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À l'arrêt pour (au moins) trois mois: que se passe-t-il dans le métro B de Rennes?

La nouvelle ligne de métro automatique de la ville bretonne enchaîne les pannes et sera à nouveau fermée plusieurs mois. De quoi susciter la colère des utilisateurs et de la mairie tandis que les tensions se multiplient entre l'exploitant (Keolis) et le constructeur (Siemens).

"C'est galère", "mon temps de trajet est multiplié par trois, voire par quatre, j'en ai vraiment ras-le-bol". Ces deux utilisatrices de la ligne B du métro de Rennes citées par l'AFP résument le sentiment général depuis l'annonce de la seconde fermeture pour plusieurs mois de la ligne inaugurée il y a moins d'un an et demi.

Cette ligne qui court sur 13 kilomètres d'est en ouest, desservant de nouveaux quartiers d'affaires de la citée bretonne, est cruciale car elle transporte 100.000 voyageurs par jour en moyenne et doit accompagner le développement démographique de la ville. Elle a remplacé une ligne de bus très chargée mais fait surtout parler d'elle pour ses pannes.

Marie-Ange Debon, présidente du directoire du Groupe Keolis - 02/05
Marie-Ange Debon, présidente du directoire du Groupe Keolis - 02/05
21:47

Mi-novembre 2023, une première panne de plusieurs semaines due à un incendie dans un poste d'alimentation électrique (dont la cause reste toujours indéterminée) a mis les nerfs des usagers à rude épreuve.

Interruption pour "un trimestre"

En décembre, c'est le soulagement après la réouverture de la ligne. Un soulagement de bien courte durée puisqu'un incident le 3 janvier provoque une nouvelle mise à l'arrêt totale des rames. Une pièce mécanique située sur un bogie, le chariot sur lequel sont fixés les essieux et qui assure l'interface entre la rame et la voie, a cassé.

La pièce défectueuse sera remplacée sur les 100 bogies qui équipent les 25 rames du métro B, ce qui "nécessitera des opérations longues", explique Stéphane Bayon de Noyer, directeur de projets des métros légers de Siemens Mobility, lors d'une conférence de presse à Rennes ce mardi relatée par Ouest-France.

Selon Le Télégramme, le desserrage d’un écrou serait à l’origine de ces incidents.

Selon un arrêté préfectoral, "l’événement du 3 janvier 2024 nécessite des investigations et des reprises potentielles de conception des matériels roulant vis-à-vis des fixations des pivots de guidage des essieux".

"C'est toute l'architecture du réseau de transport qui est impactée", a reconnu lors de la même conférence Nathalie Appéré, la présidente socialiste de Rennes métropole, dont le schéma de transports est conçu autour des deux lignes de métro.

"Personne ne peut garantir aujourd'hui la date de reprise précise", poursuit-elle, mais l'interruption du trafic sera "de l'ordre du trimestre".
La ligne B du métro de Rennes, le 19 septembre 2022
La ligne B du métro de Rennes, le 19 septembre 2022 © Damien MEYER

La polémique, apparue lors de la première panne, prend donc aujourd'hui une nouvelle dimension. Le choix technologique fait par la municipalité est contesté.

Un métro trop innovant?

Rennes a en effet choisi en 2010 une technologie entièrement inédite. Le Cityval automatique de Siemens Mobility ne circule pas sur deux rails comme la plupart des métros: équipé de pneus, il roule sur une piste en béton et est guidé par un rail central qui le maintient toujours dans sa trajectoire.

Innovant, compact, sobre en énergie, ce Cityval n'avait néanmoins jamais été testé auparavant sur des lignes de métros. Pour autant, même si ce choix a été fait avant l'arrivée de Nathalie Appéré, cette dernière estime que ce choix a été le bon.

"Nous referions exactement les mêmes choix" si c'était à refaire, a-t-elle assuré, mettant en avant la fiabilité et le succès du métro B pendant ses quatorze premiers mois de mise en service.

"Sur des systèmes aussi complexes, la mise au point prend du temps, on est encore dans ce temps de la mise au point", a-t-elle estimé.

Un argumentaire qui ne convainc ni les oppositions politiques (qui dénoncent un métro bancal à un milliard d'euros), ni les associations d'usagers.

