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TOUT COMPRENDRE – Augmenter le smic, une fausse bonne idée?

En pleine flambée de l'inflation, le pouvoir d'achat reste la préoccupation majeure des Français. Et le salaire minimum sera l'un des enjeux de l'élection.

C'est un mouvement de fond en Europe. Ces derniers mois, une bonne partie des pays du vieux continent ont décidé d'augmenter leurs salaires minimums. Derniers en date: l'Allemagne qui le portera à 12 euros dès le 1er octobre prochain. Et l'Espagne où le gouvernement a décidé de franchir cette année le cap des 1000 euros bruts mensuels (sur quatorze mois). En France, où le Smic s'établit depuis le 1er janvier à 10,57 euros de l'heure (1269 euros net par mois), le sujet figure parmi les enjeux de la campagne présidentielle.

• Combien de Français sont payés au Smic?

Selon une étude de la Dares, 2,04 millions de Français étaient payés au Smic au 1er janvier 2021, soit 12% de l'ensemble des salariés du privé. Depuis deux ans, leur nombre baisse donc après avoir fortement augmenté en 2019. ces évolutions à la hausse ou à la baisse dépendent notamment des accords de branche: un accord peut ainsi imposer des salaires minimums conventionnels un peu au-dessus du Smic, faisant sortir les salariés de la nomenclature. De la même façon, une revalorisation du smic peut rattraper le minimum des accords de branche et faire mécaniquement gonfler le nombre de smicards.

Mais les salariés qui touchent moins de 1,3 Smic sont nettement plus nombreux: 7,6 millions d'hommes et de femmes soit uun tiers des actifs, selon France Stratégie.

• Où se situe le Smic français par rapport aux autres pays européens?

Le Smic français est plutôt dans le groupe de tête, selon les chiffres d'Eurostat. Exprimés en Standard de pouvoir d'achat (un indicateur qui permet d'aligner les pays aux économies différentes), l'Hexagone se place à la 5ème place européenne derrière le Luxembourg, l'Allemagne, les Pays-Bas et la Belgique.

Si on tient compte du salaire médian, la France propose même le meilleur Smic (66% du salaire brut médian) d'Europe devant le Portugal (64 %), la Slovénie (62 %) et la Roumanie (61 %).

• Quelles sont les propositions des candidats à la présidentielle?

Sans surprise, la gauche plaide d'une seule voix pour une revalorisation du Smic. Jean-Luc Mélenchon, Yannick Jadot et Christiane Taubira souhaitent le porter à 1400 euros net (+10%) tandis qu'Anne Hidalgo prévoit une augmentation de 15% (1460 euros net). De son côté, le candidat communiste Fabien Roussel propose un Smic à 1500 euros net. Philippe Poutou (NPA) propose un salaire minimum à 1800 euros et Nathalie Arthaud à 2000 euros net.

A droite, Valérie Pécresse n'a pas évoqué une hausse directe du Smic mais souhaitait "augmenter dans les cinq ans les salaires nets inférieurs à 2,2 smic de 10%". L'idée est de lancer une "conférence sur les salaires" pour espérer un geste des entreprises.

De son côté, Nicolas Dupont-Aignan souhaite augmenter le montant du smic net de 8% tandis que Marine Le Pen préfère une baisse des charges patronales pour inciter à augmenter les salaires. Enfin, Eric Zemmour entend augmenter de 105 euros le smic net pour le rapprocher du smic brut.

• Pourquoi la hausse du smic fait débat?

Pour les promoteurs de la hausse du Smic, l'enjeu va au-delà du salaire minimum. En réalité, ce dernier pousse mécaniquement vers le haut les salaires les plus faibles même si la plupart des études reconnaissent que cet effet reste relativement limité. En ces temps d'inflation (et même si le smic est mécaniquement revalorisé au 1er janvier), un véritable coup de pouce serait évidemment une bonne nouvelle pour les travailleurs précaires. Et c'est aussi une manière d'augmenter la consommation et donc de stimuler l'activité.

Mais pour les entreprises, cela se traduit mécaniquement une hausse des charges et donc une mauvaise nouvelle. Pour autant, elles bénéficient d'une large réduction des cotisations et contributions patronales sur les rémunérations inférieures à 1,6 Smic par an.

Au-delà du coût pour les entreprises, l'augmentation du smic reste un levier controversé. Pour ses contempteurs, le smic et les exonérations jusqu'à 1,6 smic qui l'accompagnent sont une trappe à pauvreté puisque l'employeur a tout intérêt à maintenir les salaires dans cette fourchette pour éviter de payer des charges.

Pour aider les plus modestes sans toucher au smic, une prime d'activité est versée mensuellement depuis 2015 aux ménages actifs (et non aux personnes) dont le cumul salarial ne dépasse pas un certain niveau.

"La très grande majorité des 'smicards' ne vit pas dans des ménages pauvres ; seuls 23% des 'smicards' font partie de ménages pauvres" résume au site vie-publique.fr André Zylberberg, directeur de recherche émérite au CNRS. "Une revalorisation du SMIC bénéficie ainsi à de très nombreux ménages situés au-dessus du seuil de pauvreté."

• Faut-il alors réformer le smic?

Des idées de réformes existent mais aucune ne fait véritablement l'unanimité. Certains économistes proposent un smic différent en fonction des branches, une façon de stimuler les plus bas salaires dans les secteurs encore à la traîne, sans pénaliser les autres entreprises.

L'idée d'un smic régional, comme c'est par exemple le cas au Japon, permettrait aussi de prendre en compte la différence de niveau de vie entre les territoires et d'inciter les entreprises à s'installer dans les régions moins favorisées. Mais ce salaire régional est aussi accusé de maintenir les écarts sur le territoire national.

Enfin, certains économistes plaident pour une responsabilisation des partenaires sociaux pour fixer des niveaux de salaire minimum dans chaque branche. Problème: la France n'est pas un pays particulièrement doué pour le dialogue social.

Thomas Leroy Journaliste BFM Business