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Commissionnement des contrôleurs: la SNCF assume mais évoque une prime "marginale"

Les chefs de bord touchent depuis toujours une petite partie des amendes infligées aux voyageurs en infraction. La compagnie met en avant les 200 millions d'euros de manque à gagner par an mais souligne qu'elle ne fixe pas d'objectifs chiffrés.

Les affaires de clients de la SNCF sanctionnés par des contrôleurs zélés, pour la moindre faute, parfois de manière injuste, font souvent la "une" des médias. Cette propension à multiplier les amendes est-elle motivée par l'appât du gain?

En effet, les chefs de bord touchent une petite partie des amendes infligées aux voyageurs pris en faute. D'autant plus si l'amende est payée immédiatement. Si la pratique est connue, Le Parisien a pu consulter un document interne détaillant les commissions perçues.

SNCF : l'amende de la honte – 06/03
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Elles varient de 4% du montant de l'infraction, si le voyageur se signale lui même avant le contrôle, à 10% si le PV est dressé lors d'un contrôle.

De 4 à 10% de l'amende infligée

Des chiffres confirmés à BFM Business par une source à la SNCF, ancien contrôleur: "4% pour une transaction tarifaire simple (ex: vente d'un billet), 10% pour une transaction dite complexe (Traversée de voie, pieds sur les sièges, fraude caractérisée)".

Et de rappeler que l'intitulé exact du chef de bord est Agent commercial service train, "partant de là, il est courant, voire systématique qu'un commercial soit commissionné".

De quoi inciter certains chefs de bord à chercher la petite bête, à multiplier les amendes et à agir comme des "cow boys inflexibles", le doigt sur la gâchette, comme le racontait ce voyageur sanctionné pour avoir échangé sa place dans un TGV pour rendre service?

"Dire qu'ils font du zèle je trouve cela gros", estime notre source. "Dire que certains sont plus scrupuleux que d'autres, plus à cheval sur la réglementation que d'autres est vrai. Certains aiment 'chasser' la grosse fraude qui fait perdre de l'argent à l'entreprise et découvrent régulièrement de nouvelles formes de fraude, d'autres sont plus souples et moins regardants, souvent suite au ras le bol du climat social et font le minimum syndical en flashant du billet sans trop se prendre la tête. La norme serait lors du contrôle: 1 billet flashé = 1 carte d'identité vérifiée", estime-t-il.

De son côté, SNCF Voyageurs confirme et assume ce mécanisme "qui existe depuis toujours".

"La lutte contre la fraude est une priorité pour SNCF Voyageurs et pour nos autorités organisatrices. La fraude représente 200 millions d'euros de manque à gagner par an pour SNCF Voyageurs et pour nos autorités organisatrices, l'équivalent de 25 TER neufs. Ce manque à gagner concerne aux trois quarts les trains du quotidien", explique à BFM Business un porte-parole de la compagnie.

"Pas assez motivant pour se prendre des coups"

"Comme pour toute priorité, il y est naturel qu'il y ait des incitations pour les salariés et les équipes à atteindre nos objectifs, comme c'est le cas pour la régularité de nos trains. Ce type d’incitations existent dans toutes les entreprises et tous les secteurs où des agents doivent lutter contre la fraude: transports urbains, stationnement, etc", poursuit-il.

Par contre, l'opérateur estime que la "prime de perception" qui englobe les commissions perçues sur le mois (à partir de 30 euros) est "marginale". Manière de dire qu'il n'y pas de course à l'échalote de la part des contrôleurs.

Ces commissions "représentent une part marginale de la rémunération d'un chef bord, quelques dizaines d'euros par mois pour un chef de bord TGV ou TER", souligne le porte-parole.

Une affirmation confirmée par un autre ancien contrôleur, contacté par BFM Business. "Je ne pense pas que ce soit les primes liées aux régularisations qui poussent à faire du zèle. Lorsque j'étais contrôleur TER cela représentait environ 30 euros par mois et c'est pas assez motivant pour se prendre des coups".

SNCF Voyageurs insiste: "contrairement à ce qui est laissé penser, il n’y a aucun objectif de nombre ou de taux d’amendes par équipe ou contrôleur. Il y a des objectifs de nombre de contrôles (s’assurer par exemple que la moitié d’un train a bien été contrôlée) bien évidemment pour s’assurer de notre politique de lutte anti-fraude mais ce n’est pas la même chose et ça n’a rien à voir".

La SNCF dit ne pas imposer d'objectifs en nombre d'amendes

La compagnie réfute tout excès de zèle. "Ils doivent tenir le bon équilibre entre rigueur dans la lutte contre la fraude et écoute du client pour s'adapter avec bon sens à la situation de chacun. Nous leur faisons toute confiance pour faire respecter les règles avec discernement".

Une confiance qu'Alain Krakovitch, le directeur de TGV Intercités, a exprimé ce mercredi dans un post sur X (ex-Twitter). "[Les contrôleurs] font un travail de discernement difficile pour distinguer les personnes de bonne foi...ou non. Et non, la direction n'incite pas à mettre des amendes. Les seuls objectifs fixés concernent le nombre de contrôles", a rappelé Alain Krakovitch.

"Sur les TGV, le taux de fraude est devenu marginal avec la mise en place des contrôles à l'embarquement. Il y a en moyenne 4 régularisations pour 1.000 passagers à bord d'un TGV. Le nombre de PV a été divisé par plus de 2 par rapport à il y 8 ans en 2017 avant le début du déploiement des portiques d'embarquement à quai", explique le porte-parole de SNCF Voyageurs.

Tout dépend des contrôleurs et des types de trains en réalité. Dans les TER, et notamment dans le Transilien (Ile-de-France), le taux de fraude est bien plus élevé que la moyenne (7 à 9%). D'autant plus que, contrairement aux TGV, dans ces trains, le contrôle des billets est leur principale mission.

"Cette part peut être plus importante pour les quelques équipes quasiment dédiées à la lutte anti-fraude, par exemple sur le réseau lle-de-France", poursuit le porte-parole de SNCF Voyageurs.

"Il existe des brigades de contrôle dont les objectifs sont quantitatifs. Certains peuvent atteindre des pourcentages plus important en multipliant les opérations et ces brigades ne sont pas réputées pour leur mansuétude", confirme l'ancien contrôleur.

Olivier Chicheportiche Journaliste BFM Business