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Economie

Iran, Cuba, Corée du Nord... Les sanctions économiques portent-elles parfois leurs fruits?

Alors que les sanctions économiques occidentales sans précédent commencent à asphyxier la Russie, peuvent-elles contribuer à l'issue du conflit? Par le passé, cette stratégie a rarement porté ses fruits.

Un cours du rouble qui s'effondre, une Bourse de Moscou dans l'incapacité de rouvrir, les banques russes débranchées du réseau de communication Swift, les avoirs russes gelés en Europe voire bientôt saisis, la banque centrale russe contrainte de relever son taux directeur de plus de 10 points pour endiguer une hyperinflation... Les sanctions économiques internationales contre la Russie commencent à produire leurs effets.

Mais ces sanctions économiques souvent décriées sont-elles vraiment efficaces sur le plan politique?

"La sanction est supposée créer une situation économique tellement dégradée qu’elle va conduire la population à faire pression sur les dirigeants, expliquent les chercheuses Fanny Coulomb et Sylvie Matelly dans un article de la Revue internationale et strétagique. Dans ce contexte, la plupart des études et articles sur les sanctions s’interrogent sur leur efficacité pour en conclure le plus souvent à leur inefficacité."

Selon une étude de 2012 du centre de recherche américain Watson Institute qui a analysé 56 épisodes de sanctions économiques et financière ciblées de l'ONU entre 1992 et 2012, les résultats souhaités ont été atteints dans 31% des cas. Mais cette mesure concerne essentiellement des mesures visant à empêcher certains Etats à s'engager dans des activités proscrites par le droit international. Lorsqu'il s'agit d'infléchir la politique d'un adversaire -étatique ou non- leur efficacité tomberait à 13%.

Iran: le pays enrichit de l'uranium malgré les sanctions

Embargo américain en 1980, en 1995, sanctions internationales en 2006 suivi d'un allègement en 2015 avec le pacte de Vienne avant un retour des sanctions dures en 2018... La République islamique est dans le collimateur de Washington depuis plus de 40 ans. L'Iran est un des seuls pays à avoir été écarté de la plateforme de messagerie bancaire Swift en 2012 puis en 2018 avec le retrait américain de l'accord de Vienne. Les conséquences économiques ont été réelles. Le pays aurait perdu près de la moitié de ses revenus pétroliers à l'export et 30% de son commerce extérieur selon le Carnegie Moscow Center. Mais l'objectif d'empêcher l'Iran de développer un programme nucléaire militaire n'a pas été atteint. Au contraire, le pays isolé a accéléré son programme d'enrichissement de l'uranium et a annoncé en 2021 avoir atteint le seuil de 60% d'enrichissement, plus très loin des 85% nécessaires pour produire une ogive nucléaire.

Corée du Nord: sans les sanctions, la menace pourrait être pire

Le pays le plus sanctionné du monde. Au ban de la communauté internationale depuis plus de 70 ans, la Corée du Nord est isolé du système économique mondial. La résolution 1718 de l'ONU de 2006 impose un embargo sur les armes, un gel des avoirs et une interdiction de se déplacer pour les personnes impliquées dans le programme nucléaire. La dernière résolution en date de l'ONU, la 2375 actée en 2017, est venu les renforcer avec par exemple l'interdiction d'importer du textile nord-coréen, de livrer du gaz ou du pétrole raffiné au pays. Si ces sanctions n'ont pas empêché le pays de se doter de l'arme nucléaire, il a peut-être permis de freiner son programme.

"Tous les leviers n'ont pas encore été actionnés et la lutte contre le contournement des sanctions peut être amplifiée, en particulier de la part de la Chine et de nombreux pays africains, estime Benjamin Hautecouverture, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique dans une tribune dans Le Figaro et qui jugent les sanctions efficaces. Les programmes nord-coréens sont loin d'être assez aboutis pour que le pays puisse être considéré comme une puissance nucléaire dotée d'une capacité de seconde frappe."

Autrement dit, les sanctions économiques n'ont pas empêché la Corée du Nord de se doter d'un arsenal militaire nucléaire mais ont probablement limiter son importance.

Libye: l'actuel embargo d'une "inefficacité totale"

L'actuel embargo sur les armes imposé à la Libye depuis 2011 "est d'une inefficacité totale". C'est ce qu'ont affirmé en 2021 des experts de l'ONU dans un rapport de 550 pages. Présence des mercenaires russes de Wagner, contournement de l'embargo par les soutiens de la Libye comme les Émirats arabes unis, la Jordanie, la Russie, la Syrie ou l'Égypte... Les sanctions contre la Libye n'ont pas porté leurs fruits.

