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Eurostar: pourquoi les pannes tournent au chaos

Jeudi, 700 passagers d'un train reliant Londres à Amsterdam se sont retrouvés bloqués pendant plusieurs heures. Les pannes sur ce réseau ont souvent de très lourdes conséquences. Explications.

Nouvelle journée de cauchemar pour les passagers Eurostar ce jeudi. Le train de 8h16 entre Londres et Amsterdam est tombé en panne à peine quarante minutes après son départ.

La rame et ses 700 passagers s'est retrouvée bloquée à l'entrée du tunnel sous la Manche en raison de la chute d'un câble qui a privé le train de courant. Après plus de sept heures de panne, les passagers ont fini par manquer d'électricité, de nourriture et de toilettes en état de marche.

Le train n'a finalement rejoint la capitale britannique qu'en fin de journée, une panne qui a provoqué des retards importants en cascade voire des annulations depuis toutes les gares de départ du réseau (Paris, Bruxelles, Amsterdam et Londres).

Yann Leriche, directeur général de Getlink - 23/02
Yann Leriche, directeur général de Getlink - 23/02
7:43

Eurostar qui est une filiale de la SNCF a donné quelques éléments d'explication pour justifier le délai d'intervention.

"À la suite d'une situation compliquée due à la position du train et à l'infrastructure de la voie, certaines procédures de sécurité ont dû être respectées avant que nous puissions déplacer le train."

Problème, force est de constater que les incidents sur Eurostar sont récurrents et surtout très longs à résoudre.

De nombreuses pannes massives

Pas plus tard que le 22 novembre, une intrusion sur le quai à la gare du Nord de Paris a provoqué de nombreux retards.

En juin 2018, la circulation a été totalement interrompue pendant plusieurs heures et dans les deux sens, en raison d'une panne électrique. 

En août 2022, 400 passagers ont été bloqués plusieurs heures sous la Manche à cause d'une panne avant d'être évacués par le tunnel de service.

Mais ce n'est rien par rapport au chaos de 2009, lorsque cinq rames sont tombées en panne à cause du froid et de la neige: 2.400 voyageurs se sont retrouvés coincés dans le tunnel. Ils seront finalement évacués, après avoir passé pour certains plus de 13 heures dans leur train. Le trafic avait alors été interrompu pendant 4 jours, une première.

Fin 2022, les mêmes causes avaient provoqué à peu près les mêmes effets: plus de 2.000 passagers de plusieurs trains ont été bloqués dans le tunnel à cause de la vague de froid. Pendant trois jours, le trafic a été interrompu.

Pourquoi un tel chaos lorsqu'il y a des pannes?

Manque d'effectifs et problème de matériel?

Lors des grandes pannes hivernales de 2009 et 2022, les syndicats représentatifs chez Eurotunnel n'ont pas manqué de souligner le manque chronique de personnel et de moyens de maintenance, ce qui a des effets mécaniques sur l'efficacité des trains en circulation.

On se demande comment la neige et le froid ont pu provoquer de tels dysfonctionnements en 2009 et en 2022. "Leur explication ne peut reposer sur quelques flocons de neige et des variations de températures alors que nous en avons une grande expérience", s'étonnait ainsi la CGT-Cheminots.

Faux, rétorquait Eurostar qui mettait en avant des conditions météo particulières, notamment "une neige poudreuse exceptionnellement fine", qui s'est "accumulée dans les compartiments moteur", et "s'est condensée brutalement lors de l'entrée dans le tunnel", où il fait plus chaud, bloquant ainsi les systèmes de ventilation.

Dans le tunnel, difficile d'évacuer les passagers

Lorsqu'un train se retrouve bloqué dans le tunnel, compte tenu de la configuration spécifique du lieu, les délais pour qu'un train de secours puisse venir sont bien plus longs que sur le réseau classique.

Et lorsqu'il est impossible de faire venir un train de secours (ou une navette Getlink), l'évacuation des passagers doit se faire à pied à travers le tunnel de service, ce qui peut prendre plusieurs heures.

De la friture entre Getlink et Eurostar

Getlink (ex-Eurotunnel) est le propriétaire et le gestionnaire du tunnel sous la Manche tandis qu'Eurostar est un opérateur ferroviaire qui exploite la ligne contre le paiement d'une redevance. En cas d'incident, la communication entre les deux entités est primordiale.

Or, ça n'est pas toujours le cas. Lors de la panne de 2009, Getlink a fortement critiqué les erreurs de procédure d'Eurostar.

Dans un communiqué, le gestionnaire pointait ainsi des délais "d'évacuation (qui) ont été allongés parce que les équipages de la compagnie ferroviaire, en totale violation avec les procédures de secours, ont demandé aux passagers de prendre leurs bagages avec eux".

Getlink dénonçait également le manque d'informations fournies aux passagers, une critique récurrente des voyageurs en cas d'incident.

"Bien qu'en relation continue avec nos équipes, il est évident que les équipages d'Eurostar n'ont visiblement pas relayé les informations utiles aux passagers", assénait alors Getlink.

Et visiblement, le canal de communication semble encore perturbé puisque les voyageurs du train en panne ce jeudi ont critiqué le même manque d'informations.

"Je pense que le personnel est lui-même très stressé, et je ne pense pas qu'il soit très bien informé", se plaignait ainsi hier une passagère de ce train à la BBC. "On a vraiment l'impression d'être dans une situation d'urgence, mais il n'y a aucune communication de la part du personnel".

Après ce genre de pannes importantes, les deux entités ne cessent de se renvoyer la responsabilité des causes et des conséquences. On fait mieux pour avancer.

Une sécurité particulière et renforcée

Le réseau Eurotunnel est spécifique et sensible car il couvre plusieurs pays et est soumis à des impératifs forts de sécurité, notamment avec la Grande-Bretagne qui, rappelons-le, ne fait plus partie de l'Union européenne. Sans oublier le risque terroriste qui a renforcé encore ces mesures.

Lorsqu'un incident se produit en gare ou à proximité, ou aux abords du tunnel dans ce que Eurostar appelle les "zones stériles", les procédures de sécurité sont nombreuses et strictes. L'opérateur doit par exemple inspecter tous les trains avant d'autoriser les départs.

Plus de trains donc plus d'incidents?

Getlink a investi massivement et a mené d'importants travaux afin de pouvoir faire passer plus de trains dans le tunnel. Plusieurs acteurs se sont déjà positionnés et bientôt, le monopole d'Eurostar dans le trafic passagers, sera contesté.

Mais multiplier les trains, c'est multiplier les risques. La question de la maintenance et de la fiabilité de ces nouveaux acteurs qui s'inscrivent dans un réseau par définition particulier, sera donc essentielle.

Olivier Chicheportiche Journaliste BFM Business