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Vente "à perte" du carburant: quelle est la situation ailleurs en Europe?

Le cadre législatif autour de la vente "à perte" a longtemps été disparate entre les Etats membres de l'UE avant que la directive du 11 mai 2005 puis des arrêts datant de 2013 et 2017 ne précisent la position communautaire.

La France s'apprête à faire une entorse à une interdiction vieille de 60 ans en autorisant les distributeurs à vendre leur carburant à perte. La vente à perte est une pratique commerciale qui a fait l'objet de nombreux débats à travers les pays européens et ce, depuis plusieurs décennies. A ce titre, le 11 mai 2005 constitue une date charnière puisqu'elle correspond à celle d'une directive européenne qui, dans un objectif d'harmonisation maximale, liste notamment 31 pratiques commerciales déloyales et qui sont, par principe, interdites.

Des cas belge et espagnol ont permis d'affirmer la directive

Cependant, la vente à perte ne figure pas dans cette liste, ce qui signifie qu'elle ne peut pas être interdite par une réglementation nationale de manière générale et absolue mais doit faire l'objet d'une évaluation au cas par cas. En France, elle ne pourrait être interdite par un tribunal que dans des situations où "elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qu'elle altère ou est susceptible d'altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur" si on se fie à la définition d'une pratique commerciale déloyale telle qu'inscrite dans le Code de la consommation.

Quelques années plus tard, en mars 2013, la Cour de justice de l'Union européenne, sollicitée par un tribunal de commerce belge, a jugé dans un arrêt que la fameuse directive de 2005 devait être interprétée comme s'opposant à ce qu'une disposition nationale ayant pour finalité la protection des consommateurs interdise la revente à perte de biens. La CJUE a renouvelé cette position en octobre 2017, cette fois dans le cadre d'une affaire espagnole: si l'objectif premier de l'interdiction de la revente à perte est la protection des consommateurs alors elle va à l'encontre de la directive européenne.

Une Europe longtemps divisée en deux camps sur la question

Jusqu'au début du XXIème siècle, la communauté européenne a longtemps été scindée en deux catégories d'approche de la problématique. D'une part, les pays où le principe même de la vente à perte était prohibé, sauf dérogations spécifiques (ventes liquidatives ou de produits endommagés), comme la Belgique, la France, l'Italie ou l'Espagne. En France et en Belgique, le dispositif légal circonscrit l'interdiction aux seuls "produits", les prestations de service n'étant pas concernées à moins que leur vente à perte puisse être requalifiée comme constitutive d'un acte de concurrence déloyale. En Espagne, c'était notamment une loi de 1996 relative à la protection du commerce de détail et son article 14 qui faisait référence. La législation italienne prévoyait plusieurs exceptions à cette prohibition comme les aliments frais et périssables ou encore ceux dont la date de péremption est proche.

D'autre part, l'Autriche, l'Allemagne, la Finlande, la Suède ou les Pays-Bas qui n'avaient pas de réglementation spécifique prohibant la vente à perte. Dans ces pays, seule était sanctionnée la vente à perte manifestant un abus de position dominante ou une pratique déloyale. A titre d'exemple, l'Allemagne a été un laboratoire majeur de principes d'interprétation dès la fin du XXème siècle dans le cadre de consultations de l'Office fédéral de lutte contre les cartels (BKartA). Des premières poursuites avaient ainsi été engagées contre trois groupes de supermarchés (Wal-Mart, Aldi Nord et Lidl) pour ventes à perte de produits comme le lait, le beurre, le sucre, la farine, le riz et les légumes. Le BKarta avait reconnu la responsabilité des groupes concernés, décision qui avait été confirmée en appel en 2002.

Timothée Talbi