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La flambée des prix des engrais inquiète les agriculteurs français

Un agriculteur dans un champ en Eure-et-Loir en août 2020 (photo d'illustration).

Un agriculteur dans un champ en Eure-et-Loir en août 2020 (photo d'illustration). - JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP

Les prix des engrais azotés flambent depuis plusieurs semaines. Or, ils assurent les rendements des cultures, et il n'existe pas vraiment d'alternatives.

La facture est salée pour les agriculteurs français: les prix des engrais azotés atteignent des sommets depuis la rentrée. La tonne d'ammonitrate 33,5%, l'un des fertilisants les plus utilisés en France, coûte plus de 750 euros ces jours-ci, contre 300 euros environ au printemps. L'urée, qui grimpe à 805 euros, a quasiment quadruplé depuis le début de l'année. Une véritable flambée du marché des engrais. "Jusqu'en septembre, la hausse était raisonnable, mais aujourd'hui c'est de la folie", s'inquiète Thierry Coué, vice-président de la FNSEA, le principal syndicat agricole français, et président de sa section bretonne.

Mais de quoi parle-t-on avec les engrais azotés ? L'azote est un élément indispensable à la croissance des plantes: on le retrouve naturellement dans la terre. Assimilé par les végétaux, il participe à la croissance des parties aériennes (les tiges et les feuilles) et à la photosynthèse. Mais pour assurer de meilleurs rendements dans les champs, il faut apporter davantage d'azote aux plantes que ce qu'elles peuvent trouver dans le sol, et c'est là qu'interviennent les engrais azotés. On peut utiliser ces engrais sous forme liquide (solution azotée) ou sous forme solide (ammonitrate, urée).

Pour fabriquer ces fertilisants, il faut de l'ammoniac. Ce dernier est issu… du gaz naturel, dont les prix s'enflamment depuis quelques semaines. Le gaz naturel représente pas moins de 80% du coût de production de l'ammoniac, ce qui se répercute sur les prix des engrais azotés au bout de la chaîne. Face à l'explosion de leurs coûts de production, les usines des fabricants d'engrais tournent au ralenti, voire ont été arrêtées – le groupe norvégien Yara, l'un des géants du secteur, a ainsi réduit de 40% sa production d'ammoniac. Moins de production, c'est moins d'engrais sur le marché.

Désorganisation logistique

Or, au même moment, la demande est élevée. Elle est traditionnellement forte à cette période de l'année – c'est le coup d'envoi des cultures d'hiver – mais elle l'est d'autant plus cette année que les commandes ont été faites plus tardivement. Lorsque les prix ont commencé à monter au cours de l'été, certains agriculteurs ont préféré attendre. "C'est aussi la conséquence d'une mauvaise récolte en 2020: quand on ne sait pas ce qu'on va gagner cette année, on ne pense pas à l'année prochaine", ajoute François Gibon, délégué général de la Fédération du négoce agricole (FNA), maillon entre les fabricants et les agriculteurs.

"Il y a un risque possible de pénurie pour les engrais azotés, car les agriculteurs n'ont pas encore couvert 100% de leurs besoins et la disponibilité est toujours limitée", explique Isaure Perrot, analyste pour le cabinet Agritel. "Ce risque existe à plus forte raison que s'y ajoutent les problèmes logistiques à l'échelle mondiale, et la forte hausse du coût du fret. On observe déjà des retards de livraisons et cela pourrait s'aggraver", ajoute-t-elle.

Mauvais timing, car les importations se tarissent. Une grande partie de la fabrication d'engrais azotés a quitté depuis longtemps l'Hexagone, dont la production nationale ne couvre aujourd'hui qu'un tiers des besoins de son agriculture. L'urée et la solution azotée, massivement importées de Russie, des Etats-Unis ou de Chine, se font rares, en raison des difficultés logistiques et des restrictions des exportations. Et la France a peu de stocks pour y faire face: les dépôts d'engrais, en raison de leur potentielle dangerosité, sont très réglementés (c'est l'explosion d'un stock d'ammonitrates qui a dévasté Beyrouth en 2020).

"On fait le nécessaire pour assurer la continuité de la production" d'ammonitrates et "la situation est stable aujourd'hui", assure Florence Nys, déléguée générale de l’Union des industries de la fertilisation (Unifa), qui rassemble les industriels français du secteur. "Sur l'approvisionnement, pour la production française, il n'y a pas de pénurie en soi", assure-t-elle, car "aucune usine n'est actuellement à l'arrêt en France".

Pas vraiment d'alternatives

À de tels prix, ou s'il n'y avait pas assez d'engrais disponibles, les agriculteurs seraient contraints de réduire les apports sur leurs cultures, ce qui se traduirait par des rendements plus faibles, et donc une baisse du volume de production. C'est aussi le risque d'une baisse de la qualité: la teneur en protéines des céréales découle de l'apport en azote, rehaussé par les engrais. Or, en fonction de la farine qu'ils veulent utiliser, les boulangers et l'industrie agro-alimentaire requièrent un certain niveau de protéines: un grain avec un taux de 11% de protéines sera vendu moins cher qu'un grain à 11,5%.

À court terme, il n'y a pas vraiment d'alternatives aux engrais minéraux, c'est-à-dire fabriqués chimiquement. Les engrais organiques d'origine animale ou végétale, notamment utilisés en agriculture biologique, sont moins chargés en azote (ce qui veut dire moins de rendements) et n'agissent pas aussi rapidement – et il serait impossible d'y convertir en quelques mois un grand nombre de cultures. Certains agriculteurs pourraient aussi être tentés de cultiver davantage de plantes moins gourmandes en azote, comme le maïs ou le colza, ou des légumineuses (soja, pois, haricots), qui sont capables d'utiliser l'azote dans l'air.

"C'est une solution possible, mais on ne peut pas planter que ça. Le pain ne se fait pas avec des lentilles", souligne François Gibon. "Pour les cultures d'hiver, la messe est dite, car elles sont déjà en terre. L'ajustement est possible sur les cultures de printemps, mais les marges de manœuvre sont limitées. On ne peut pas simplement doubler la production de colza, les cultures font partie de chaînes de transformation, et il faut des débouchés pour les vendre".

Vers une hausse des prix ?

Dans un communiqué commun, quatre associations spécialisées de la FNSEA ont estimé que le surcoût pour l'agriculture française pourrait atteindre 4 milliards d'euros, "sans tenir compte de la hausse des autres charges, notamment le coût du gaz nécessaire au séchage du maïs". Cela augure-t-il d'une hausse des prix des céréales ? La flambée des engrais a commencé à se calmer, mais l'heure n'est pas encore à la baisse. Une bonne récolte est encore possible si le marché se détend d'ici le printemps et que l'on évite la pénurie, malgré les tensions logistiques.

Jérémy Bruno Journaliste BFMTV