BFM Business
Economie

"1 ou 2 centimes par litre": les marges de la distribution sont-elles vraiment si faibles sur le carburant?

Alors que les prix du carburant sont repartis à la hausse, l'association de consommateur CLCV pointe à nouveau les marges de la distribution. Un "faux débat" selon les experts du secteur.

"Nous avons fait des opérations à prix coûtant tout l’été, on va le refaire, mais quand on fait une opération prix coûtant, c’est un ou deux centimes de moins au litre". Face à la montée des prix à la pompe, Dominique Schelcher, le patron de Système U, a prévenu ce mardi ses clients. Ce n'est pas du côté des grandes surfaces qu'il faut attendre d'importants rabais.

"Ce n’est pas chez nous qu’est la clef", a-t-il insisté avant d'écarter la mise en place d'un éventuel plafonnement à 1,99 euro par litre comme le propose TotalEnergies.

Au tarif actuel, un plein de SP 95 - E10 de 50 litres coûte en moyenne 96,50 euros aux automobilistes. Si l'on en croit le patron de Système U, le même plein "à prix coûtant" serait entre 95,50 et 96 euros. Ce qui serait presque totalement invisible pour le client.

Pourtant, selon l'association de consommateurs CLCV, les marges seraient en réalité autrement plus confortables du côté de la distribution de carburant.

"Après une période où les distributeurs étaient avec de très faibles marges, voire déficitaires en 2022, il apparaît des marges brutes exceptionnellement élevées depuis le début de l’année 2023", indique-t-elle dans un communiqué.

Selon l'association, les grandes surfaces seraient focalisées sur les opérations anti-inflation dans l'alimentaire et auraient reconstitué leurs marges sur le carburant pour financer leur bataille sur les prix en magasins.

Une marge nette sous-estimée?

S'appuyant sur les données de l'Union française des industries pétrolières (Ufip), CLCV estime les marges sur le gazole et l'essence à 20 centimes par litre. Une opération "carburant à prix coûtant" ne ferait pas alors économiser entre 50 centimes et 1 euro par plein, mais plutôt 10 euros (86,50 euros le plein de SP 95 -E10), ce qui n'est plus du tout pareil.

Les marges brutes de la distribution sur le carburant selon CLCV.
Les marges brutes de la distribution sur le carburant selon CLCV. © CLCV

L'association précise bien qu'il s'agit ici de marge brute, soit la différence entre le prix hors taxes du carburant à la pompe et le prix à la sortie de la raffinerie (appelé "cotation Rotterdam").

"Il s’agit donc de la fraction du prix total qui revient au distributeur, soit sa marge brute, et non sa marge nette (ou bénéfice)", reconnaît-elle en estimant néanmoins que "les coûts concrets des distributeurs étant assez stables, un fort niveau de marge brute présume facilement d’une marge nette confortable ou franchement élevée."

Autrement dit, si CLCV ne dit pas que les marges nettes de la distribution sont de 20 centimes, elle ne croit pas pour autant aux "un à deux centimes" avancés par les distributeurs.

La réalité de la marge nette se situerait-elle entre les deux ?

Selon Mobilians, qui représente les entreprises du secteur de la distribution de carburant, ce n'est pas le cas. Selon les estimations de l'organisation, les marges nettes dans les grandes et moyennes surfaces seraient de 0,2 à 1 centime par litre, dans les stations des pétroliers comme TotalEnergies et Esso de 0,7 à 1,5 centime par litre et dans les petites stations indépendantes comprises entre 0,8 à 2 centimes.

"Les détaillants ne perçoivent qu'une petite part du prix de vente qui est principalement utilisée pour couvrir leurs coûts d'exploitation, tels que la logistique, le personnel et l'entretien des infrastructures, précise Mobilians. En tant que TPE ou PME, ces stations "traditionnelles" subissent de plein fouet ces hausses des différents coûts dans leur activité, avec une capacité de marges nettes particulièrement réduites, comme le soulignait l’Inspection Générale des Finances dans un rapport (IGF)."
Doze d’économie : Carburants, le privé à la rescousse de l'État - 13/09
Doze d’économie : Carburants, le privé à la rescousse de l'État - 13/09
4:22

Selon ce rapport, la marge serait effectivement d'environ 2 centimes au maximum par litre de carburant vendu. Mais cette enquête de l'IGF date déjà de 2012 et aucun suivi n'est réalisé sur les marges nettes qui restent à la discrétion des stations.

La grande distribution persiste

Un débat qui revient à chaque hausse de prix du carburant et qui agace la grande distribution.

"On le dit et on le répète, le carburant est un produit d’appel sur lequel on ne dégage pas de marges, expliquait en juillet dernier dans Le Figaro un porte-parole de Système U. Entre le brut et le net, il y a des taxes et des remboursements, une station-service coûte par exemple entre 300.000 et 400.000 euros".

Selon les experts du secteur, déduire une marge nette à partir d'une marge brute en cette période d'inflation serait particulièrement hasardeux. D'abord parce que les coûts ont aussi flambé pour les stations-service comme les factures d'énergie et les salaires du personnel.

D'autant, qu'outre ces hausses de dépenses, le secteur est soumis à une réglementation qui aurait des effets inflationnistes. Comme les certificats d’économie d’énergie qui impose aux fournisseurs d'énergie de financer des travaux et dont les objectifs ont été revus à la hausse. Selon les pétroliers, cette obligation qui était d'environ 4,5 centimes d'euros par litre est montée cette année à 7,5 centimes. 3 centimes de plus qui viennent grignoter la marge brute.

Autre surcoût mis en avant par les pétroliers, l'obligation d'incorporer des biocarburants dans l'essence. Ce qui en période de hausse des matières premières agricoles aurait tendance à surenchérir les prix des carburants.

Des éléments qui expliqueraient la forte hausse des coûts de raffinage, mesurés 122 euros la tonne en août dernier par CLCV contre 64 euros en juillet et seulement 25 en avril dernier.

"Dès le mois d’août, la marge de raffinage a de nouveau bondi (122 euros la tonne en août, 106 euros début septembre), estime l'association de consommateurs. Il faut comprendre qu’un tel doublement de la marge accroît le prix au litre de plus de 10 centimes."

Des marges justifiées par les pétroliers par la relative rareté du produit et la multiplication des intermédiaires pour se fournir en brut depuis que la Russie fait l'objet de sanctions.

Mais selon Mobilians, il n'y aurait pas de "loup" à chercher. La hausse des prix à la pompe a pour principale cause l'envolée des cours.

"Ces dernières semaines, en conséquence de décisions géopolitiques de la France comme de plusieurs pays producteurs, le prix du baril connaît une très forte hausse – passant de 73 dollars fin juin à plus de 90 dollars aujourd’hui, un niveau jamais atteint depuis novembre 2022, rappelle l'organisation. Cette hausse est la première raison de l’augmentation des prix du carburant, conjuguée aux coûts de raffinage, à la marge des producteurs et à la fiscalité."
Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco