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La crise ukrainienne, possible menace pour les agriculteurs français

Les prix des engrais azotés ou de la potasse, déjà au plus haut, pourraient encore grimper en raison de la guerre en Ukraine. De quoi inquiéter les producteurs de céréales alors que le salon de l'Agriculture ouvre ses portes ce samedi.

La crise en Ukraine plonge l'agriculture française dans l'incertitude. Conséquence de la flambée des prix du gaz, les prix des engrais azotés atteignent des sommets depuis la fin de l'été. Car pour fabriquer ces engrais azotés, très utilisés par les agriculteurs de l'Hexagone, il faut de l'ammoniac, lui-même issu du gaz naturel – ce dernier représente même 80% du coût de production de l'ammoniac. Or, l'offensive russe a redonné un coup d'accélérateur au cours du gaz naturel, faisant craindre la même chose pour les engrais, au moment même où ces derniers commençaient à se stabiliser.

Une situation d'autant plus tendue que la Russie, en plus de ses approvisionnements en gaz naturel et en ammoniac, représente aussi un quart des importations européennes d'engrais azotés comme produits finis – une grande partie de la fabrication a quitté depuis longtemps la France, dont la production nationale ne couvre aujourd'hui qu'un tiers des besoins de son agriculture. Si le pays décide de couper le robinet du gaz, ou que d'éventuelles sanctions perturbent les exportations russes, il sera beaucoup plus compliqué de produire ou de s'approvisionner en engrais azotés.

Mais il n'y a pas que les engrais azotés: la Russie est aussi assise sur une bonne partie des gisements de potasse, engrais lui aussi indispensable à l'agriculture française. Trois pays se partagent aujourd'hui la production de potasse: outre la Russie, on retrouve le Canada et la Biélorussie. Les importations vers l'Europe depuis la Biélorussie se sont déjà taries en raison des sanctions économiques contre le pays. Si la Russie réduisait également ses importations vers l'Europe, le Canada pourrait avoir du mal à répondre seul à la demande, les Etats-Unis s'étant aussi reportés sur leur voisin pour la potasse.

Pas vraiment d'alternatives

Le risque de rupture sur les engrais est cependant limité pour la récolte 2022, car les besoins sont presque intégralement couverts à cette période de l'année. Mais la question se pose pour la prochaine saison: les achats d'engrais pour la récolte 2023 débuteront au printemps et à l'été. Si la crise venait à durer et qu'elle réduisait la disponibilité des fertilisants, ou que les prix ne redescendaient pas, certains agriculteurs pourraient être contraints de réduire leurs apports, voire de faire l'impasse sur certains de ses produits, auxquels il n'y a pas vraiment d'alternatives à court terme.

Moins d'engrais, ce sont des rendements plus faibles, et donc une baisse du volume de production. C'est aussi une baisse de la qualité: la teneur en protéines des céréales, par exemple, découle de l'apport en azote, rehaussé par les engrais. En fonction de la farine qu'ils veulent utiliser, les boulangers et l'industrie agro-alimentaire requièrent en effet un certain niveau de protéines: un grain avec un taux de 11% de protéines sera vendu moins cher qu'un grain à 11,5%. Et concrètement, moins de production et moins de qualité, c'est un revenu plus faible pour les agriculteurs.

En parallèle, les cours des céréales s'envolent depuis plusieurs mois, et le prix du blé meunier a même atteint un nouveau record après l'invasion russe de l'Ukraine, cinquième exportateur mondial de blé et quatrième pour le maïs. Pour les éleveurs, cela signifie une très forte hausse du coût de l'alimentation, pas compensée pour le moment par une hausse du prix du produit final, d'autant que les négociations commerciales annuelles sont quasiment arrivées à échéance. Les éleveurs, qui cultivent aussi des fourrages pour leurs animaux, pâtissent aussi du coût des engrais.

Risque d'un effet ciseau

Ce n'est pas forcément une bonne nouvelle non plus pour les producteurs céréaliers: la hausse des cours des céréales est suivie de près par celle des engrais, restreignant leurs marges. Avec la menace d'un effet ciseau au-dessus de leurs têtes, s'ils achètent très chers leurs engrais pour la prochaine saison et que le marché des grains s'effondre entretemps. Et il ne faut pas oublier de compter sur la flambée de l'énergie, car il faut du carburant pour faire tourner les machines et de l'électricité pour chauffer les fermes.

Certains grands groupes français sont aussi présents en Ukraine et en Russie, comme Invivo et sa branche céréalière Soufflet. Invité sur BFM Business vendredi 25 février, son directeur général Thierry Blandinières est revenu sur ses difficultés depuis l'invasion de l'Ukraine.

"On a arrêté nos activités en Ukraine et on a demandé à nos 500 salariés sur trois sites de rentrer chez eux", a-t-il précisé.

Pour le groupe Invivo, le pays représente une part importante de son activité. "Pour les céréales, ça représente 20% de l'activité du pôle agricole qui pèse 2 millairds d'euros. Pour nous c'est un impact majeur pour l'économie du groupe". Soufflet est aussi présent en Russie "où l'activité continue normalement, mais on reste vigilant puisqu'il va y avoir des sanctions", poursuit-il. "En 2014, on avait été fortement pénalisé, on est dans l'attente, on est inquiet".

Jérémy Bruno Journaliste BFMTV