Tensions entre Siemens et Keolis

Évidemment, les relations entre les deux parties prenantes, à savoir Siemens Mobility, le constructeur, et Keolis, l'exploitant, se tendent de plus en plus. Sollicité par BFM Business, le géant allemand refuse de communiquer renvoyant à la conférence de presse tenue ce mardi.

"Nous sommes sur un système complexe et sur la vie d’un métro de 40 ans, c'est le genre de désagréments que l’on peut rencontrer", a souligné Stéphane Bayon, le responsable des métros légers de Siemens Mobility. Sans donner plus de détails techniques.

Pour Keolis, l'heure est au contentieux et le géant des transports publics entend faire jouer les assurances pour obtenir des pénalités.

"Sur le volet assurantiel, les relations sont tendues", confirme pour BFM Business Ronan Kerloc'h, directeur général de Keolis Rennes. "Il s'agit de couvrir les pertes d'exploitation, les coûts des réparations." Pour quel montant? "Les experts n'ont pas encore rendu leur rapport", poursuit le responsable.

Néanmoins, sur le plan opérationnel, Ronan Kerloc'h assure que Keolis et Siemens travaillent main dans la main pour un retour rapide à la normale. "Nous sommes sur le pont pour que cela redémarre. On travaille ensemble, il n'y a pas de sujet. Les équipes de Siemens sont chez nous depuis le début du projet et ça se passe très bien avec eux."

Redémarrage total ou rien

D'ailleurs, Keolis ne remet pas en cause le choix technologique qui a été fait. "C'est le choix de la Métropole mais c'est un bon choix. La ligne B, c'est le métro d'aujourd'hui et pour 40 ans. Opter pour une technologie ancienne n'aurait pas été le bon choix. On est dans la modernité qui n'a rien à voir avec la ligne A. C'est aussi un choix financier: les coûts d'exploitation sont moins importants, tout comme la consommation d'électricité", souligne Ronan Kerloc'h. Mais quand on interroge le dirigeant sur le calendrier, la réponse est encore nuancée.

"Une reprise d'ici trois mois, oui j'y crois pour l'instant mais on n'a pas une visibilité complète. Le principal problème est que la pièce mécanique en cause n'est pas standard, il faudra les fabriquer et ensuite les monter puis réaliser des tests."

D'autant plus qu'un redémarrage progressif ou en mode dégradé n'est pas vraiment possible. "On va regarder ce scénario mais c'est très complexe car on a besoin de l'ensemble du parc en exploitation (25 rames). Et si on réduit le parcours de la ligne, on devra maintenir le bus relais", explique Ronan Kerloc'h.

Des usagers à bout de nerfs

En attendant la résolution du problème, Keolis a du mettre en place des bus de remplacement. Mais ils ne parviennent pas à absorber le trafic observé sur la ligne B et suscitent la grogne des usagers, tout comme des conducteurs qui face à des conditions de travail dégradées s'étaient mis en grève une journée lors de la première panne.

L'exploitant a bien reçu le message. "On avance, le nouveau schéma directeur est en place, on va raccourcir la ligne relais afin de proposer plus de fréquence pour qu'elle soit plus efficace. On va redéployer des bus sur les extrémités de la ligne qui étaient desservies par le métro. Ça va prendre encore un peu de temps, notamment pour adapter les systèmes et l'information voyageur", indique Ronan Kerloc'h.

Et ce n'est pas la proposition de remboursement de 50% du prix des abonnements mise sur la table par l'exploitant Keolis qui va calmer les esprits. "Ce qui intéresse les usagers, ce n'est pas un remboursement, mais une ligne fiable", gronde auprès de l'AFP, Isabelle Le Roux-Meunier, présidente de l'association des usagers des transports Autiv.

Du côté des conducteurs, "oui il y a de la grogne mais beaucoup de solidarité également malgré la surcharge. On a signé un accord avec le syndicat majoritaire pour éviter une nouvelle grève et nous avons versé une prime de 150 euros", signale Ronan Kerloc'h. Autant de points qui alourdiront les facture pour Keolis.

Olivier Chicheportiche Journaliste BFM Business