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Carburant: Pourquoi la vente à perte est interdite en France depuis 1963

Alors que la grande distribution faisait son apparition, le législateur avait voulu protéger les petits acteurs du commerce contre une guerre des prix qu'il estimait néfaste.

Les stations-service devraient pouvoir vendre du carburant à perte à partir du mois de décembre. C'est en tout cas le souhait du gouvernement qui espère que la mesure pourra entrer en vigueur d'ici la fin de l'année et ce pour une période temporaire de six mois.

S'il y parvient ce sera une première en France depuis plus d'un demi-siècle. Car si la revente de marchandise à perte est autorisée dans l'Hexagone avec les soldes, elle est strictement encadrée et ne peut pas être réalisée tout au long de l'année.

C'est en 1963 que l'Etat a mis en place une telle restriction. La loi du 2 juillet 1963 interdit sous peine d’amende la revente d’un produit en l’état à un prix inférieur à son prix d’achat effectif en disposant que "le prix d’achat effectif est présumé être le prix porté sur la facture d’achat, majoré des taxes sur le chiffre d’affaires, des taxes spécifiques afférentes à cette revente et, le cas échéant, du prix du transport".

Plainte des fournisseurs

Pour estimer s'il y a revente à perte, il faut calculer la marge nette du vendeur. Dans la grande distribution par exemple, elle est estimée par les patrons du secteur à quelques centimes par litre de carburant. Une opération de carburant vendu à prix coûtant n'enlève donc qu'un ou deux centimes par litre, mais ne permet pas de descendre en deçà.

Pourquoi la vente à perte est-elle interdite en France? Cette loi répondait à l'époque, rappelle le Conseil Constitutionnel, à des "plaintes exprimées par les fournisseurs sur le fait que lorsqu’un distributeur pratiquait un prix trop faible, les autres soupçonnaient le fournisseur de lui avoir conféré des avantages et réclamaient une diminution du prix."

Alors que la grande distribution n'en était qu'à ses balbutiements et que le premier hypermarché n'avait ouvert que 15 jours plus tôt à Sainte-Geneviève-des-Bois, dans l'Essonne, les commerces se livraient déjà à une guerre des prix qui se traduisait par des pratiques de prix d’appel sur certains produits de marque et des demandes de compensation adressées aux fournisseurs au motif qu’ils s’estimaient victimes de pratiques discriminatoires et souhaitaient s’aligner sur le prix inférieur pratiqué par un concurrent.

Ainsi contrairement aux États-Unis ou à d’autres États européens, la France a mis en place un système dans lequel était conféré à la pratique de revente à perte un caractère illicite en soi dans le but de protéger tant les petits commerçants que les petits fournisseurs qui s'estimaient lésés par les grandes centrales d'achats de la distribution.

Doze d'économie : Carburants, six mois de vente à perte à partir de décembre - 18/09
Doze d'économie : Carburants, six mois de vente à perte à partir de décembre - 18/09
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Cette interdiction n'a jamais été levée en France et a même été renforcée dans le temps. L’article 11 de la loi du 1er juillet 1996, repris à l’article L442-2 alinéa 2 du Code de commerce, a ainsi prévu que: "Le prix d’achat effectif est le prix unitaire figurant sur la facture majoré des taxes sur le chiffre d’affaires, des taxes spécifiques afférentes à cette revente et du prix de transport".

C'est la DGCCRF qui effectue les contrôles pour vérifier que les distributeurs respectent bien la loi. En durcissant la loi, le taux infractionnel constaté par les agents n'a d'ailleurs jamais cessé de diminuer puisqu'il est passé de plus de 15% en 1986 à moins de 6% dans les années 1990 et sous les 1% depuis.

Si cette mesure tend à protéger les petits acteurs, elle a néanmoins souvent été contournée par les distributeurs avec notamment le système des marges arrières réclamées par ces derniers à leurs fournisseurs.

Et ce sont surtout les consommateurs qui en auraient pâti du fait d'une libre concurrence faussée.

"Lorsque le seuil de revente à perte est ainsi fixé à un niveau supérieur à celui qui résulterait de la concurrence entre distributeurs, ces prix s’alignent (à la hausse) sur le seuil de revente à perte et le prix à la consommation est alors, de fait, fixé par le producteur plutôt que par le libre jeu de la concurrence intramarque entre points de vente", estime le Conseil Constitutionnel.

Dans un contexte de tension sur le pouvoir d'achat, le gouvernement a donc décidé de faire une entorse (temporaire) à ce grand principe du droit commercial français.

Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco