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Comment la nouvelle compagnie Le Train compte lancer son TGV régional en France

Image d'illustration - Des trains de plusieurs compagnies arrêtés en gare.

Image d'illustration - Des trains de plusieurs compagnies arrêtés en gare. - THOMAS COEX / AFP

Cette nouvelle compagnie affiche ses ambitions pour une desserte interrégionale rapide en 2023 là où la SNCF est absente. Rencontre avec son dirigeant.

Si le monopole de la SNCF sur le transport intérieur de voyageurs a bel et bien pris fin le 13 décembre dernier sur les lignes à grande vitesse, pour le moment, aucun concurrent de la société nationale n'y fait circuler ses trains.

Les choses devraient néanmoins bouger avec l'arrivée prochaine de l'italien Thello et de l'espagnol Renfe sur l'axe Paris-Lyon-Milan pour le premier et Lyon-Marseille pour le second.

Mais il faudra peut-être compter avec un acteur local, un petit-poucet qui affiche ses ambitions: Le Train. Cet opérateur inconnu a créé la surprise en annonçant en avril dernier son intention d'entrer dans ce marché et de faire rouler des rames à grande vitesse dès décembre 2022 en Nouvelle Aquitaine, principalement entre Arcachon, Bordeaux, Angoulême et Poitiers.

Le logo de la nouvelle compagnie ferroviaire Le Train
Le logo de la nouvelle compagnie ferroviaire Le Train © Le Train

Projet bien avancé

Une annonce qui a créé la surprise, voire le scepticisme et beaucoup d'interrogations. Comment un nouveau venu, inconnu du monde ferroviaire, pourrait-il se jeter dans le grand et très coûteux bain du marché de la grande vitesse, aux côtés de géants européens comme Thello et Renfe? Avec quels moyens?

Reste que le projet n'a rien d'une plaisanterie, il est même plutôt bien avancé, comme nous le confirme Alain Gétraud, directeur général d'Aptitude Experts et de la société Le Train, et accessoirement ingénieur et ancien directeur des Grands projets à SNCF Réseaux où il a travaillé pendant 15 ans.

"Nous discutons avec le régulateur (l'ART) depuis un an et aujourd'hui, nous sommes déclarés en terme d'intention de trafic. Nous sommes en train d'obtenir notre certificat de sécurité auprès de l'établissement public de la sécurité ferroviaire après un long travail. Mais on connaît cette question, on a les experts. La dernière étape sera d'obtenir la licence auprès du ministère, ce qui devrait être fait avant la fin de l'année", explique Alain Gétraud à BFM Business.
Alain Gétraud, DG d'Aptitude Experts et de la société Le Train
Alain Gétraud, DG d'Aptitude Experts et de la société Le Train © Le Train

Objectif: lever 100 millions d'euros

Côté financement, les choses avancent également. "Ce n'est pas l'affaire de quelques entrepreneurs", s'attache à expliquer l'ingénieur. "Nous sommes en train de réunir partenaires, banques, fonds d'investissement dans les infrastructures, des entrepreneurs, des acteurs locaux, des acteurs institutionnels qui croient au projet. Nous sommes en pleine discussion et étude des dossiers pour un premier tour de table. Nous sommes très optimistes". Globalement, l'entreprise souhaite à terme lever "100 millions d'euros", poursuit le dirigeant.

Cette histoire, c'est le résultat de plusieurs années de travail préparatoire et d'une rencontre avec un entrepreneur de travaux publics charentais, Tony Bonifaci. Ce dernier enrageait de voir la ligne à grande vitesse Paris-Bordeaux si peu exploitée par la SNCF.

"La LGV est un superbe outil, mais il est sous-utilisé sur la desserte fine du territoire. La SNCF se concentre sur Bordeaux ce qui a entraîné une grande frustration dans les territoires", explique Alain Getraud, qu'il s'agisse des populations, des élus, des travailleurs et des patrons. Par exemple, très peu de TGV marquent l'arrêt à Angoulême et seulement 80 trains circulent chaque jour sur cette ligne alors qu'elle peut en accueillir 132.

Frustration des territoires

Pour Tony Bonifaci, il y avait donc une carte à jouer, une opportunité à saisir pour un acteur local de transport. La rencontre entre les deux hommes débouche alors sur une étude de faisabilité technique en 2019 et sur une évaluation économique financées par l'entrepreneur.

"En mars 2020, en plein covid, les études montrent tout le potentiel du projet. Ces signaux forts nous ont incité à investir, à nous lancer et à lancer une nouvelle étude sur la sensibilité de la population qui confirme une nouvelle fois notre intuition et qui va même au-delà de nos attentes", explique Alain Gétraud.

Entre temps, la société Le Train est créée et entre dans le processus complexe d'ouverture à la concurrence, mais facilité par l'expertise de l'ancien de SNCF Réseau. L'entité accompagne d'ailleurs le candidat (comme tout autre acteur qui souhaite adresser le marché ouvert) pour la réservation des faisceaux "avec une démarche bienveillante puisque son objectif est l'occupation de son réseau", ajoute le dirigeant.

Objectif: 3 millions de passagers par an

Le projet se concrétise: proposer une offre dense de trains, "une cinquantaine par jour" sur l'axe Angoulême-Bordeaux "car l'enjeu, c'est la fréquence" dans une démarche "inter et intra-régionale", des correspondances à Bordeaux et vers la côte pour le week-end avec l'objectif de faire voyager 3 millions de personnes par an.

"Le coût de circulation est élevé donc le remplissage des trains est stratégique mais on est assez confiant. On jouera la carte du tarif, mais pas seulement, il faut être bon dans le service, la connectivité à bord, la relation client, l'innovation. On joue plus la carte de l'opportunité de voyage que le prix", ajoute Alain Getraud.

Par ailleurs, Le Train veut mettre en avant son aspect écologique dans un contexte de prise de conscience généralisée et d'engouement pour ce moyen de transport propre. "On propose un déplacement de masse sans beaucoup d'énergie, le recyclage du matériel, une infrastructure déjà utilisée, un TGV qui est un super véhicule bas carbone, donc c'est le moment", poursuit le patron du Train.

Mais la vraie valeur ajoutée, c'est la vitesse avec 34 minutes pour relier Angoulême à Bordeaux. Encore faut-il des rames, or elles sont loin d'être données. La compagnie envisage d'utiliser dans un premier temps "un peu moins de 10 rames" à grande vitesse de 350 places (ce qui correspond plus ou moins à la capacité des rames à un niveau d'origine de la SNCF).

Par quel biais? "On peut aller chez Alstom et commander du neuf. C'est compliqué et long même si c'est une éventualité pour plus tard... L'idée pour le moment est de se tourner vers du matériel d'occasion remis à neuf. C'est moins cher et ce matériel n'est pas du tout en fin de vie car il a été régulièrement révisé. Cela pourra passer par un modèle en location ou l'achat, on étudie les deux hypothèses", poursuit-il.

La Renfe lorgne le Sud-Ouest

Si tout se passe comme prévu que le covid ne bouleverse pas les plans, la jeune compagnie est convaincue de tenir son calendrier, à savoir se lancer en décembre 2022. Mais Le Train ne sera peut-être pas seul sur son créneau. "La Renfe lorgne l'Atlantique", note Alain Gétraud assurant qu'il ne fera "pas de cadeaux" à la concurrence étrangère.

Quant à Voyages SNCF, "on est sur un marché de complémentarité et on discute avec eux sur des enjeux de correspondance. Chacun fera son chemin, les relations sont pour le moment cordiales", poursuit-il.

Mais le transporteur national a prévenu: toute offre concurrentielle donnera lieu à une réponse forte. "Bien sûr qu'ils défendront leurs positions, mais on verra", souffle l'ingénieur.

Olivier Chicheportiche Journaliste BFM Business