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TGV: la SNCF met-elle des bâtons dans les roues de ses futurs concurrents?

Alors que le régulateur ferroviaire français pointe un retard français en matière d'ouverture à la concurrence, la compagnie Le Train, qui veut faire rouler ses trains à grande vitesse avant la fin de l'année, constate certains blocages qui retardent son plan de marche.

Où sont les concurrents de la SNCF sur le réseau à grande vitesse français? Pour le moment, seul un acteur s'est concrètement lancé depuis moins de trois mois: Trenitalia sur l'axe Paris-Lyon-Milan.

Pourtant, le monopole de la société nationale sur le transport intérieur de voyageurs a bel et bien pris fin le 13 décembre 2020 suite à la grande réforme de juin 2018 sur les lignes à grandes vitesse.

Mais il semble que cette ouverture à la concurrence est à la fois tardive, coûteuse et complexe. C'est en tout cas l'avis tranché de l'ART, le régulateur français des transports. "On est parmi les derniers à ouvrir. On est plutôt à la traîne", se désolait récemment récemment sur BFM Business, son président Bernard Roman.

Parcours semé d'embuches

Dans un rapport, l'ART épingle cette série d'obstacles concernant des volets techniques, financiers et d'accès aux informations de la SNCF dont tout nouvel entrant a besoin. Des freins qui protègeraient le monopole de l'opérateur historique.

"L'entrée sur le marché des services de transport de voyageurs à grande vitesse constitue un parcours semé de difficultés techniques au cœur du système ferroviaire français", peut-on lire dans ce rapport.

Il y a d'abord les très long process adminstratifs et techniques à mettre en place, les freins juridiques mais aussi et surtout financiers, qui ne dépendent pas forcément directement de la SNCF mais qui sont intrinsèquement liés au lancement d'un nouvel entrant.

A savoir le coût exorbitant du matériel roulant, l'acquisition de sillons ferroviaires, des systèmes de sécurité et de signalisation, du paiement des péages (ce que verse l'opérateur à SNCF Réseau pour pouvoir utiliser les voies).

Freins à la SNCF

L’implantation obligatoire d’un centre d’entretien peut également s'avérer économiquement non viable dans le cadre d’une phase de développement de nouveaux services ferroviaires.

Mais il y a aussi le coût en temps à travers les échanges indispensables entre la SNCF et le nouvel entrant qui peuvent entraîner d'importants retards. Le droit européen et le droit national prévoient en effet que les entreprises ferroviaires sont désormais responsables de la vérification de la compatibilité de leurs matériels roulants avec les itinéraires qu’elles envisagent d’emprunter sur le réseau ferroviaire.

Cela passe notamment par la fourniture de nombreuses informations techniques de la part de la SNCF au nouvel opérateur. Ce "frein potentiel a pu être évoqué par les nouveaux entrants" résume le rapport de l'ART.

Ce que ne manque pas de confirmer pour BFM Business, Alain Gétraud, directeur général de Le Train, une nouvelle compagnie qui entend faire rouler des trains à grande vitesse entre Arcachon, Bordeaux, Angoulême et Poitiers. "Oui, nous avons partagé avec l'ART ces difficultés", explique-t-il.

"C'est compliqué"

"Effectivement, c'est compliqué de pénétrer le marché pour plusieurs raisons. Avec SNCF Réseau (plan de transport, sillons, sécurité... NDLR) nous avons de bonnes relations, le travail a été fluide même si cela demande à être rôdé car les questions sont complexes", explique le dirigeant.

"Le sujet, c'est plutôt la SNCF. Sur la question de la maintenance des rames, on souhaite travailler avec eux. C'est possible sur le papier mais pour trouver le bon centre, c'est très long. Or, c'est très important pour être opérable. On pourrait le faire nous-même, on a la volonté d'investir mais on le fera plus tard car c'est extrêmement coûteux", se désole Alain Gétraud.

Même problème avec le matériel roulant. Le Train souhaite louer du matériel mais aussi acquérir du matériel d'occasion (dit 'réformé', qui ne circule plus) auprès d'opérateurs historiques comme la SNCF.

"L'idée est de pouvoir aller vite car c'est du matériel disponible, homologué et prêt. On peut rapidement l'adapter. Cela correspond à notre modèle. On est dans une logique de développement durable puisqu'on évite de fabriquer des rames neuves. C'est cohérent avec les objectifs de transition écologique de la SNCF et de l'Etat", souligne le dirigeant.

Une pratique éloignée des discours?

"Pour se faire, nous nous sommes tournés vers la SNCF, on pousse ce scénario, on négocie mais ça n'avance pas vite, en tout cas bien moins vite que ce qu'on pensait. Franchement, on le regrette fortement", regrette Alain Gétraud.

Concrètement, le dirigeant estime que son interlocuteur ne donne pas toutes les informations pour "identifier le matériel roulant réformé, bloque la traçabilité de l'entretien des rames en question", sans oublier la complexité "de la mise en place du contrat".

Pourquoi ces blocages? "Craignent-ils de retrouver ce matériel en concurrence frontale avec le leur? Il y a pourtant bien une volonté politique de réutilisation du matériel existant. Reste que temps est long à la SNCF et on ne comprend pas pourquoi. Surtout que notre modèle ne vise justement pas à être en concurrence directe avec les TGV", ajoute amer le responsable.

"Difficile à avaler"

"C'est difficile à avaler pour nous surtout quand on entend les appels de Jean-Pierre Farandou (le PDG de la SNCF, NDLR) pour la planète et l'usage du train. Il faut être logique, il faut aller jusqu'au bout pour nous permettre de générer de la mobilité bas carbone avec du matériel qui n'est plus utilisé. Du coup, on finit par avoir des doutes et on risque de se tourner vers du matériel neuf plus cher, plus carboné, car ce retard nous fait prendre beaucoup trop de risques" poursuit Alain Gétraud.

Il faut aussi bien comprendre que les rames (une fois qu'elles seront adaptées par l'opérateur) seront l'incarnation de cette nouvelle compagnie ferroviaire, la signature de sa différenciation. "On ne peut pas se louper. On travaille beaucoup sur ça, et que ce soit du matériel neuf ou d'occasion, ça ne change pas grand-chose". Reste que l'opérateur ne dispose toujours pas de ces rames.

"Mais si on n'arrive pas à une solution rapide avec la SNCF, on sera amené à décaler notre planning d'au moins six mois", s'inquiète le PDG. Rappelons que Le Train a programmé le lancement de son offre de trains à grande vitesse régionaux en décembre prochain.

Olivier Chicheportiche Journaliste BFM Business