Accusé de soutenir le terrorisme, la Libye a été mise au ban de la communauté internationale à partir de la fin des années 1970. Ce qui n'a pas empêché le pays de financer des attentats comme en Italie en 1985. Un durcicement des sanctions à partir de 1992 (embargo aérien total décrété par l'ONU) produira davantage d'effets. Le pays livre en 1999 deux de ses agents impliqués dans l'attentat de Lockerbie ce qui aboutit à une levée progressive des sanctions dans les années 2000. En mai 2006, le pays est enlevé de la liste américaine des Etats soutenant le terrorisme.

Mais avec la répression du printemps arabe en 2011 par le régime du colonel Kadhafi en 2011 de nouvelles sanctions sont votées par le conseil de séocurité de l'ONU. Le régime tombera quelques mois plus tard.

Cuba: 60 ans d'embargo plus tard, le régime est toujours là

C'est le 3 fevrier 1962 que le président Kennedy décrète un embargo americain sur l'ensemble du commerce avec Cuba suite au rapprochement de ce dernier avec l'Union Soviétique. Ce qui en fait le plus long embargo de l'époque contemporaine. Allégé dans les années 2000 avec notamment l'autorisation du commerce de produits alimentaires ou de médicaments, il a été de nouveau durci durant la mandature de Donald Trump.

L'embargo cubain est considéré comme un échec par les observateurs internationaux. L'objectif initial qui était la chute du régime castriste n'a pas été atteint. Les Castro (Fidel puis Raùl) ont dirigé le pays sans discontinué jusqu'en 2021.

Surtout une résolution votée en 1996 par les Etats-Unis qui visait à internationaliser l'embargo n'a pas eu l'effet escompté. La quasi-totalité des Etats votent chaque année à l'ONU la condamnation de l'embargo américain.

Afrique du Sud: l'embargo a contribué à la fin de l'apartheid

Après les émeutes de Soweto qui font 79 morts et 178 blessés en 1976, l'ONU décrète un embargo sur la vente d'armes à l'Afrique du Sud. Des sanctions durcies en 1985 et 1986 par les Etats-Unis qui interdisent les ventes d'ordinateurs, de technologies nucléaires au pays qui mène une politique d'apartheid puis l'importation d'uranium et matières premières.

Entre 1985 et 1990, la moitié des 1100 entreprises étrangères présentes en Afrique du Sud quittent le pays et le revenu moyen des habitants recule chaque année. A cela s'ajoutent des appels au boycott à l'international et l'exclusion du pays dans de nombreuses compétitions sportives (de la Fifa en 1963, des deux premières coupes du monde rugby...).

La pression internationale pousse le gouvernement à entrer en contact avec la population noire et l'apartheid est officiellement aboli en 1991. Les sanctions y ont peut-être contribué mais l'Afrique du Sud était un allié des puissances occidentales qui orchestraient les sanctions.

Quid de la Russie?

Depuis l'annexion de la Crimée en 2014, le pays de Vladimir Poutine est sous le feu de sanctions de la part des Etats-Unis et de l'UE. Principalement des interdictions de voyager pour quelques personnalités et l'exclusion de banques russes dans l'accès aux crédits européens.

Evidemment, les sanctions décidées ces derniers jours sont sans commune mesure. Si Bruno Le Maire envisage l'effondrement de l'économie russe, le pays a potentiellement de quoi tenir. Vladimir Poutine a fait en sorte de désendetter son pays ces dernières années et la Banque centrale russe dispose de 250 milliards de dollars de réserves de changes, de quoi financer 5 à 6 mois d'importations. Sans compter les revenus tirés des hydrocarbures dont le prix flambe depuis quelques jours.

Mais les sanctions contre la Russie sont d'une ampleur inédite à l'encontre d'un aussi grand pays, ce qui rend l'issue du conflit incertain.

"On explique depuis un certain temps que la véritable nouvelle arme de la politique internationale occidentale ce sont les sanctions économiques. On est là dans une conflictualité asymétrique: l'un utilisant l'instrument militaire, les autres ayant une dissuasion essentiellement fondée sur l'économie, résume dans L'Esprit Public sur France Culture Bertrand Badie professeur au Ceri de SciencePo. Est-ce que ça peut fonctionner? C'est très rare dans l'Histoire d'avoir ainsi un conflit de rationalité entre les deux acteurs protagonistes."
Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco