain de la Jamaïque, parmi les plus chers du monde.

Toujours plus de café

Mais ces belles perspectives se heurtent à un mur de taille. La demande augmente et l’offre baisse. La consommation mondiale de café devrait augmenter de 3,3% pour l’année cafeière 2022/2023, qui a débuté en septembre: 170,3 millions de sacs de 60kg contre 164,9 millions pour l'année précédente. En parallèle, la production est estimée à 167,2 millions de sacs, soit une baisse de 2,1% par rapport aux 170,8 millions de sacs de café de l'année précédente. Cela fait donc un déficit de 3,1 millions de sacs entre l’offre et la demande, soit 186.000 tonnes.

Cette stimulation de la demande n’est pas tant liée à l’Europe ou l’Amérique du Nord, marchés déjà matures, mais aux régions qui ne consommaient pas ou peu de café, comme la Chine ou désormais l’Afrique.

Evalué à 385 milliards de dollars en 2021, le marché du café devrait atteindre les 500 milliards de dollars d’ici la fin de la décennie. 9,9 millions de tonnes ont été consommées dans le monde en 2021 dont 3,2 millions en Europe et 1,85 million en Amérique du Nord. L'Afrique représentait 734.000 tonnes mais affichait la plus forte progression sur trois ans (+3,4%).

Une plantation au Panama
Une plantation au Panama © Luis ACOSTA / AFP

Voilà pour le futur proche.

Mais les années à venir s’annoncent plus inquiétantes. Deux défis majeurs attendent le café. Le premier est le plus évident: le changement climatique.

"On en parle depuis une dizaine d’années mais la première véritable crise, c'est le gel au Brésil en 2021" souligne Christophe Servell.

Un quart de la production du pays a été réduite à néant. Et quand le premier producteur et exportateur tousse, le monde du café s’enrhume.

Le coup froid sur la production brésilienne n’est pas une première mais celle-ci a été particulièrement violente, juste après une sécheresse. Surtout, il arrive au pire moment, en pleine pandémie mondiale.

Mais l’évènement climatique violent masque un phénomène plus pernicieux, celui du réchauffement qui réduit à grande vitesse la taille des plantations. Arbuste d’altitude, le caféier arabica a besoin d’air frais, entre 18 et 20 degrés celsius. Une petite variation du thermomètre et c’est toute une plantation qui est en danger.

"On sait qu'en 2050, 50% des surfaces dédiées à la plantation de café auront disparu" explique Christophe Servell.

Il y a encore quelques années, ces projections étaient pourtant annoncées pour 2100. Le Brésil, la Colombie, le Vietnam, l’Indonésie… autant de pays qui vont ainsi subir de plein fouet cette perte de production, annonçait en janvier dernier une étude alarmante publiée dans la revue scientifique Plos One.

Christophe Servell (à droite) se rend sur une plantation
Christophe Servell (à droite) se rend sur une plantation © Terres de café

Et pas question de se lancer dans de nouvelles plantations dans ces pays. "On se bat pour un café sans déforestation donc il doit être cultivé là où il existe. Pour garder le volume, il faut augmenter la productivité" tranche Giuseppe Lavazza. Comment rester là où le soleil brûle les plantes? Y mettre le prix. "Il faut mettre en place des solutions pour ombrager et mieux irriguer: creuser des bassins, planter des arbres, faire de la polyculture" énumère Christophe Servell. "Evidemment, ça coûte cher."

Chez les botanistes, on travaille aussi sur des hybrides qui résisteraient mieux à la chaleur mais là encore l’équation n’est pas simple. La totalité de la production mondiale est issue de deux espèces, le coffea arabica et le coffea canephora (appelé aussi robusta). La première, prisée pour la qualité de ses cerises, continue de dominer mais affiche une très faible diversité génétique. Difficile, dès lors, de la faire évoluer pour la rendre plus résistante au changement climatique. "Et plus on hybride, plus on perd en qualité" renchérit Christophe Servell.

Une plante unique pour inonder l’Amérique

Originaire d’Afrique, le caféier a fini par arriver à Java en 1696 sous domination néerlandaise. De là, un plant sera envoyé au jardin botanique d’Amsterdam qui sera ensuite multiplié puis offert comme curiosité botanique aux capitales européennes. Elles en profiteront pour le planter dans leurs colonies. Pratiquement tous les arabica du continent américain viennent donc de ce plant originel.

L’autre enjeu des prochaines décennies concerne les planteurs. "Il y a un problème de transition générationelle" reconnait Giuseppe Lavazza. L'âge moyen d'un caféiculteur est de 50 ans et la relève n’est pas là. Harassant et peu lucratif, le métier pourrait disparaître aussi vite que les plantations, bien que la hausse des prix ait pu convaincre des agriculteurs de s’y plonger.

Le café pourra-t-il répondre alors à la demande pressante du monde entier? Les avis divergent sur sa capacité à répondre aux besoins même si le marché est trop important pour qu’il se laisse dériver sans réagir. Pour Christophe Servell, "on boira moins mais mieux".

Dernière solution pour espérer maintenir la production: faire confiance à la nature. Sur les 130 variétés de caféiers connues, certaines pourraient aider à contrer cette crise annoncée. En 2022, le Cirad, organisme français de recherche agronomique, a proposé à quelques "nez" de la profession d’évaluer une boisson extraite de plusieurs caféiers méconnus: coffea congensis, coffea brevipes et surtout coffea stenophylla. Les deux premiers ressemblent au robusta et la dernière se rapproche de l’arabica. Surtout, ces variétés supportent beaucoup mieux les hausses de températures. Et auprès des "nez", ces nouveaux cafés ont clairement fait sensation. Reste encore de longues années d'étude pour déterminer leur rendement et leur résistance aux maladies.

Le Cirad a organisé des tests à l'aveugle pour tester de nouvelles variétés de café
Le Cirad a organisé des tests à l'aveugle pour tester de nouvelles variétés de café © C. CORNU / Cirad / AFP

Mais ce n’est pas la première fois qu’un produit de masse tel que le café change de variété à l’échelle mondiale. Jusqu’au milieu des années 1950, la banane star s’appelait "Gros Michel" avant qu’un champignon ne détruise la quasi-totalité des cultures pour être remplacée par la Cavendish, celle que nous mangeons actuellement. Pour l’arabica ou le robusta, la question n’est pas encore leur survie mais plutôt leur capacité à répondre à la demande toujours plus importante. Et ce virage se prépare dès aujourd’hui.

Thomas Leroy Journaliste BFM Business